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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 1, doc. 91
volume linkBern 1990
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2#1000/44#2332* | |
Dossier title | BB vom 19./20.12.1850 betr. die Militärkapitulationen (1850–1850) | |
File reference archive | D.51 |
dodis.ch/41090
Pour engager l’Assemblée fédérale à révoquer son décret relatif aux capitulations militaires4, on lui fait envisager que les circonstances politiques ne sont plus aussi pressantes que l’an dernier.5 D’emblée, nous répondons que c’est poser mal la question. En définitive, elle consiste à savoir si la rougeur ne nous montera plus au front quand on nous rappellera que sous le patronage du nom suisse une armée mercenaire écrase le peuple napolitain. Voudrait-on peut-être prétendre, comme le fait le message du Conseil fédéral, que l’oppression qui se prolonge, n’est plus de l’oppression?6 Ce serait légitimer le despotisme. Or, le jour pourrait venir où les ennemis de la Suisse se feraient de cette doctrine une arme contre elle.
Les alliés naturels d’une république sont les peuples. Le despotisme ne saurait être son allié que par un monstrueux accouplement. Si ce principe ne fut pas toujours reconnu chez nous, c’est que, dans les temps passés, les gouvernements de plusieurs cantons trouvèrent souvent leur intérêt particulier à se constituer les séïdes des princes étrangers. Aujourd’hui la politique de la Suisse est entièrement changée. La caste aristocratique n’est plus dominante: elle a cédé sa place à un régime qui puise sa force dans une source d’idées plus larges, plus généreuses. Le régime démocratique n’existait pas en Suisse quand furent conclues les capitulations militaires, et chez le peuple napolitain il n’y avait alors rien qui ressemblât à ce travail d’affranchissement dont nous avons vu les résultats premiers en 1848. Ainsi les conditions fondamentales de ces traités ne sont plus les mêmes de part et d’autre, l’on se trouve placé dans un nouvel ordre d’idées et de faits.
Les auteurs de la Constitution fédérale, comprenant les progrès de notre époque, condamnèrent les capitulations. Vous, Messieurs, vous éprouvâtes le besoin de mettre à exécution cet arrêt solennel, et c’est ainsi que prit naissance votre décret de l’année dernière.
Par ce décret, vous avez déclaré que l’existence ultérieure des capitulations militaires était incompatible avec les principes politiques de la Suisse, comme république démocratique. Par ce décret, vous avez invité le Conseil fédéral à ouvrir sans délai les négociations nécessaires en vue d’obtenir la résiliation de celles qui existent et à présenter sur les résultats obtenus un rapport et de nouvelles propositions. Par ce décret enfin, vous avez interdit tout recrutement dans toute l’étendue de la Confédération. Aujourd’hui, le Conseil fédéral vous propose de renoncer à ces importantes résolutions, il vous le propose, chose frappante, par des motifs qui, en majeure partie, existaient quand elles furent prises. Examinons ces motifs succinctement. Et d’abord, l’on se fait un argument de ce que les gouvernements de Schwyz, de Soleure, Appenzell-Extérieur et Schaffhouse ont exprimé le désir que l’arrêté du 20 juin fût abandonné.7 Nous ne voyons pas trop quelles conséquences on peut tirer de là, si surtout l’on réfléchit que d’autres Etats, par exemple Berne, Fribourg et Genève, ainsi que des milliers de pétitionnaires, ont exprimé des vœux diamétralement opposés.8 Il est à remarquer que Soleure, comme aussi le Conseil fédéral, se fonde essentiellement sur ce que les espérances d’émancipation se sont évanouies pour l’Italie. Qu’est- ce que cela signifie? Cela signifie que la nation italienne étant appelée à souffrir, il est naturel que les forces militaires suisses contribuent à la faire souffrir davantage.
2° Le Conseil fédéral dresse un compte, très sommaire il est vrai, des indemnités que, dans son opinion, la Confédération aurait à supporter, à savoir:
En indemnités annuelles 1476 000 ff.
Une fois pour toutes 1232000 ff.
Après avoir posé ces chiffres exorbitants, que nous appellerons le grand fantôme, le Conseil fédéral finit par déclarer qu’il est impossible de préciser, même approximativement, les sommes d’indemnités que la Suisse aurait à payer; attendu qu’on ignore combien de soldats quitteront le service de Naples. Il va plus loin, il va jusqu’à penser qu’il n’en reviendrait qu’un très petit nombre. Cette observation nous paraît très judicieuse, et bonne à méditer; car elle met en défaut l’une des bases essentielles du message et prouve à elle seule que réellement la question des indemnités n’est pas sérieuse et que nous avons raison de la qualifier de grand fantôme. La minorité rappelle sur ce point que cette perspective d’indemnités avait déjà été exploitée l’année dernière, sans que l’Assemblée en fût touchée et qu’il fut alors démontré qu’à teneur de l’art. 5, § 2 et de l’art. 23, § 7 des capitulations, c’était, en cas de rupture, au roi de Naples seul à indemniser les régiments.9 Il est à remarquer que le Conseil fédéral, ni la majorité de la commission n’ont grande confiance dans l’exécution des promesses du roi de Naples. Si leurs craintes à cet égard sont fondées, voici ce qui doit arriver: lorsque les capitulations seront expirées, le roi refusera, sous un prétexte quelconque, de payer les pensions acquises, à moins qu’à cette époque il n’ait encore besoin de régiments étrangers, auquel cas il prendra avec eux des arrangements qui embrasseront les droits déjà acquis par les capitulés. Eh bien, ce qu’il pourra faire alors, ne peut-il pas le faire aujourd’hui? Il peut passer des conventions avec les mercenaires, à l’instar de ce qu’a fait le pape, sauf à tenir ses promesses, si cela lui convient ou lui est possible. La Confédération n’a, dans tous les cas, aucun moyen de contrainte. C’est de toutes manières, pour elle un marché de dupe, pour le monarque une affaire de bon plaisir. Or, s’il est vrai, comme s’exprime le message, que les capitulés ne rentreront pas dans leurs foyers en cas de rupture, leur position sera alors très simple: ils demeureront alors au service de Naples, comme d’autres Suisses servent ailleurs. Ce sera de leur part un acte regrettable de liberté individuelle et non plus une capitulation. A ce titre, ils pourront exiger du monarque les garanties qui leur conviendront, car celui-ci, dans sa position vis-à-vis de son peuple, fera tout pour conserver des troupes étrangères.
3° D’une part, le Conseil fédéral prévoit que les capitulés ne rentreront pas dans leur patrie; d’autre part il nous effraie de ces milliers de ressortissants auxquels il sera fort difficile de se procurer chez eux une position supportable. C’est ainsi qu’on représente quelquefois la Suisse comme écrasée sous le poids de sa population; mais quand on y regarde de près, l’on découvre que des milliers d’étrangers y trouvent un travail lucratif et honorable.
4° Le Conseil fédéral prévoit aussi que les capitulés seront retenus par la religion du serment qui les lie au roi de Naples. Cependant le message renverse, un peu plus loin, cette objection en rappelant l’extrême facilité avec laquelle ils ont juré fidélité à la personne du monarque, après avoir juré fidélité à la Constitution. Nous puisons, quant à nous, dans cette circonstance des deux serments une preuve nouvelle que notre honneur national exige la rupture d’un tel état de choses. Est-il, en effet, un spectacle plus triste que celui d’une troupe, qui prête, à quelques mois d’intervalle et à la face de l’Europe, deux serments contradictoires qui s’effacent l’un l’autre? Ce motif, à lui seul, devrait engager l’Autorité fédérale à déployer une grande vigueur et à répudier toute solidarité, toute responsabilité de ce qui a été fait malheureusement à l’ombre du drapeau fédéral; elle le devrait d’autant plus qu’en cela il ne s’agit pas tant de l’emploi que font ces soldats de leur liberté individuelle, que d’empêcher que l’autorité et le nom de la Suisse soient plus longtemps mêlés à d’aussi misérables turpitudes.
5° Mais, nous dit le Conseil fédéral, les négociations pour la rupture n’ont pas abouti.10 Cela n’est point surprenant: le roi de Naples, d’un côté, considérerait cette rupture comme un suicide; il sait, d’un autre côté, que les vues du Conseil fédéral sont parfaitement conformes à ses désirs les plus ardents. La minorité maintient donc à cet égard son observation de l’an passé.
6° Enfin, le Conseil fédéral nous déclare être dans l’impuissance de faire exécuter le décret. Cependant personne n’ignore qu’il y a eu des mesures d’un autre ordre au sujet desquelles il a déployé une activité incroyable et manifesté une persistance sans égale. Quand il le veut, il sait être très puissant.
En somme donc, le message ne nous a point convaincus, il a, au contraire, fortifié la persuasion où était la minorité que la Suisse doit employer tous les moyens efficaces pour mettre fin aux capitulations encore existantes. Mais aujourd’hui il s’agit de bien moins que cela, il s’agit seulement de conserver le peu qui a été fait. Cette Assemblée voudra-t-elle révoquer un principe qu’elle a hautement proclamé: après avoir dit l’année dernière, que les capitulations sont incompatibles avec nos principes politiques, direz-vous, Messieurs, que cette incompatibilité a cessé soudain? Mais ce serait reconnaître que vos principes de l’an passé ne sont plus ceux d’aujourd’hui. Et vous désister, en face du mauvais vouloir de deux ou trois gouvernements cantonaux, ce serait subordonner de grands intérêts à d’étroites considérations. Nous ne devons pas revenir en arrière, sous peine de jeter partout de pénibles impressions dans les esprits. La minorité de la commission estime qu’il serait d’une bonne politique et d’une saine logique de déclarer les capitulations nulles; mais en présence des efforts qu’on fait pour détruire une mesure dont à peine l’on constatait, il y a un an, l’opportunité, elle croit devoir s’en tenir aux vues qui prévalurent alors dans la haute Assemblée. Voici donc, Messieurs, les propositions de la minorité:
L’ASSEMBLÉE FÉDÉRALE
de la Confédération suisse,
après avoir pris connaissance du message du Conseil fédéral, en date du 3 novembre 1850, relatif aux capitulations militaires;
considérant que l’Autorité fédérale supérieure ne saurait admettre aucune déviation à l’antécédent qu’elle à posé dans cette affaire,1. Le décret fédéral du 20 juin 1849 est maintenu.
2. Les négociations, dans le but d’amener la dissolution des capitulations militaires, seront reprises par le Conseil fédéral, aussitôt que les circonstances le permettront.
3. Tous les enrôlements pour service étranger sont interdits d’une manière absolue dans tout le territoire de la Confédération.
4. Enfin, les propositions du Conseil fédéral, concernant les dispositions pénales à établir par une loi fédérale, sont de nouveau renvoyées à la commission qui les examinera et présentera son préavis.
En terminant, Messieurs, nous croyons devoir insister sur une considération déjà souvent rappelée, c’est qu’à l’étranger l’on n’appelle pas les régiments qui sont à Naples régiments de Berne, Soleure, etc., on les appelle régiments suisses. C’est donc aux yeux du monde la nation qui est enjeu. En s’aidant à écraser le peuple napolitain, la Suisse accepte le rôle qu’à joué la Russie en Hongrie, ni plus ni moins: or, une guerre impie ne fut jamais glorieuse. Chaque fois qu’une puissance étouffe chez un autre peuple la liberté naissante, elle commet un crime qui retombe tôt ou tard sur elle. Si l’absolutisme triomphe dans la croisade qu’il a entreprise, ne pensez pas qu’il nous tiendra compte des services que les capitulés lui auront rendus.
Ainsi, révoquer le décret du 20 juin 1849 serait donner les mains à la réaction européenne.11
- 1
- Rapporteur français de la minorité de la commission du Conseil national chargée d’examiner la question des capitulations militaires. La commission était composée de P. K. E. Ziegler, J. Trog, A. Fischer (majorité), E. Frey, J. Eytel (minorité).↩
- 2
- E 2/2332.↩
- 3
- 5 ou 6 décembre 1850↩
- 4
- Cf. No 36, note 4.↩
- 5
- Allusion a la proposition de la majorité de la commission du Conseil national du 4 décembre 1850 (FF 1851 I, p. 161-184).↩
- 6
- Du 3 novembre 1850 (FF 1850 III, p. 399-421).↩
- 7
- Cf. No 60, note 1. Le 26 novembre et le 3 décembre 1849, le Landamman d’AppenzellRhodes-Extérieures et le Bourgmestre de Schaffhouse avaient écrit dans le même sens à l’Assemblée fédérale (E 2/2331).↩
- 8
- Voir E 2/2331 (lettres des gouvernements) et E 2/2328 (pétitions).↩
- 9
- Pour les traités de capitulations, voir D 2203.↩
- 10
- Cf. Nos 36 et 60.↩
- 11
- Publiés dans FF 18511, p. 205–212. Proposition adoptée par le Conseil national le 6 décembre 1850 (49 voix contre 46) à l’exception des alinéa 3 et4(E 1001 (C)d 1/4, no 996). Rejetée le 14 décembre par le Conseil des Etats (24 voix contre 16) (E 1001 (D) d 1/3, no 703). Les deux Conseils n’étant pas parvenus à un accord, l’arrêté fédéral du 20 juin 1849fut maintenu.↩
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