Gespräch mit dem amerikanischen Botschafter in Paris zur schweizerischen Teilnahme am Marshallplan. Finanzielle Lage Frankreichs. Position Portugals: Skepsis Salazars. Zurückhaltung Burckhardts, am vorgeschlagenen Komitee für wirtschaftliche Zusammenarbeit in Europa teilzunehmen.
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 17, doc. 11
volume linkZürich/Locarno/Genève 1999
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#786* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 349 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 101 (1947–1947) |
dodis.ch/5380
J’ai l’honneur de vous envoyer, sous ce pli, un bref résumé d’une conversation que j’ai eue ce matin avec l’Ambassadeur des Etats-Unis, M. Caffery, et d’un entretien que je viens d’avoir avec le Ministre du Portugal, M. de Castro.
Caffery: «Alors, est-ce que votre Gouvernement accepte?»2
Moi: «Le Gouvernement n’a pas encore pu prendre position. Je ne crois pas que la réponse pourra être là avant jeudi, ou même vendredi.»
Caffery: «C’est dommage. C’est tard. Mais qu’est-ce que vous en pensez?»
Moi: «Voici mon opinion personnelle, car je ne peux parler que de celleci: Je pense que le Conseil fédéral a marqué son attitude par son communiqué du 27 juin3, et les propositions de M. Marshall sont, d’ailleurs, dans la ligne de notre tradition.»
Caffery: «Ce qu’il y a, c’est que, maintenant, il s’agit d’un dernier essai. L’aide directe des Etats-Unis aux différents pays européens était trop onéreuse et se perdait dans le gouffre du désordre européen. Il faut donc que l’Europe essaie de s’aider d’abord elle-même en recréant un ordre et c’est justement ce que les Russes ne veulent pas, parce que, si cet ordre se rétablit, il arrêterait leur propagande, qui ne peut prendre que sur des corps affaiblis. Qu’est-ce que vous voulez, il y aurait chez nous un enthousiasme et un désir très vifs d’aider vite et avec efficacité, si toutefois les Européens se montrent capables, dans ce secteur que l’on peut encore appeler ‹l’Europe›, de mettre de la méthode dans les rapports entre les différents pays qui la composent, ainsi que dans leurs agissements.
Les Français possèdent actuellement 500 millions de dollars or. Ils nous en doivent 300 millions pour les blés. Les machines impriment des billets jour et nuit. L’inflation est là en plein.»
J’ouvre une parenthèse à ce propos: Un ancien député à la Chambre, membre du groupe radical-socialiste, et qui passait pour une autorité en matière financière, a laissé entendre dans une conversation privée aujourd’hui même que la France n’en avait plus que pour six mois, au maximum deux ans, avant de se trouver dans une situation identique à celle de l’Allemagne de 1923.
D’autre part, samedi dernier, un fonctionnaire du Ministère des Affaires étrangères français a dit à un de mes collaborateurs que l’attitude adoptée récemment par la France soit [sic] contraire à sa politique traditionnelle d’équilibre, et d’équilibre européen, elle n’avait plus le choix de sa décision, acculée qu’elle était par ailleurs pour des raisons financières. C’est ce facteur qui domine la détermination de la France en l’occurrence. Cet informateur a dit notamment: «Nous sommes pleinement conscients de toutes les conséquences que peut entraîner la rupture de l’équilibre européen.» – Ce propos semble revêtir une réelle gravité et vient renforcer ce que je me suis permis de souligner lors de notre entretien de Genève4, voire que, dans l’affaire de l’invitation franco-britannique l’inconnue redoutable sous certains aspects était la France.
Revenant à ma conversation avec l’Ambassadeur Caffery, il ajouta: «Votre pays est l’un des derniers îlots raisonnables. Vos institutions jouent bien. Vous êtes d’admirables administrateurs, de très grands hommes d’affaires et vous êtes une véritable démocratie. Vous méritez le nom de démocrates, qui est devenu si dérisoire par l’emploi qu’on en fait.»
Moi: «Je suis heureux d’entendre cette appréciation de votre bouche. Chez nous aussi, il y a une profonde estime et une grande admiration pour la plus grande démocratie du monde, votre pays. Mais je vous avouerais qu’au cours de ces dernières années, l’on a été parfois étonné chez nous de voir que c’était précisément les Etats-Unis qui nous rendaient la vie, dont les conditions ont également beaucoup changé pour nous, si difficile.»
Caffery: «J’ai toujours considéré que c’était une erreur. Faites-vous allusion ici à l’atmosphère dans laquelle s’est déroulée la discussion des accords de Washington?»5
Moi: «Entre autres.»
Caffery: «Ces tendances ont disparu maintenant, avec les hommes qui les représentaient et sur lesquels il y aurait bien des choses à dire. Ils ont disparu ou ils sont en train de disparaître.»
Moi: «Pensez-vous qu’il y aurait une possibilité de révision?»
Caffery: «C’est là une affaire du moment propice.»
Puis, enchaînant: «Il y a alors un espoir que votre Gouvernement accepte l’invitation franco-anglaise. Ce serait très bien.»
Le lien entre les deux dernières remarques parut frappant.
Caffery a encore ajouté: «Dans tous les cas, vous pouvez être sûr qu’aucune contrainte ne sera exercée sur les Etats qui adhéreront. Je crois pouvoir garantir que l’Angleterre y veillera d’une façon très attentiv … et nous aussi.»
Le Ministre du Portugal, qui est venu me voir pour une affaire soulevée, d’après lui, par notre Légation à Lisbonne, n’aborda le sujet de l’invitation franco-britannique qu’en passant.
Il me dit: «Ç’aurait été beaucoup plus intéressant d’inviter l’Espagne que de nous inviter nous, parce que l’Espagne dispose des matières premières, ce qui, en dehors du wolfram, n’est pas notre cas. Nous n’avons rien à perdre du côté de la Russie. Nous en sommes, d’ailleurs, fort éloignés géographiquement. Nous avons tout à gagner en acceptant un geste aimable des puissances occidentales, ainsi notre adhésion a été donnée spontanément et sans aucune difficulté.
Quant à la réussite de l’entreprise, M. Salazar paraît assez sceptique. Le délai d’au moins quatre ans nécessaire pour obtenir le résultat escompté, paraît bien long dans les circonstances actuelles. Le point faible de toute la reconstruction est l’invitant le plus empressé. Cet essai de tenir les communistes en dehors du Gouvernement pour obtenir une aide absolument nécessaire des Etats-Unis, c’est-à-dire des vivres et de l’essence – dépense improductive – ne permet pas le retour au tripartisme: mais les communistes attaqueront avec une violence toujours plus grande. Ce n’est pas par hasard que l’on essaiera de déclencher la grève des fonctionnaires juste pour le début de la Conférence, c’est-à-dire le 12 juillet. D’après moi, tout ce qui sortira de la proposition Marshall dépendra avant tout du développement de la situation intérieure en France. Tous les Anglais que j’ai vus ces derniers temps – et c’est ce qu’on m’écrit également de Lisbonne – n’espéreraient un maintien de la paix que d’un changement de Gouvernement et de système en Russie, changement qu’ils considèrent comme possible.»
Mon collègue portugais devant quitter Paris pour ses vacances, ce sera le Ministre des Affaires étrangères, en route pour Vittel, qui s’arrêtera à Paris pour la Conférence.
D’autre part, j’apprends que la Suède sera représentée par son Ministre à Paris, auquel sera adjoint un expert économique venu tout exprès de Stockholm.
L’acceptation des pays scandinaves, Norvège et Danemark, suivra paraîtil de peu celle de la Suède.
Je n’ai pas eu le temps, depuis hier soir, de réfléchir beaucoup à la question qui nous préoccupe. Cependant, je me suis demandé encore si le désir d’entrer dans le Comité de coopération, dans le cas où il serait agréé par les Puissances invitantes, ne comporterait pas précisément le danger que nous voulons éviter, celui de participer à l’organe directeur qui risque de présenter un caractère politique, alors qu’il me semble qu’il serait plus conforme à nos intérêts de nous borner à siéger dans certains sous-comités de nature plus technique. Je comprends le souci qui amène mon collègue Paul Ruegger à envisager une possibilité pour la Suisse d’avoir «son mot à dire». Mais si nous admettons qu’il nous faudra, au cours des quatre années à venir, nous réserver une possibilité d’action pour parer aux inconvénients éventuels qui pourraient résulter d’une direction à laquelle nous resterions étrangers, nous partons déjà d’un point de vue nettement plus pessimiste que celui que nous pensions pouvoir adopter hier au cours de notre conversation.
Par ailleurs, si nous procédons à une réserve mentale en admettant la possibilité de nous retirer de l’organisme, le cas échéant et dans certaines conditions, il me semble, au stade actuel de mes réflexions, que nous serions en moins bonne posture pour agir de la sorte si nous faisions partie du Comité de coopération.
Je vous remercie encore, Monsieur le Conseiller fédéral, d’avoir pensé à détacher pour quelque temps M. le Conseiller de légation Zutter à Paris. Je crois, en effet, qu’il faudra non seulement entre le 12 et le 15 juillet, mais après, des spécialistes qui m’aideront à suivre cette affaire de très près. M. Zutter serait celui qui aurait à s’occuper, si vous êtes d’accord, de l’aspect juridique et de tous les impondérables qui constituent la technique des conférences internationales6.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Paris/101.↩
- 2
- Il s’agit de la réponse à l’invitation franco-britannique de participer à la conférence chargée d’élaborer un programme de relèvement économique de l’Europe (Plan Marshall), cf. DDS, vol. 17, doc. 10.↩
- 3
- Cf. DDS, vol. 17, doc. 6, note 5.↩
- 4
- M. Petitpierre avait convoqué P. Ruegger, C. J. Burckhardt, A. Zehnder et D. Secrétan le 6 juillet 1947 à Genève pour s’entretenir avec eux de la position à prendre, cf. Agenda 1947, E 2800(-)1990/106/22.↩
- 5
- Cf. DDS, vol. 16, doc. 61, dodis.ch/65, doc. 65, dodis.ch/66, doc. 67, dodis.ch/68, doc. 72, dodis.ch/69, doc. 75, dodis.ch/17, doc. 79, dodis.ch/70 et table méthodique du présent volume: Suite des accords de Washington.↩
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