Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATION BILATÉRALES ET LA VIE DES ÉTATS
II.12 FRANCE
II.12.1. QUESTIONS DE POLITIQUE GÉNÉRALE ET BILATÉRALE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 122
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1552#7122* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1552 215 | |
Dossier title | Antikominternpakt Deutschland - Italien - Japan (1936–1942) | |
File reference archive | B.72.09.16 |
dodis.ch/46382
Les difficultés que l’on éprouve à bien connaître et à juger impartialement la politique russe donnent une particulière valeur aux renseignements dont la source peut être considérée comme sûre, même lorsqu’ils sont plus ou moins rétrospectifs.
Ceux que j’ai recueillis se rapportent surtout aux circonstances dans lesquelles est né le pacte franco-soviétique. Ils contiennent aussi quelques données intéressantes sur Y armée russe, telle que l’ont vue les missions militaires et parlementaires françaises envoyées ces dernières années en U.R.S.S. Ils apportent enfin quelques précisions sur l’énigmatique figure du maréchal Toukatchewsky, fusillé il y a quelques semaines pour «trahison».
Je les tiens d’un homme politique français avec qui je m’étais lié durant mon séjour à Paris, qui m’a toujours témoigné beaucoup de confiance et dont j’ai eu mainte occasion d’apprécier la franchise et la scrupuleuse honnêteté. Il s’agit de M. Louis Marin, chef d’un groupe de droite à la Chambre et plusieurs fois ministre, en particulier dans les cabinets Poincaré (1926) et Doumergue (1934). Très combatif dans les luttes politiques portant sur des problèmes d’ordre intérieur, M. Louis Marin sait, lorsqu’il se trouve à l’étranger et lorsque le prestige international de son pays est en jeu, se dépouiller de toute passion partisane pour n’être plus qu’un ardent patriote. Il n’a cependant rien d’un chauvin, car sa profession d’anthropologue et de sociologue (44 ans d’enseignement à l’Ecole des Sciences sociales) lui a donné l’habitude d’étudier en homme de science tous les problèmes ethniques. Grand voyageur (il a parcouru plusieurs fois, avant la guerre, la Russie d’Europe et la Sibérie), M. Marin connaît fort bien aussi les traditions diplomatiques de son pays, car, s’il n’a jamais dirigé le Quai d’Orsay, il a été plusieurs fois un rapporteur très compétent du budget des Affaires Etrangères.
Cela dit, je lui laisse la parole, tantôt en résumant ses propos, tantôt en reproduisant aussi fidèlement que possible les termes mêmes dont il a fait usage.
Dans la première quinzaine d’octobre 1934, M. Barthou avait dit à ses collègues du gouvernement: «Mes conversations avec les Russes sont arrivées à un point où il ne m’est plus possible de les poursuivre sans consulter le Conseil des ministres. Il faudra que nous nous réunissions un de ces prochains jours. Je demanderai qu’une séance tout entière soit consacrée à cette seule affaire et que chacun de nous prenne sa responsabilité par un vote». La réunion demandée n’avait pas encore eu lieu lorsque le ministre des Affaires Etrangères, qui s’était rendu à Marseille à la rencontre du roi Alexandre, fut assassiné aux côtés du souverain yougoslave.
Au lendemain du drame, M. Pierre Laval, successeur de M. Barthou au Quai d’Orsay, se trouvait en présence de la situation suivante:
La résistance de l’Allemagne et de la Pologne avait fait échouer le pacte oriental. Le ministre défunt en avait tiré la conclusion qu’il fallait se résoudre à le remplacer par un traité bilatéral entre la France et l’U.R.S.S. Il hésitait encore sur la portée à donner à ce nouvel instrument. Les dirigeants russes affirmaient que, sommés par Berlin de se prononcer pour ou contre le Reich, ils préféraient se ranger du côté de la France, mais à la condition que cette dernière leur offrît une contrepartie substantielle. L’U.R.S.S. était prête à conclure avec la République une alliance militaire. D’autre part, les informations que le Quai d’Orsay recevait de Berlin confirmaient de tous points celles des Russes sur les menaces proférées par l’Allemagne.
Sur la proposition de M. Doumergue, le Conseil des ministres décida d’envoyer M. Laval à Moscou, avec mission de discuter sur place les propositions soviétiques. En attendant qu’il pût entreprendre ce voyage, on s’efforçait de gagner du temps. M. Laval, qui, en janvier 1935, avait conclu avec M. Mussolini les accords de Rome, ne put se rendre en Russie qu’au printemps. Quand il y arriva, Hitler avait rétabli en Allemagne le service militaire obligatoire, ce que les Russes interprétaient comme une conséquence du refus opposé par eux aux avances de Berlin. Ils faisaient valoir, en outre, que, pour se maintenir sur leurs positions, le concours immédiat de la France leur était indispensable. Le ministre français, convaincu d’avoir établi à Rome une durable collaboration entre l’Italie et la France, confiant, au surplus, dans l’amitié britannique, crut pouvoir signer à Moscou le texte proposé par le gouvernement des Soviets.
Dès son retour en France, les réactions auxquelles donna lieu l’acte qu’il venait d’accomplir, lui firent comprendre qu’il s’était trop avancé. Il s’efforça donc d’atténuer par des négociations la portée des engagements qu’il avait souscrits. Il n’y réussit guère. Du moins refusa-t-il, aussi longtemps qu’il resta au Quai d’Orsay, à laisser s’ouvrir un débat parlementaire sur l’accord de Moscou. Ce dernier ne fut, en effet, ratifié qu’en mars 1936, sous le ministère Sarraut et à la suite de l’entrée des troupes allemandes dans la zone démilitarisée du Rhin.
Entre-temps, on s’était préoccupé en France de connaître les ressources militaires que pourrait offrir, en cas de guerre, l’alliance moscovite.
D’après M. Louis Marin, les missions civiles et militaires envoyées en U.R.S.S. et dont les rapports n’ont pas encore été publiés, auraient abouti aux conclusions suivantes:
1° Impossibilité de compter sur un concours effectif des armées soviétiques tant qu’elles n’auraient pas amélioré dans une très large mesure leurs moyens de mobilisation et de concentration et tant qu’elles ne seraient pas assurées d’un droit de passage à travers les territoires qui séparent l’Allemagne de la Russie;
2° Existence d’une aviation très nombreuse, assez bien équipée et entraînée, mais inférieure sous de nombreux rapports aux aviations des puissances occidentales;
3° Dans les autres armes techniques, offensives et défensives (tanks, tracteurs, armes automatiques, systèmes de fortification, etc.), grande abondance de certains matériels, pénurie de certains autres;
4° Préparation technique insuffisante des officiers et des cadres.
A ces constatations, M. Louis Marin ajoute un commentaire:
«Ce qui a le plus frappé nos observateurs, c’est la grande complaisance que les Russes apportèrent à leur montrer tout ce qu’ils possédaient, tout ce dont leurs soldats étaient capables. Ils ne refusèrent jamais, par exemple, de faire recommencer certains exercices, ni même d’en modifier les données dans le sens indiqué par nos officiers. Mais ceux-ci, bien loin de voir dans cet empressement, dans cette bonne volonté manifestes un symptôme encourageant, s’en montrent péniblement affectés, car ils y voient la preuve que les Russes, pour étaler avec une si naïve confiance, sous les yeux d’observateurs étrangers, les lacunes et les faiblesses de leur organisation militaire, doivent ne pas s’en rendre compte. Cela n’est d’ailleurs pas surprenant puisque ces gens, qui vivent en circuit fermé, ne disposent d’aucun moyen de comparer leur œuvre à celle des autres.»
D’après mon interlocuteur, le seul argument qui milite en faveur du pacte franco-russe est celui-ci: «S’ils ne sont pas avec nous, ils seront contre nous. Et s’ils sont contre nous, l’Allemagne, mieux placée que nous, géographiquement et psychologiquement, pour les éduquer, pourrait faire d’eux une puissance redoutable. Même si elle ne réussissait pas à faire de leur armée l’égale de la sienne, les ressources économiques qu’elle trouverait en Russie lui seraient des plus précieuses.»
Au sujet du maréchal Toukatchewsky, M. Louis Marin s’est exprimé comme suit:
«Il était sans aucun doute partisan de l’alliance allemande. Je ne dis pas cela pour justifier Staline de l’avoir fait exécuter comme «traître». Car, s’il était en relations très suivies avec l’Etat-Major allemand, c’était au su et avec l’autorisation de ses chefs. Cela, je puis l’affirmer, car il ne s’en cachait pas. Si je le sais, c’est parce que Toukatchewsky avait été, pendant la guerre, le compagnon de captivité de mon collègue de la Chambre, Adolphe Chéron (ne pas confondre avec feu Henry Chéron, du Calvados). Chaque fois que le maréchal soviétique pouvait s’évader de Russie pour aller à Berlin ou ailleurs, il venait incognito jusqu’à Paris, logeait chez Adolphe Chéron et parlait avec la plus grande franchise à son ancien camarade, lequel me rapportait ses propos.»
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