Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 113
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#758* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 340 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 72 (1919–1919) |
dodis.ch/43858
Je vous ai envoyé l’autre jour une coupure du Journal du Peuple, organe socialiste à tendances bolchevistes, contenant un article intitulé «A Brest», dont le titre seul avait été épargné par la Censure et dont le texte entier était échoppé. Comme le remarquait la note manuscrite de notre service de presse, il s’agissait d’incidents révolutionnaires et d’arrestations dont le grand port breton vient d’être le théâtre.
Un de mes collaborateurs a recueilli d’un député représentant une circonscription maritime quelques explications sur ces événements.
La genèse de l’affaire de Brest serait la suivante: Un cuirassé allemand, livré à la France en raison des stipulations de l’armistice, devait recevoir un équipage d’inscrits maritimes appartenant à des classes anciennes. Ces hommes qui, durant la guerre n’avaient jamais été au front de mer, trouvèrent mauvais qu’on voulût les embarquer une fois les hostilités terminées. Ils en manifestèrent un vif dépit qui fut habilement exploité par quelques agitateurs professionnels, parmi lesquels, d’après certains bruits, se serait glissé un authentique maximaliste russe. On finit par découvrir un complot organisé et la liste des personnes dont les conspirateurs avaient dessein de s’emparer? Chose curieuse, au nombre de ces victimes éventuelles figurait M. Goude, maire de Brest, député socialiste anarchisant, que l’on s’attendait bien plutôt à trouver à la tête du mouvement. La tentative avorta et fut énergiquement réprimée par l’amiral préfet maritime de Brest. Une cinquantaine de matelots sont aux fers, en prévention de conseil de guerre et plusieurs arrestations ont été opérées dans les milieux maximalistes. La ville est calme.
Des indices d’une entreprise analogue auraient été découverts à Toulon, mais là, toute l’affaire semble avoir été éventée plus vite encore qu’à Brest et avant tout commencement d’exécution. Il est curieux de constater que les tendances révolutionnaires se révèlent en premier lieu chez les matelots, comme en Russie et en Allemagne.
Ces symptômes sont assez troublants. Il ne faudrait pas en induire cependant que la France soit à la veille de sombrer dans le bolchevisme. Naguère encore, à Moscou, Trotzki lui-même disait à M. Grenard, Consul-Général de France (que les bolcheviki ont récemment condamné à mort par contumace): «Votre pays est sans doute celui qui résistera le plus résolument à nos doctrines». En même temps le dictateur moscovite annonçait la conquête prochaine par le bolchevisme de l’Autriche, de l’Allemagne et peut-être de la Suisse. Notre Suisse s’est ressaisie à temps, mais les événements de novembre prouvent cependant que Trotzki savait ce qu’il disait. Le nom du tyran russe m’amène à vous parler encore de l’intervention alliée en Russie. La question prend chaque jour une tournure nouvelle. Mais, avant d’exposer son développement actuel ou de risquer des pronostics, il convient de rappeler le passé. L’intervention commença, bien avant l’armistice, par la Sibérie. M. Wilson y était hostile. On lui dépêcha de Paris le philosophe Bergson, qui, après bien des tergiversations finit par obtenir son adhésion à un programme dont la modestie et la prudence n’avaient d’égale que l’inefficacité complète: 7000 Japonais et 7000 Américains devaient sauver du bolchevisme l’immense Sibérie. Les Japonais arrivèrent les premiers. Les quelques officiers américains qui les accompagnaient ou les suivaient se rendirent compte bien vite qu’ils ne pourraient rien faire, même après l’arrivée de leurs 7000 compatriotes voguant sur le Pacifique. Les Nippons avaient des troupes en Mandchourie. Ils les offrirent et on les accepta. L’opération de police fut vivement menée, les bolcheviks et leurs alliés austro-hongrois réduits à merci et l’expédition atteignit Irkoutsk, terminus assigné par M. Wilson. Depuis lors, des forces sibériennes antibolchevistes se sont constituées; le pays est entièrement pacifié, tous les points stratégiques sont occupés. C’est pourquoi la nouvelle que les Japonais retirent des troupes de Sibérie ne doit pas être interprétée comme une renonciation, mais seulement comme une mesure de sage administration: on évacue l’excédent. Mais le barrage antibolchevik d’Orient est maintenu. Ces informations, de source française et japonaise, peuvent être utilement complétées par la constatation qui paraît s’imposer à la lecture de toutes les nouvelles de Russie et que font tous les observateurs attentifs des affaires russes. Autour de la Grande-Russie bolcheviste s’est constituée toute une ceinture d’Etats, dont les gouvernements, s’ils ne sont pas tous d’accord sur tous les points, ont du moins une haine commune de la tyrannie maximaliste. Sur ce chapitre, les cosaques de Denikine pensent exactement comme les socialistes révolutionnaires qui régnent à Arkhangelsk. Ces divers Gouvernements ne demandent qu’à poursuivre le bolchevisme dans ses derniers repaires. Les Alliés ont donc une politique tout indiquée: s’efforcer de faire ou de maintenir l’accord entre les divers groupements antibolchevistes, les armer, les ravitailler, les assister de toutes manières. Iront-ils jusqu’à leur fournir un concours militaire effectif? La question, à plusieurs reprises, a semblé résolue, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. En réalité, elle demeure en suspens. Pour des raisons de politique intérieure, comme je vous le disais dans mon rapport du 6 courant, les deux grandes Puissances occidentales, Angleterre et surtout France, ne peuvent pas songer à envoyer en Russie un corps expéditionnaire important aussi longtemps qu’elles n’auront pas complètement démobilisé leurs armées. Cela fait, les volontaires, en France du moins, ne manqueront pas. Mais aujourd’hui déjà d’autres contingents alliés pourraient, dit-on, partir pour la Russie. Si invraisemblable que cela puisse paraître, on m’assure de bonne source que les Serbes, loin d’être épuisés par sept ans de guerre, préparent un corps expéditionnaire, auquel pourraient se joindre des unités tchéco-slovaques et
même grecques.
Quant à l’attitude de M. Wilson devant le problème russe, elle serait aujourd’hui très différente de ce qu’elle était en 1917.
Un diplomate français fort avisé disait hier que le sort de l’intervention alliée en
Russie serait probablement celui de l’expédition de Macédoine: tâtonnements,
hésitations, retards, longues attentes décevantes, erreurs, récriminations, entêtements et, tout à coup, le résultat définitif et décisif. Il pourrait bien n’avoir pas tort.
A plusieurs reprises, je vous avais annoncé que le Président des Etats-Unis
s’opposerait aux ambitions italiennes sur la côte dalmate: cette opposition est aujourd’hui publique et la censure française, si préoccupée d’ordinaire de ne rien laisser passer qui puisse faire croire à la plus légère divergence de vues entre
Alliés, semble avoir reçu l’ordre de donner à la chose la plus grande publicité possible.
Ce qu’on entend dans les milieux politiques français ne donne aucunement à
penser que la France cherche à négocier avec ses alliés d’Europe des accords secrets destinés à berner M. Wilson. Les doctrines de l’homme d’Etat américain sont très discutées, attaquées à droite, défendues à gauche, mais personne ne paraît songer à évincer le Président. Ses faits et gestes sont suivis de très près par tous ceux qui s’intéressent à la politique générale; il n’y a guère pour en parler avec ironie ou dédain que certains milieux militaires et réactionnaires. Partout ailleurs, on se flatte, à tort ou à raison, d’être d’accord avec M. Wilson sur les points essentiels et de l’amener à partager les vues de la France dans toutes les questions
où pourraient encore subsister des antinomies.
La Conférence interalliée des préliminaires de paix a eu de mauvais débuts. On
a perdu quatre jours en discussions oiseuses sur des problèmes de procédure. Et,
avant d’avoir abordé aucune question de fond on semble s’être abondamment disputé.
L’opinion française sympathise de tout cœur avec les Belges et les Serbes, profondément ulcérés du fait qu’on n’accorde que deux voix à chacun de leurs pays contre trois au Brésil. La délégation française a d’ailleurs soutenu sur ce point la
Belgique et la Serbie, mais, d’après l’aveu que m’en a fait un de ses membres, elle
a été mise en minorité par les Américains et leurs satellites.
La crise ministérielle italienne vient encore compliquer la tâche de la Conférence. Bien que je ne puisse juger d’ici ce qui se passe à Rome, j’ai l’impression que M. Nitti est tombé sous les coups d’une opposition anti-étatiste, analogue à
celle que rencontrent en FranceMM. Loucheur, Claveille et Boret.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Paris, Archiv-Nr. 72. Les incidents de Brest. L’intervention en Russie. Ce qu’on dit de M. La Conférence interalliée. Préoccupations électorales.↩
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