Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 9
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1533#2343* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1533 99 | |
Dossier title | Faschistische Spitzeltätigkeit in der Schweiz (1929–1933) | |
File reference archive | B.46.12 • Additional component: Italien |
dodis.ch/45551
Nous avons pris connaissance avec un vif intérêt de l’étude très travaillée que le Ministère public fédéral a consacrée aux diverses affaires d’espionnage politique au profit de l’Italie qui ont été découvertes simultanément au Tessin et à St-Gall2 et qui appellent indubitablement une réaction énergique de notre part.
Nous ne saurions dissimuler, toutefois, que, si nous aboutissons à des conclusions assez voisines de celles de M. le Procureur de la Confédération, en ce qui concerne la suite pratique à donner à ces affaires, nous ne pouvons nous rallier à l’argumentation qu’il développe touchant l’application aux cas actuellement pendants de l’article 39 du code pénal fédéral3.
Nous sommes pleinement d’accord avec M. Stämpfli pour admettre que l’article 39 du code pénal fédéral assimile à une violation du territoire suisse et punit comme telle tous les actes officiels effectués sur notre territoire au nom d’un Gouvernement étranger autres que ceux qui sont autorisés par un accord international (comme, par exemple, ceux des douaniers étrangers dans une gare internationale) ou ceux qui, selon les principes du droit des gens, constituent l’activité licite d’une représentation diplomatique ou consulaire.
L’article 39 du code pénal fédéral vise indiscutablement - encore qu’à notre connaissance, il n’ait jamais été appliqué en pareil cas - la commission, sur notre territoire, d’actes tels que:
a) l’arrestation de fugitifs par des policiers étrangers,
b) l’audition de témoins par des consuls étrangers,
c)la célébration de mariages consulaires,
d) la perception d’impôts en faveur d’un Etat étranger,
e) l’organisation d’une milice ou d’une police répressive.
Ces actes, fort divers, ont un caractère commun; ils usurpent, au profit d’un Etat étranger et même à son nom, un attribut de la puissance publique, qui n’appartient qu’au souverain territorial, et c’est en cela qu’ils sont contraires au droit des gens.
Les agissements de mouchards à la solde d’une police étrangère ont un tout autre caractère. Ils ne se présentent nullement comme des actes officiels effectués au nom d’un autre Etat; ils sont, tout au contraire, inofficiels et clandestins.
Ainsi que le prouve l’existence des agences de police privées compromises dans les affaires dont il s’agit, l’organisation d’un service d’information est permise à de simples particuliers; elle n’est donc pas l’apanage exclusif du souverain territorial.
Ces agissements sont répréhensibles dans la mesure où ils portent atteinte à l’ordre et à la paix publics (cf. projet d’article 48ter du code pénal fédéral); ils relèvent du droit pénal interne et non pas du droit des gens.
Il est entendu que l’espionnage politique est répréhensible et qu’un Etat est fondé à le réprimer, de même qu’il peut réprimer l’espionnage militaire. Mais force est bien de constater que le code pénal fédéral ne contient pas de disposition visant l’espionnage et que les peines prévues par le code pénal militaire pour l’espionnage militaire sont inapplicables à l’espionnage politique. La lacune que présente, à cet égard, le code pénal fédéral a déjà été constatée à diverses reprises. Ainsi que le rapport du Ministère public fédéral le relate, il avait été question, en 1890, de faire adopter par les Chambres fédérales un article 48ter, qui aurait permis de punir les agissements effectués à la solde d’une police étrangère susceptibles de nuire à l’ordre et à la paix publics. Il y a été renoncé, non pas parce que cette adjonction aurait été superflue, mais parce qu’il a paru vain de chercher à combler les lacunes «d’un code pénal suranné, qui ne connaît pas les délits politiques des temps présents... ni les anarchistes, ni la dynamite, ni l’espionnage politique».
Il est bien compréhensible qu’en présence d’actes répréhensibles qui ne font pas l’objet d’une disposition précise de la loi pénale, on soit tenté de les faire tomber sous le coup d’un article qui ne les vise pas expressément. En 1854 déjà, le Conseil fédéral a cédé à cette tentation, à l’occasion de l’affaire Contini, mais il n’a pas été suivi par le Tribunal fédéral, dont la Chambre d’accusation a rendu, le 7 avril 1854, un arrêt constatant qu’aucun article du code pénal fédéral ne punit des actes d’espionnage politique en faveur d’un Etat étranger4. Cette jurisprudence a fait règle depuis lors en ce sens que, selon une pratique de soixantequinze ans, tous les cas d’espionnage politique qui ont été constatés en Suisse - qui, ainsi que M. Stämpfli le relève, sont extrêmement nombreux - ont été réglés par la voie administrative, sans que l’on ait cherché à leur donner une sanction pénale. L’impossibilité de punir judiciairement des actes d’espionnage politique a été admise même dans l’affaire Wohlgemuth5, à l’occasion de laquelle Bismarck avait pourtant déclaré que, devant l’inaction de la police suisse, l’Allemagne était obligée de faire elle-même, sur territoire suisse, des opérations de police, et bien que cette déclaration reflète une volonté d’usurper une parcelle de la puissance publique du souverain territorial, volonté qui, à notre avis, fait manifestement défaut dans les cas actuellement constatés.
Abstraction faite des sérieux arguments qui précèdent en faveur de la jurisprudence fixée par l’arrêt de la Chambre d’accusation du Tribunal fédéral du 7 avril 1854, nous ne saurions dissimuler que, du point de vue politique, il nous paraîtrait particulièrement inopportun de chercher à modifier cette jurisprudence à l’occasion des cas actuellement constatés, qui n’ont certes pas la gravité d’une affaire Wohlgemuth et qui mettent en cause un Etat voisin de la Suisse avec lequel nous avons intérêt à ne pas provoquer des froissements évitables.
Nous nous félicitons de constater que le Ministère public fédéral arrive par une autre voie à des conclusions analogues et, renonçant à préconiser une suite judiciaire aux affaires d’espionnage politique dont il s’agit, propose lui-même de les liquider par des moyens administratifs et diplomatiques.
Nous partageons l’avis du Ministère public fédéral qu’il se justifierait pleinement de prononcer l’expulsion administrative des nommés Guidone, Saltamerenda, Pradella, Bazzi, Scala, Valt et Panella et d’adresser à Andreas Obermayr père et à Casimiro et Rosario Pauletto un avertissement avec menace d’expulsion6.
Nous sommes prêts, d’autre part, à exposer au Ministre d’Italie à Berne que, le Conseil fédéral ayant dû prendre des mesures d’expulsion contre des étrangers en Suisse que le Vice-Consul d’Italie à St-Gall avait chargés d’effectuer pour son compte des actes d’espionnage politique, M. Ungarelli ne peut continuer à remplir des fonctions officielles dans notre pays et que nous serions, à notre regret, dans l’obligation de lui retirer l’exequatur si, prenant les devants, le Gouvernement italien ne jugeait préférable de le rappeler sans délai.
A l’occasion de la démarche que nous ferions auprès de M. Marchi touchant le cas Ungarelli, nous serions disposés à lui faire observer, de la façon la plus explicite, que le Conseil fédéral ne saurait tolérer qu’un Etat étranger organisât sur notre territoire un service clandestin de renseignements politiques, que le mouchardage répugne tout particulièrement à notre peuple et lui inspire une indignation d’autant plus grande que nos moeurs n’ont jamais toléré que nos Gouvernements recourussent pour leur compte à de telles pratiques et que, ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le faire savoir au Gouvernement italien, nous considérerions comme un acte amical de sa part de faire en sorte que ne se reproduisent plus des incidents semblables, dont la répercussion sur les bonnes relations entre les deux pays est plus profonde qu’on ne pense. Il ne nous paraîtrait guère opportun, en revanche, de demander au Gouvernement italien la promesse formelle qu’il ne sera plus effectué sur le territoire suisse des actes d’espionnage politique au profit de l’Italie. On ne peut se dissimuler, en effet, que, pour un Gouvernement dictatorial, l’exercice, à l’intérieur et dans les pays voisins, d’une stricte surveillance sur les ennemis du régime doit forcément apparaître, même si c’est à tort, comme une nécessité vitale, qu’il serait vain d’espérer faire partager au Gouvernement italien le sentiment d’intime réprobation que nous inspire le mouchardage et que l’engagement que nous lui demanderions de ne plus recourir à de semblables pratiques sur notre territoire ne pourrait que nous être refusé ou nous être donné avec des réserves mentales qui le rendraient dénué de valeur. Mieux vaut, semble-t-il, nous borner à demander une satisfaction concrète. Le rappel de M. Ungarelli comporterait un désaveu implicite de ses actes et devrait suffire à nous donner satisfaction.
Nous ne pouvons cacher, enfin, qu’il nous paraîtrait inopportun de rouvrir, à l’occasion des faits récemment constatés, l’affaire Zen-Barth7, qui date du mois de février 1928 et a fait l’objet, en son temps, de représentations de notre part auprès du Ministre d’Italie à Berne, à la suite desquelles le Vice-Consul d’Italie à St-Gall, M. Grazzi, a été déplacé et remplacé par M. Ungarelli, ainsi que les affaires Buffoni et Rizzoli8, dont nous avons entretenu la Légation d’Italie au cours de l’année 1929 déjà et que, du côté italien, on pouvait à bon droit considérer comme liquidées. Tout au plus pourrions-nous saisir l’occasion pour attirer l’attention du Ministre d’Italie sur le fait que les affaires Buffoni et Rizzoli, qu’il n’a pas été possible de cacher au public, ont nui à la réputation de M. Zappoli et qu’il serait sans doute de l’intérêt du Gouvernement italien lui-même de déplacer un agent dont la situation est devenue difficile. Une remarque analogue pourrait être faite au sujet du secrétaire du Vice-Consul d’Italie à St-Gall, M. Zen, déjà compromis, en 1928, dans une affaire d’espionnage politique et dont il est difficile de ne pas s’imaginer qu’il est un peu responsable des erreurs commises par M. Ungarelli.
- 1
- Lettre (Copie): E 2001 (C) 3/99. Paraphe: VH.↩
- 2
- Cf. le rapport du Ministère public au Département de Justice et Police du 7 mars 1930 (E 2001 (C) 3/99). A St-Gall, en 1929, le Vice-consul d’Italie, G. Ungarelli, avait chargé un détective privé d’origine allemande mais naturalisé suisse, E. Obermayr, de recueillir des informations sur les antifascistes italiens de la région. Au Tessin, c’est un citoyen suisse, F. Imperiali, qui depuis 1928 était payé par des émissaires de la police italienne, L. Guidone et S. Saltamerenda, pour prendre des renseignements sur le compte d’émigrés italiens en Suisse.↩
- 3
- Quiconque viole le territoire suisse, ou se rend coupable envers la Suisse ou une partie de la Suisse d’autres actes contraires au droit des gens, ou favorise d’une manière quelconque des actes de cette nature, est puni de l’emprisonnement avec amende, et dans les cas graves de la réclusion.↩
- 4
- Venu en Suisse en novembre 1853, le lombard A. Contini était chargé par la police autrichienne de Milan et de Côme de surveiller les exilés du royaume lombardo-vénitien établis au Tessin. Il étendit même ses activités d’espionnage à des citoyens suisses sympathisants de Mazzini. Arrêté, il fut expulsé de Suisse à la suite de l’arrêt du Tribunal fédéral du 7 avril 1854.↩
- 5
- A. Wohlgemuth, inspecteur de police de Mulhouse, avait engagé pour l’utiliser comme agent provocateur dans les milieux socialistes allemands, un tailleur bavarois habitant Bâle, B.-A. Lutz. Dénoncé, Wohlgemuth fut arrêté par la police argovienne et expulsé de Suisse par le Conseil fédéral le 30 avril 1889. Malgré les pressions de Bismarck, le Gouvernement suisse maintint son décret d’expulsion. Comme mesure de rétorsion, le Chancelier allemand dénonça unilatéralement, le 20 juillet 1889, le traité d’établissement avec la Suisse de 1876.↩
- 6
- Les cinq premiers impliqués dans l’affaire du service d’information au Tessin, les autres ayant collaboré aux activités de renseignements dirigées par le Vice-consul d’Italie à St-Gall. Le père du détective E. Obermayr, de nationalité allemande, avait fourni au fils de petits renseignements tout en ignorant leur destination réelle. Cf. rapport du Ministère public du 7 mars 1930 (E 2001 (C) 3/99). Cf. aussi n. 1 ci-dessus. Dans sa séance du 26 mars suivant, le Conseil fédéral adhéra à la proposition du Ministère public en décidant l’expulsion, respectivement l’avertissement de ces mouchards (E 1004 1/321).↩
- 7
- En février 1928, A. Zen, Secrétaire du Consulat d’Italie à St-Gall et secrétaire politique du groupe fasciste local, chargea le détective privé A. Bart h de surveiller deux ressortissants italiens.↩
- 8
- U. Buffoni et A. Rizzoli avaient recueilli des renseignements sur les activités politiques de ressortissants italiens établis à Lausanne. Le premier était en liaison avec le Consul d’Italie à Lausanne, I. Zappoli. Arrêtés, ils furent expulsés de Suisse par le Conseil fédéral le 29 août 1929 (E 1004 1/317).↩