Classement thématique série 1848–1945:
IX. QUESTIONS DE DÉFENSE NATIONALE
IX.3. DÉSARMEMENT
Également: Commentaire de la réponse du DMF. Annexe de 30.12.1938
Également: Réponse du Conseil fédéral. Annexe de 31.12.1938
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 456
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1554#248* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1554 22 | |
Dossier title | Initiative norvégienne pour la reprise des travaux du désarmement (1938–1939) | |
File reference archive | E.52.32 |
dodis.ch/46716
En septembre dernier, la Légation de Norvège nous avait exposé, par une lettre dont vous trouverez sous ce pli la copie2, que, lors de leur réunion de Copenhague, les Ministres des affaires étrangères des Etats neutres avaient chargé leur collègue de Norvège de s’enquérir auprès du Conseil fédéral comme auprès d’autres gouvernements s’il ne conviendrait pas d’adresser un appel aux grandes puissances en vue d’une reprise des travaux du désarmement. La question étant des plus délicates, nous nous étions bornés à faire savoir à la Légation de Norvège que nous aurions sans doute l’occasion de nous en entretenir encore avec M. Koht lors de l’Assemblée de la Société des Nations.
A la suite des graves événements politiques qui se produisirent en septembre, l’occasion ne nous fut pas fournie d’avoir un entretien avec le Ministre des affaires étrangères de Norvège. La situation générale avait d’ailleurs à tel point empiré que nous pouvions admettre que le Gouvernement norvégien ne se faisait plus beaucoup d’illusions sur les chances de succès d’une démarche auprès des grandes puissances.
Le Gouvernement norvégien n’a cependant pas renoncé à son projet. Se fondant sur les déclarations faites, le 26 octobre - non pas le 26 septembre comme on nous l’écrit - par le Président Roosevelt sur l’absurdité de la course aux armements, il se montre désireux de prier, au nom d’un certain nombre de pays, le Président des Etats-Unis d’Amérique d’intervenir auprès des grandes puissances aux fins de les amener à examiner en commun «les possibilités d’une limitation ou même d’une réduction des armements».
Ci-joint copie de la note3 que nous avons reçue de M. Irgens, Ministre de Norvège en Suisse; nous y joignons la copie de la lettre4 par laquelle notre Ministre à Rome nous a transmis la communication de la Légation de Norvège.
Nous venons d’accuser réception à M. Irgens de sa lettre en lui faisant savoir que les Autorités fédérales examineraient la suggestion norvégienne avec toute l’attention qu’elle mérite.
En raison de l’importance de cette démarche, il y aura lieu, pensons-nous, de soumettre la question au Conseil fédéral.
Avant de le faire, nous serions heureux de connaître votre sentiment.
Quant à nous et vu surtout le fait que, selon les informations de notre Légation à Rome, tous les Etats consultés (soit les trois Etats baltes, la Yougoslavie, la Roumanie et la Turquie), sauf la Bulgarie et la Suisse, auraient déjà répondu favorablement, nous verrions plutôt des inconvénients à ne pas approuver l’initiative norvégienne. La note que M. Koht adresserait au Président Roosevelt ne nous engage à rien. Ce n’est guère qu’une alarme donnée par les petits pays au spectacle de la ruineuse course aux armements à laquelle se livrent les grandes puissances. Et tous les petits pays ont évidemment des raisons de s’alarmer de cette rivalité intensive d’arsenaux.
Cela ne veut pas dire que nous nous fassions des illusions sur le succès de l’initiative norvégienne. Notre humanité n’est malheureusement guère mûre pour le désarmement. Et même si elle était plus accessible à la pensée généreuse de M. Koht, il serait permis d’entretenir des doutes sur l’opportunité présente de la démarche. Elle nous paraît, à dire vrai, assez intempestive. L’état des relations entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Allemagne n’est guère de nature à encourager le Gouvernement américain à s’aventurer dans la voie qu’on lui indique; d’un autre côté, des pays comme le Japon, qui s’est jeté dans une immense aventure, ou comme la Grande-Bretagne, qui entend posséder à tout prix une armée propre à lui restituer tout son crédit diplomatique, ne se résoudraient pas facilement à relâcher leur effort militaire. Et l’on peut augurer diversement de l’accueil que Rome et Berlin réserveraient à une tentative qui n’est guère dans la ligne du dynamisme totalitaire.
En tout état de cause, si nous répondions favorablement au Gouvernement norvégien, il ne serait pas inutile de marquer, fût-ce sous une forme très voilée, notre scepticisme à l’égard des possibilités qu’offrirait, à l’heure actuelle, son action en faveur du désarmement. Il suffirait de dire, par exemple, que le Gouvernement suisse ne peut qu’approuver, lui aussi, la démarche que le Gouvernement norvégien se propose d’entreprendre au moment qu’il jugera le plus opportun. Nous ne ferions pas obstacle à son désir, fort louable en soi, mais nous lui laisserions ainsi la responsabilité du moment.
Nous aurions, au surplus, certaines réserves à formuler quant à la manière dont la Norvège pose le problème, mais si nous en parlons, ce n’est pas pour en faire état présentement vis-à-vis du Gouvernement d’Oslo. Il nous serait toujours loisible d’y revenir plus tard.
Si la conférence pour la réduction et la limitation des armements a fait lamentablement faillite, on peut quand même en tirer certains enseignements. Et le premier, à notre avis, qui s’en dégage, c’est que le problème des armements est avant tout un problème de grandes puissances et que c’est, par conséquent, entre les grandes puissances qu’il devrait être débattu. Les petits pays n’ont aucune responsabilité dans l’échec de la conférence. Ils ont fait, au contraire, des efforts méritoires pour sauver quelque chose de la débâcle. Ce n’est pas eux, ce ne sont pas surtout leurs armements qui menacent la paix. On serait bien inspiré, dès lors, en ne les associant pas derechef et tout de suite à des discussions interminables sur des coefficients de réduction des effectifs ou des bouches à feu. Le jour où les armements des grands pays auraient réellement subi une réduction substantielle, il serait toujours assez tôt de demander aux Etats faiblement armés d’apporter leur contribution à l’œuvre de la paix. Encore ne devrait-on faire appel à leur esprit de sacrifice qu’après un examen minutieux de ce que représenteraient effectivement leurs forces armées laissées intactes par rapport à l’appareil militaire et au potentiel de guerre dont disposeraient encore les grandes puissances après les augmentations auxquelles elles auraient bon gré mal gré consenti. Une des grandes erreurs de la conférence du désarmement a été de rechercher des formules mathématiques de réduction qui s’appliqueraient invariablement à toutes les armées du monde, qu’il s’agisse de l’armée française ou allemande ou qu’il s’agisse de l’armée danoise ou lettone. C’est pourquoi, lorsque, dans sa note du 5 septembre, la Légation de Norvège écrit qu’«il est évident que, si les grandes puissances acceptent de limiter leurs armements ou même de les réduire, il n’y aura pas de difficulté à persuader les Etats moyens ou petits à le faire», nous avons peine à nous soustraire au sentiment que cette manière de juger les choses ne tient pas équitablement compte des réalités.
Mais, encore une fois, il ne s’agit pas là d’une question actuellement en discussion. Nous n’avons néanmoins pas cru devoir passer complètement sous silence une conception du désarmement qui, par sa généralité même, n’est plus guère, à nos yeux, défendable. Dans ses instructions à la délégation suisse à la dernière Assemblée de la Société des Nations, le Conseil fédéral avait déjà déclaré: «La limitation des armements est, avant tout, un problème de grandes puissances.»
En vous priant de nous faire connaître votre avis5 sur la réponse à faire au Gouvernement norvégien, nous vous présentons, Monsieur le Conseiller fédéral, l’assurance de notre haute considération6.
- 1
- Lettre (Copie): E 2001 (D) 4/22. Paraphe: OT.↩
- 2
- Non reproduite.↩
- 3
- Non reproduite.↩
- 4
- Non reproduite.↩
- 5
- Le procès-verbal de la séance du Conseil fédéral du 30 décembre 1938 résume la réponse du Département militaire et la discute en ces termes: Le département militaire a répondu qu’il n’estimait pas non plus que la Suisse devait se montrer hostile à l’initiative norvégienne. Il est cependant d’avis qu’il conviendrait de faire savoir sans ambages à Oslo que le moment pour une action en faveur du désarmement n’est pas opportun et que, pour cette raison, la Suisse ne saurait présentement s’y associer. On peut se demander s’il est bien expédient de donner à notre réponse un tour aussi négatif. Sans rien changer à l’attitude prise, on ferait peut-être mieux, après avoir rendu hommage à l’esprit qui anime la suggestion norvégienne, de se borner à mettre en doute l’opportunité d’une action en vue du désarmement dans l’état actuel des choses. Point besoin ne serait de préciser que l’on ne saurait participer à la démarche envisagée. Cela résulterait suffisamment de notre réponse. Une divergence de vues ne doit pas subsister sur cette simple question de méthode, les vues du département politique et du département militaire concordant entièrement sur le fond (E 1004.1 1/380, No2364).↩
- 6
- Par note du 31 décembre 1938, le Département politique répondait en ces termes au Gouvernement norvégien: Pour faire suite à notre lettre du 24 novembre, nous avons l’honneur de faire savoir à Votre Excellence que le Conseil fédéral a pris connaissance avec le plus vif intérêt du projet du Gouvernement norvégien tendant à intervenir auprès du Président Roosevelt en vue d’une reprise éventuelle des travaux du désarmement. Il n’a pu que rendre hommage à l’esprit dont s’inspire un dessein aussi louable. Sa pleine sympathie est d’ores et déjà acquise à tout ce qui pourra être entrepris pour mettre fin à la ruineuse course aux armements. Si désireux qu’il serait de voir aboutir l’initiative du Gouvernement norvégien à un résultat concret, il a des doutes, cependant, sur l’opportunité d’une pareille démarche auprès des grandes puissances dans les circonstances actuelles. Il incline à penser qu’elle demeurerait infructueuse (E 2001 (D) 4/22).↩
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