Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 143
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.41-02#1000/1671#9322* |
Old classification | CH-BAR E 2200 Paris 1 1561 |
Dossier title | Porteurs suisses de tires de la dette ottomane (1919–1919) |
File reference archive | 1175 |
dodis.ch/43888
Cher ami,
Je te confirme ma lettre du 24 courant et reçois aujourd’hui la tienne du 25.
J’avais en effet vu il y a quelque temps déjà notre Ministre à Paris, Monsieur Dunant, et m’étais entretenu avec lui des éventualités d’ordre international et financier qui pourraient se produire, et de l’avantage qu’il pourrait y avoir à ce que la Suisse ne parût pas oubliée si elle avait des considérations à faire valoir où ses intérêts seraient enjeu.2
Nous avons parlé notamment de la reconstitution, sur des bases plus ou moins modifiées, de ce vaste groupement d’intérêts en Turquie, connu sous le nom de «Dette Publique Ottomane». J’ai dit que, d’après des projets à l’étude, on envisage de faire un nouveau Conseil de la Dette où ne figureraient que des représentants français, anglais et italiens et dont seraient exclus les représentants allemands et austro-hongrois. J’ai fait remarquer à Monsieur Dunant que s’il est vrai, comme on l’a dit, que les intérêts suisses dans cette matière (du moins les intérêts de la Suisse alémanique) étaient officieusement représentés par la Deutsche Bank, donc par le représentant allemand à Constantinople, ces intérêts suisses seraient dorénavant sans représentation et qu’il pourrait leur convenir de demander une représentation suisse, ou, tout au moins, de se joindre officiellement au groupement français dont le représentant serait alors désigné sous le nom de «représentant des intérêts français et suisses», de la même manière que, en 1861, les Hollandais, ayant désiré être aussi officiellement reconnus comme ayant des intérêts dans la dette turque, ont été représentés par le Délégué anglais, Monsieur Bourke, dont le nom figure au Décret de Mouharrem avec la mention: «pour les Porteurs Anglais et Néerlandais.» C’est peut-être dommage que la Suisse n’ait fait, à ce moment, aucune démarche pour que ses intérêts fussent représentés, en étant indiqués dans le texte du Décret comme joints à ceux des porteurs français qui étaient représentés par Monsieur Valfrey.
Mais, peut-être, serait-ce encore mieux d’avoir, dans le Conseil de la Dette réorganisé, un représentant direct plutôt que d’être simplement joints à un délégué d’une autre Nation.
Que des intérêts suisses en Turquie (non seulement dans les anciens Emprunts pour lesquels il y eut faillite, mais aussi pour les Emprunts relativement récents, comme Bagdad) aient été officieusement représentés par la Deutsche Bank et son Délégué, cela ne fait pas de doute pour moi, bien qu’on ne puisse pas administrer la preuve de ce fait. Ce serait probablement autour de la «Schweizerische Kreditanstalt» à Zurich que se seraient concentrés tous les participants dans les affaires turques et celle-ci, à son tour, acceptait l’hégémonie allemande. Je ne sais pas si à Zurich on est informé de ce qui est en préparation à Constantinople, Paris et Londres et si l’on envisage un moyen quelconque d’avoir voix au chapitre lorsque ces grands intérêts se débattront. C’est [ce qu’il faudrait élucider, car ces Messieurs préféreraient peut-être avoir quelqu’un de leur propre bord.
Néanmoins, en mettant Monsieur Dunant au courant de ce qui se disait et se préparait, chose qu’il ne savait pas, m’a-t-il dit, j’ai ajouté que je serais bien à la disposition d’un groupement (s’il y en a un) de mes compatriotes qui désirerait que je devinsse leur représentant, sous un forme qui serait encore à étudier. Il ne s’agirait pas d’aller s’établir à Constantinople car j’estime qu’on peut aussi bien faire à Paris qu’à Constantinople ce qui est utile pour la défense des intérêts qu’on représente, qu’ils soient français ou suisses.
Entre nous, les Anglais auraient une théorie un peu différente. Ils voudraient qu’il fût créé une organisation officielle et toute nouvelle, ayant un caractère diplomatique et qui serait chargée de la représentation des droits de l’ensemble des porteurs pour les larges parties de territoire ottoman qui vont échapper à l’autorité des Turcs. Ce serait une sorte «d’égyptianisation», si l’on peut dire, de cette portion de la Turquie au point de vue financier. Dans ce cas, le rôle du Conseil actuel de la Dette serait, au contraire, très diminué puisqu’il n’aurait à s’occuper que de ce qui sera resté de territoire purement turc.
Tu vois que ce sont là de très grosses questions qui s’examinent et dont nous ne pouvons pas, nous autres financiers suivre les progrès au jour le jour, parce que les Gouvernements et les diplomates ne jugent pas toujours opportun de nous faire des confidences.
Mais Monsieur Dunant étant un diplomate, dûment accrédité auprès du Gouvernement de l’une des grandes Puissances alliées, pourrait peut-être et le moment venu, en savoir plus que nous et renseigner, s’il le juge à propos, ses commettants du Conseil Fédéral à Berne.