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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 15, doc. 437
volume linkBern 1992
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001E#1000/1572#542* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(E)1000/1572 55 | |
Dossier title | Wirtschaftsverhandlungen mit der Regierung de Gaulle (1945–1945) | |
File reference archive | C.44.111 • Additional component: Frankreich |
dodis.ch/48041
Présents: MM. Hotz, de Torrenté, Vollenweider, de la Division du Commerce, Kohli, Hohl, Schneider, du Département Politique, Reinhardt, de l’Administration des Finances, Hornberger, du Vorort, Ritter, de l’Administration des Blés, Matter, Chef de l’Office de guerre pour les transports, Ballinari, des C.F.F., et le soussigné2.
Début de la séance: 15 h 30.
M. Hotz déclare que le but de la séance de ce jour est de discuter la proposition française touchant l’utilisation du port de Marseille pour le trafic des marchandises à destination de la Suisse, à la lumière des renseignements et des impressions recueillis par MM. Hohl, Matter et Ballinari lors de leur récent voyage à Paris.
M. Vollenweider commence par un bref exposé de la question. Il rappelle la concurrence traditionnelle qui a toujours opposé Marseille à Gênes. Les Italiens viennent précisément de manifester leur bonne volonté en nous donnant l’assurance que le trafic de marchandises suisses par Gênes pourra reprendre dès que cela sera matériellement possible.
Pour prévenir ce danger que les Français n’ignorent pas, ils nous proposent de nous engager pour 5 ans à réserver le 70% du trafic méditerranéen à destination de la Suisse au port de Marseille. Il semble que le fait que le port de Bordeaux sera bientôt rendu à l’économie française a poussé les Français à nous faire cette proposition. Cependant, tenant compte des aménagements portuaires encore précaires de Marseille et de l’état toujours défavorable des transports, M. Vollenweider est d’avis qu’il faut refuser cette proposition, qui impliquerait pour nous plus d’inconvénients que d’avantages.
M. Matter expose que la délégation suisse à Paris a déjà fait savoir aux Français que leur proposition paraissait difficilement acceptable, pour des raisons pratiques d’abord et ensuite à cause de notre neutralité. Il résume les différents efforts de la délégation suisse pour organiser les transports de marchandises par le port de Toulon, par Bayonne, Cerbère, Hendaye. Dans chaque cas, on s’est heurté à de grosses difficultés matérielles.
M. Matter rappelle d’autre part que le port de Gênes est certes le plus utilisable pour la Suisse. Preuve en soient les grands services qu’il nous a rendus jusqu’en 1940; avant la guerre, environ 2/3 du blé et 1/3 du reste des marchandises vers la Suisse passaient par Gênes. C’était l’inverse pour Marseille. Les marchandises peuvent être acheminées de Gênes en plus grande quantité et plus rapidement que depuis la France. Du côté français d’ailleurs, les transports seront très difficiles aussi longtemps que le viaduc de Pyrimont ne sera pas réparé. On espère qu’il le sera dans le courant de mai. D’autres difficultés proviennent du transit à travers l’Espagne, où l’on manque de locomotives, de personnel et de combustible.
Tout compte fait, la proposition française apparaît inacceptable et il y a lieu, selon M. Matter, de la refuser.
M. Hotz: Les Français nous ont toujours laissé entendre, au cours des négociations de mars, que le port de Marseille était presque entièrement réservé au trafic militaire et que par conséquent nous ne pouvions guère nous attendre à pouvoir l’utiliser pour notre compte. Ils nous font maintenant une proposition qui implique exactement le contraire de leurs affirmations précédentes. C’est pour le moins étonnant.
M. Ritter: La proposition française d’acheminer 70% des marchandises par Marseille lui paraît tout à fait inacceptable. Les possibilités sont à tous points de vue bien meilleures à Gênes. Si encore on pouvait obtenir l’utilisation des silos à Marseille, la situation serait un peu différente (silos de la Madra). D’ailleurs, les tarifs de Gênes sont plus avantageux, la manutention est plus rapide. En outre, point important, nous devons fournir à la France 50 tonnes de charbon par train, alors que pour l’Italie une partie du réseau est électrifiée, ce qui supprime cette difficulté.
En résumé, les conditions suivantes devraient être posées pour l’utilisation de Marseille:
1) Mise à notre disposition de silos.
2) Adaptation des tarifs au même niveau que ceux de Gênes.
3) Qu’ils ne stockent pas la marchandise pendant des jours, mais l’envoient en Suisse aussi rapidement que possible après le débarquement.
Aux conditions ci-dessus, M. Ritter déclare qu’il ne verrait pas d’objection à ce qu’on garantît aux Français un trafic de 20 ou 25 % par Marseille. Il désirerait en outre savoir si, quand on parle d’un trafic quotidien de 900 tonnes par Marseille et de 400 tonnes par Toulon, ces chiffres s’entendent les jours ouvrables seulement ou tous les jours de la semaine? Que les Français, conclut M. Ritter, nous offrent des services comparables à ceux que les grands ports d’Europe ont toujours mis à notre disposition (Gênes, Rotterdam, Anvers, etc.) et nous ne voyons aucune objection à recourir à leur entremise. Il ne faut cependant pas que les lenteurs et les difficultés créées par l’administration française viennent tout compromettre.
M. Ballinari: La proposition française lui paraît incompréhensible et impossible à accepter. Les Français nous ont assez répété que les Américains ne permettraient pas l’utilisation de ce port dans les mêmes proportions qu’auparavant, pour que cela nous ouvre les yeux. Il souligne, lui aussi, les avantages de Gênes par rapport à Marseille. Les marchandises n’y restent entreposées que deux ou trois jours au lieu de 6 à 8 à Marseille. Il surgit toujours d’ailleurs des complications du côté français, qui viennent retarder et entraver les transports. Ceux-ci n’ont-ils pas demandé dernièrement un certificat d’origine pour le charbon que nous nous sommes engagés à leur fournir pour chaque train amenant de la marchandise à travers la France. La conclusion naturelle de ceci est que nous devons essayer d’avoir le plus rapidement possible accès au port de Gênes. Les Italiens savent que les Français essaient d’obtenir de nous un engagement à l’égard de Marseille et sont décidés à faire tout leur possible pour nous être agréables. L’Administration des C.F.F. est en rapports constants avec les autorités italiennes en vue de reprendre le trafic voyageurs et marchandises avec l’Italie du Nord. Elle attend actuellement une réponse sur ce point et ne ménage aucune peine pour arriver à un arrangement. M. Ballinari envisage une conférence prochainement à Chiasso pour examiner ces questions.
M. de Torrenté: Il est évident que nous ne pouvons pas accepter la proposition des Français. Ceux-ci font un nouvel effort auprès des Alliés en vue d’obtenir que Marseille retrouve sa position d’avant-guerre, mais il est peu probable qu’ils y réussissent.
M. de Torrenté désire poser en outre certaines questions:
1) Qu’en est-il de l’utilisation du port de Cette3?
Présente-t-il un intérêt pour nous?
2) Qu’en est-il du trafic Bilbao/Pacajes?
3) Question du trafic entre Barcelone et Cerbère, qui, selon un récent rapport de la Légation à Madrid, se présenterait plus favorablement depuis que les Espagnols ont accepté de fournir des wagons supplémentaires. M. de Torrenté insiste sur la nécessité d’envoyer une mission technique en Espagne, si nos espoirs concernant Gênes ne se réalisent pas dans un très proche avenir. Le danger existe en effet que nos négociations économiques en Espagne soient compromises, si cette question de transports n’est pas réglée d’une façon ou d’une autre. Cette délégation devrait faire un nouvel effort pour dégager Canfranc. Elle devrait être composée de personnalités suffisamment importantes pour ménager la susceptibilité espagnole.
M. de Torrenté relève enfin qu’en ce qui concerne le charbon, nous avons pu obtenir, en contre-partie de nos livraisons de papier, que les Français mettent à notre disposition 1500 tonnes de «charbon flambant» quelque part en France. C’est toujours autant que nous n’aurons pas à prélever sur notre stock.
M. Reinhardt relate qu’il a rencontré récemment par hasard M. Vaidie à sa sortie du train qui le ramenait de Paris. Ils parlèrent de la proposition française relativement à Marseille et M. Vaidie manifesta le plus grand étonnement quand M. Reinhardt lui déclara que la proposition française était inacceptable. On pourrait, dit-il, réduire la proportion de 70 à 60%. Ceci dénote simplement que les Français sont bien loin de comprendre notre point de vue.
M. Hornberger: Il est évident que des raisons techniques et politiques s’opposent à l’acceptation de la proposition française. En outre, du simple point de vue de notre politique commerciale, elle est absolument inacceptable, car elle constitue un grand danger pour nos relations futures avec les autres Etats. Il importe de ne pas créer de précédent de ce genre et de ne pas s’engager dans un domaine où nous devons garder les mains entièrement libres.
Quel intérêt aurions-nous d’ailleurs à contracter un tel engagement vis-à-vis de la France, alors que la situation en Italie semble beaucoup moins noire qu’on ne pouvait le craindre et que les destructions qu’on croyait inévitables ne se sont pas produites? Nous aurons tout intérêt à utiliser le port de Gênes dès que cela sera possible, mais de ce côté-là aussi, sans aucun engagement pour nous.
M. Hohl rappelle que 80% de nos importations d’avant-guerre provenaient du Nord et 20% seulement de la Méditerranée. Il serait donc imprudent de nous engager à utiliser un port méditerranéen pour une si forte proportion de nos importations, ce qui créerait en outre un précédent regrettable. Demain Amsterdam, Anvers et d’autres ports seront peut-être à notre disposition. Il faudra alors que nous soyons libres d’avoir recours à leurs services. Il faut donc refuser la proposition des Français, mais y mettre certaines formes, afin de ne pas les indisposer et compromettre le transit quotidien de 900 tonnes que nous avons obtenu à travers ce pays. Les ports de la Mer du Nord et de Gênes ne seront pas si vite ouverts et jusque-là nous dépendons entièrement de la France. Notre réponse doit donc être extrêmement prudente et comporter néanmoins certaines assurances que nous utiliserons Marseille dans la mesure du possible,
M. Hotz est entièrement d’accord avec cette façon de voir de M. Hohl et appuie sur le fait que notre refus devra être fait selon certaines formes, pour ne pas compromettre l’avenir de nos relations avec la France.
M. Ballinari tient à répondre aux questions posées par M. de Torrenté concernant l’Espagne. Il souligne que la délégation suisse est allée à Paris pour examiner de nombreuses questions, dont certaines concernaient les transports à travers l’Espagne. Les 1800 tonnes qui devaient être transportées quotidiennement de Cerbère ne pouvaient y être acheminées. Aussi a-t-on pensé à Canfranc, où 3000 tonnes se trouvaient emmagasinées. Mais une fois que celles-ci furent écoulées, les Français manifestèrent le désir que Canfranc fût abandonné en faveur de Hendaye.
M. Ballinari déclare que les C.F.F. n’entretiennent aucun rapport direct avec les Chemins de fer espagnols et ne voit pas par conséquent la possibilité de prendre le contact préconisé par M. de Torrenté. Il rappelle les difficultés créées par le manque de wagons: les Français n’en ont pas, même pour leurs propres exportations.
M. Matter répond à la question de M. Ritter au sujet de la moyenne quotidienne des marchandises transportées. Le chiffre varie tous les jours, mais on peut compter environ 1200 tonnes par jour en moyenne.
Quant au port de Cette, les Français ont déclaré que sa profondeur insuffisante rendait son utilisation impossible pour le trafic des marchandises à destination de la Suisse. Il est donc exclu pour le moment.
En ce qui concerne le trafic en Espagne et au Portugal, M. Matter rappelle que vu les difficultés matérielles continuelles, il se peut fort bien qu’un jour la possibilité nous soit enlevée d’exporter par cette voie. Il serait dangereux, en telle éventualité, que nous ne disposions pas d’une partie du port de Marseille4.
Les transports entre Bilbao et Pacajes sont trop chers. M. Matter ne croit donc pas que la suggestion de M. de Torrenté puisse être réalisée. Il ne voit pas bien la nécessité de l’envoi d’une délégation technique en Espagne. Il estime que les conditions matérielles sont telles qu’on ne peut guère y remédier par des conversations. Il tient à souligner enfin l’importance du port de Marseille, bien plus au point de vue de nos exportations que de nos importations. Cela revient moins cher que par Cerbère et c’est plus commode. Il faut donc faire attention de ne pas compromettre, dans notre réponse aux Français, les facilités que nous avons actuellement par Marseille.
M. de Torrenté, lorsqu’il a proposé de régler le transit à travers l’Espagne, supposait que nous ne disposions pas du port de Marseille. Ce n’est pas une délégation des C.F.F. qu’il faudrait envoyer en Espagne, mais bien de l’Office de guerre pour les transports, afin que la délégation commerciale qui ira négocier en Espagne n’ait pas à s’occuper de cette question, qui compromettrait complètement ses efforts. Elle aura déjà bien assez d’ennuis pour remettre sur pied l’accord de transports par mer, que les Espagnols menacent de dénoncer.
Qu’a-t-on décidé à Paris en ce qui concerne le port de Bayonne?
M. Matter: la question est encore à l’étude.
M. de Torrenté: En tout cas, si l’on n’envoie pas de délégation technique en Espagne, il fait toutes réserves et demande qu’on décharge de cette question la délégation économique. Ce sera malheureusement très difficile à réaliser pratiquement.
M. Hohl souligne l’importance de pouvoir mettre un terme au monopole des transports dont jouissent pratiquement l’Espagne et le Portugal. Ce n’est pas une raison toutefois pour négliger nos possibilités de transports à travers l’Espagne, qu’il convient d’améliorer autant que possible.
M. Hornberger, comme M. de Torrenté, est partisan de l’envoi d’une délégation technique en Espagne. Il se demande cependant comment on va faire pratiquement pour liquider cette question. Ne serait-il pas opportun d’expliquer très franchement aux Français que les 70% qu’ils nous proposent ne correspondent strictement à rien, leur accorder une sorte de clause de la nation la plus favorisée négative, en ce sens que nous nous engagerons à ne prendre avec aucun autre pays l’engagement que nous refusons de prendre avec eux?
M. de Torrenté souligne le danger qu’il y a à exposer ce point de vue par écrit aux Français, car ils risquent de n’y pas répondre.
M. Hohl: Comme on l’a déjà dit précédemment, si nous refusons purement et simplement, nous aurons des difficultés. Il faut laisser entendre que nous avons le plus grand intérêt pour Marseille, mais poser tout de suite nos conditions (celles que rappelait M. Ritter au début de la conférence). Si possible, traiter cette affaire oralement. On pourra exposer ce point de vue dans une proposition au Conseil fédéral, qui décidera en fin de compte5.
- 1
- Procès-verbal: E 2001 (E) 2/608. Paraphe: BH.↩
- 2
- J. - P.Jéquier, du Département politique, a rédigé et signé ce procès-verbal le 2 mai 1945. Cette question avait déjà été discutée lors d’une séance du 26 avril 1945 sur les relations commerciales avec la France.↩
- 4
- Sur l’importance de l’Espagne pour l’approvisionnement de la Suisse, cf. E 2001 (D) 3/277, E 2001 (E) 2/627, E 2200Paris/30/1 et 13, E 2800/1967/61/97, E 2809/1/2 et E 7110/1973/ 135/24-25.↩
- 5
- Lors de sa séance du même jour, le Conseil fédéral approuve un arrangement technique relatif à la liquidation du clearing franco-suisse (cf. PVCF No 957 du 1er mai 1945, E 1004.1 1/457). Lors de sa séance du 8 mai, le Conseil fédéral autorise le Département politique à entamer des négociations commerciales avec la France (cf. PVCF ° 1029, E 1004.1 1/457). Sur ces négociations, qui s’ouvrent à Paris le 14 mai, cf. E 2001 (E) 2/608, E 7110/1973/ 135/13.Un rapport du Département publique à ce sujet est approuvé par le Conseil fédéral lors de sa séance du 24 mai 1945 (cf. PVCF ° 1123, E 1004.1 1/457).↩
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