Classement thématique série 1848–1945:
I. SOCIÉTÉ DES NATIONS
2. La Suisse et l’admission de l’Union soviétique à la SdN
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 62
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1535#753* | |
Dossier title | Délégation suisse à la 15ème assemblée de la SdN (1934–1934) | |
File reference archive | B.56.01.28.2 |
dodis.ch/45983
Séance tenue le 3 septembre 1934, au Palais fédéral, pour la discussion des instructions de la Délégation suisse à la XVe Assemblée de la Société des Nations1
Participaient à la séance:
M. G. Motta, Conseiller fédéral, Chef du Département politique, Président,
M. M. Pilet-Golaz, Président de la Confédération,
M.E. Schulthess, Conseiller fédéral, Chef du Département de l’Economie publique,
M. le Ministre M. de Stoutz, Chef de la Division des Affaires étrangères,
M. W. Rappard, Directeur de l’Institut universitaire des hautes études internationales,
M. le Ministre W. Stucki, Chef de la Division du Commerce,
M. R. Schöpfer, Conseiller aux Etats2,
M. A. Oeri, Conseiller national3,
M. C. Gorgé, Chef de la Section de la Société des Nations du Département politique fédéral,
M. Ph. Zutter, Juriste au Département politique fédéral.
M. Schulthess, absent au commencement de la séance, n’arrive qu’à 11 h 15. [...]
Point 16. C’est le point central de la discussion, à savoir l’admission éventuelle de la Russie dans la Société des Nations.
M. Motta informe confidentiellement les membres de la délégation qu’il a été l’objet d’une triple démarche de la part des gouvernements français, britannique et italien. L’Ambassadeur de France lui a fait savoir que son gouvernement comprenait qu’il serait impossible au Conseil fédéral de voter oui. Tout en se défendant de vouloir exercer aucune pression sur la décision de la Suisse, il lui a laissé entendre que le gouvernement français serait heureux si la délégation suisse s’abstenait plutôt que de voter négativement. Le Ministre de Grande-Bretagne a fait une déclaration analogue à M. de Stoutz.4 Quant à M. Marchi, il comprend qu’il serait difficile à la Suisse de se prononcer autrement que par la négative. M. Motta ajoute qu’il a reçu plusieurs communications écrites. Il lit un rapport de notre Légation à Paris qui confirme le fait que la France, la Grande-Bretagne et l’Italie avaient décidé de faire une démarche commune.5 Des associations ont également saisi le Conseil fédéral de différents vœux. L’Association suisse pour la Société des Nations eût, en particulier, désiré que la Suisse votât oui, mais comme cela semble impossible, elle attacherait du prix à ce que la délégation s’abstînt.6 Plusieurs sociétés patriotiques sont vigoureusement intervenues pour que le vote soit négatif.7M. Motta consulte les membres de la délégation.
M. Rappardse défend d’être enclin aux jugements absolus, mais il lui est impossible de comprendre quelles raisons militent en faveur d’une position négative. L’attitude des trois grandes puissances dont il a été parlé précédemment est significative. Dans le cas où la Suisse voterait non, seuls deux pays se réjouiraient, pour des raisons évidentes: l’Allemagne et le Japon. Il est à considérer, d’autre part, qu’il n’y a pas eu aux précédentes Assemblées de délégations qui aient plus constamment prêché l’universalité de la Société des Nations que la délégation suisse. Il serait paradoxal de se départir subitement de cette attitude. Avant l’entrée de l’Allemagne dans la Société des Nations, la délégation suisse a conseillé à plusieurs reprises aux Français de ne pas s’opposer à l’admission de leurs anciens ennemis. Les raisons que la France aurait eues de faire obstacle à l’entrée de l’Allemagne étaient pourtant plus importantes que les raisons que nous pourrions avoir de nous opposer à l’admission de l’U.R.S.S. Depuis que la Société des Nations existe, les membres ont toujours tous été reçus à l’unanimité. Si la Suisse vote non, elle se singularisera d’autant plus que ce sera la première fois qu’ un membre fait opposition à l’entrée d’un candidat.
D’ailleurs, tout ce que nous ferons n’aura aucun résultat pratique, car la Russie sera admise de toute façon. Nous avons donc tout à perdre et rien à gagner en nous opposant à son entrée. L’intérêt politique et économique de la Suisse nous commandent [sic] l’abstention. On peut se demander d’ailleurs ce que l’on a attendu et ce que l’on attend encore à Berne pour reconnaître les soviets dont le régime est très solidement établi. Quant à l’opinion publique suisse, il semblerait que le parti socialiste et, en particulier, M. Nicole8 seraient assez désireux que le Conseil fédéral votât non. Ce serait un excellent argument d’opposition. Les socialistes de Genève n’ont pas d’intérêt, en effet, à voir les Russes dans la place. Le régime russe est, à l’heure actuelle, fondé sur la force des armes et les socialistes suisses estiment préférable que notre population l’ignore. Ils aiment mieux agiter le spectre lointain de la révolution. En ce qui concerne la Russie elle-même, le régime est établi. Il peut évoluer plus ou moins rapidement, mais l’évolution sera plus rapide si le gouvernement russe a des contacts avec des Etats étrangers. En conclusion, il conviendrait si possible de voter oui après avoir fait une campagne pour éclairer l’opinion publique. A ce défaut, il faudrait s’abstenir. Si la conférence estime que l’abstention n’est pas possible, il faudrait ne rien décider avant que M. Motta ait été à Genève.
M. Rappard prévoit que sa thèse rencontrera de l’opposition au sein de la délégation. On lui opposera les persécutions religieuses.9 Il estime toutefois que l’argument basé sur l’activité des sans-Dieu n’est qu’un argument sentimental. Quant aux dangers que l’idéal russe ferait courir à l’idée du foyer, nous serons moins bien placés pour nous y opposer si nous avons écarté les Russes de notre chemin. En conséquence, nous n’aurions pas le droit de prendre une décision politique qui se base sur des considérations sentimentales ou intellectuelles.
M. Stucki est d’accord avec M. Rappard quant à l’aspect économique de la question. Un vote négatif ne pourra, en effet, qu’aggraver nos relations commerciales avec la Russie.10 Il est à remarquer toutefois que l’U.R.S.S. n’achète en Suisse que le strict minimum, mais, depuis que les relations de l’U.R.S.S. avec l’Allemagne se sont modifiées, la Russie a l’intention de nous passer de plus fortes commandes. Mais toutes ces commandes sont grevées de la clause de la compensation en marchandises. Les importations de la Russie portent sur une somme annuelle de 10 millions et les exportations, de 6 millions. En définitive, le commerce avec ce pays n’est pas d’une importance capitale pour le marché suisse.
Quant au côté politique de la question, M. Stucki est intimement convaincu qu’il convient de voter non. La demande d’admission des Russes lui paraît particulièrement cynique. Les dirigeants de l’U.R.S.S. ont toujours et ouvertement lutté jusqu’ici contre la Société des Nations. Maintenant qu’ils ont un intérêt passager à être admis en raison de la tension de leurs relations avec le Japon, ils veulent se faire inviter. Il ne serait pas indiqué pour le Conseil fédéral de juger la situation uniquement à un point de vue utilitaire. Quant à la démarche des trois grandes puissances auxquelles il a été fait allusion précédemment, elle ne devrait pas être suffisante pour modifier notre point de vue car elle est manifestement intéressée. En conclusion, même si nous sommes les seuls, votons non.
M. Schöpfer partage la manière de voir de M. Stucki. En ne votant pas négativement, nous irions au-devant de difficultés intérieures. Il est d’ailleurs à redouter qu’en prenant pied en Suisse, les soviets ne fassent une propagande intensive dans notre pays. Il faudrait éviter de revenir aux jours sombres de l’après-guerre. Pas de courbettes. C’est contre la dignité, contre le prestige de notre pays, c’est dégradant.
M. Oeri est également d’avis que la délégation suisse devrait se prononcer négativement, pour des raisons de politique extérieure et intérieure. En premier lieu, il convient de se demander s’il est de l’intérêt de la Société des Nations ou pas de compter l’U.R.S.S. parmi ses membres. M. Oeri croit que cet intérêt n’existe pas. Il reconnaît volontiers que la Suisse s’est toujours prononcée pour l’universalité de la Société. Mais il ne faut pas s’en tenir à ce principe jusqu’à l’absurde, c’està-dire jusqu’à l’admission par la Société des Nations de son ennemie déclarée. La Russie a des raisons évidentes pour changer sa politique en ce moment, vu les dangers que lui fait courir le Japon. En entrant dans la Société, la Russie acquerrait une puissance considérable car elle serait inévitablement nommée membre permanent du Conseil. C’est une chose à laquelle il faut songer sérieusement avant de prendre une détermination. La Russie utilisera sans doute cette puissance pour extorquer des avantages.
On objectera, poursuit M. Oeri, que la Russie entrera de toute façon dans la Société des Nations, quelle que soit notre attitude. Mais nos relations internationales avec les pays qui voteront pour son entrée seront-elles modifiées si nous nous opposons catégoriquement? M. Oeri ne le croit pas et même si certaines difficultés surgissaient de ce fait, elles ne seraient vraisemblablement que temporaires. Nous pouvons d’autant plus voter non que les Etats qui se prononceront affirmativement devront tôt ou tard reconnaître qu’ils ont fait fausse route.
Pour ce qui est de la politique intérieure, M. Oeri est d’accord avec M. Schöpfer: Il nous faut éviter de favoriser l’établissement d’un nid de propagande à Genève. Si nous votions oui, nous devrions logiquement reconnaître la Russie sur le terrain diplomatique. Il est à souligner, d’autre part, que nous ne possédons pas des moyens de police suffisants pour nous protéger contre une propagande intensive. Il sera intéressant de voir quelles modalités seront fixées en ce qui concerne la procédure d’invitation.
M. Gorgé se rallie personnellement à la manière de voir de M. Rappard. A son avis, il nous faudrait nous abstenir. Le mouvement d’opinion que l’on constate en Suisse contre la candidature de l’U.R.S.S. provient en grande partie d’une conception erronée que le public se fait de la Société des Nations. Le fait de participer à cet organisme n’est pas seulement un honneur ou un privilège, mais surtout une charge. On est forcé de constater, d’autre part, que la Société des Nations subit une éclipse. L’entrée de l’U.R.S.S. lui donnerait certainement un regain de vitalité. La Société des Nations se doit de s’occuper des purs comme des impurs. Si nous voulions nous opposer, nous aurions déjà dû le faire précédemment.
Mais l’argument principal est qu’un non de notre part serait gros de conséquences. Il nous entraînerait dans une situation juridique inextricable. Comme la Russie entrera de toute façon dans la Société, nous serions liés par le pacte pour intervenir, au besoin, en faveur de la Russie. Il s’ensuit logiquement que nous devrions sortir de l’institution de Genève. L’abstention constituerait la meilleure solution; elle équivaudrait à un non sans conséquence juridique.
M. Schulthess est d’avis qu’il faut voter non pour les différentes raisons qui ont été exprimées par MM. Stucki, Schöpfer et Oeri. Si toutefois il s’avérait très dangereux de ne pas s’abstenir, il conviendrait que M. Motta examinât encore la situation. Quoi qu’il en soit, lorsque les Russes seront à Genève, il faudra absolument disposer d’une police fédérale.
M. Pilet-Golazason siège fait de façon catégorique: Il faut voter non. Le Président de la Confédération a écouté M. Rappard avec grand intérêt, mais il lui est impossible de voir la situation avec un tel détachement. Il se demande, d’une façon générale, à quoi peut encore servir la Société des Nations qui, ajoute-t-il, a échoué dans toutes ses tentatives. La Société des Nations est devenue l’instrument des grandes puissances et la démarche que trois de ces dernières viennent de faire auprès du Conseil fédéral est fort déplaisante. D’autre part, les considérations de politique intérieure sont déterminantes. En s’abstenant, le Conseil fédéral alimenterait le mécontentement des partis nationaux. En votant non, le gouvernement serait en meilleure position pour combattre, le cas échéant, une initiative tendant à la sortie de la Suisse de la Société des Nations dont nous avons tout de même avantage à rester membre.
M. Motta a beaucoup réfléchi à cette grave question. Primitivement, il était d’avis que l’abstention suffirait. Maintenant et pour les raisons indiquées précédemment par certains membres de la conférence, il est convaincu que le vote négatif s’impose.
M. de Stoutz est également d’avis qu’il convient de voter non.
M. Motta résume la situation en déclarant que la délégation pour les affaires étrangères proposera au Conseil fédéral de se prononcer à l’unanimité en faveur du vote négatif.11
- 1
- Propositon: E 2001 (C) 5/75.↩
- 2
- En réalité RobertSchöpfer, Conseiller d’Etat radical de Soleure, et membre de la délégation suisse à la SdN, a abandonné en 1933 le siège au Conseil des Etats qu’il détenait depuis 1917.↩
- 4
- Cf. no 61, n. 4.↩
- 5
- Cf. no 61.↩
- 6
- Dans sa lettre du 2 septembre l’association conclut: [.. J Nous insistons d’abord sur le fait que les représentants des sections ont parlé en leur nom personnel, estimant n’avoir pas le droit d’engager les sections qui n’ont pas encore eu l’occasion de délibérer sur ce problème. – L’impression générale est que, même en Suisse romande et beaucoup plus encore en Suisse allemande, une bonne partie des citoyens demeure à peu près indifférente à la question. Parmi ceux qui s’en préoccupent, il est bien difficile de dire de quel côté penche la majorité; de sorte que ni les représentants du non ni ceux du oui n’ont le droit de parler au nom du peuple suisse. Le Comité central lui-même ne prétend pas représenter d’une façon exacte l’opinion de l’Association; les chiffres suivants n’en sont pas moins intéressants: par 26 voix contre 3 (et une abstention) le Comité central a exprimé son désir de voir l’U.R.S.S. entrer dans la S.d.N. Il a examiné ensuite la question d’un vœu à exprimer au Conseil fédéral. Par 16 oui contre 4 non, il aimerait que la délégation puisse voter pour l’entrée de l’U.R.S.S.: vu les difficultés de la politique intérieure, il sait pourtant d’avance qu’un oui de la délégation est improbable; cela étant, certain qu’un oui ou qu’un non froisserait les sentiments et convictions d’une partie respectable de notre peuple, le Comité central se permet, par 23 voix, de recommander à la délégation l’abstention, à titre de simple désir et sans vouloir empiéter par là sur la compétence du Conseil fédé ral en matière de politique extérieure (E 2001 (C) 5/107).↩
- 7
- Cf. no 57, n. 6.↩
- 8
- Leader du Parti socialiste genevois et Président du Conseil d’Etat à majorité socialiste, élu en novembre 1933 à Genève.↩
- 9
- Cf. no 57, n. 6.↩
- 10
- 9. Cf. DDS vol. 10, rubrique 11.23.1: Union soviétique, relations commerciales et financières.↩
- 11
- Le Conseil fédéral se rallie à ce point de vue et formule l’instruction suivante pour la délégation suisse: 16. Admission de l’U.R.S.S. dans la Société des Nations. – Si l’U.R.S.S. demandait à être admise au sein de la Société des Nations, la délégation se prononcerait négativement et expliquerait, le cas échéant, cette attitude (PVCF no 1569 du 4 septembre, E 1004 1/348). Le Chef du Département politique s’en explique le 17 septembre dans un discours remarqué à la VIe commission de l’Assemblée générale de la SdN. Le lendemain il précise encore: La Délégation suisse s’est expliquée, hier, à la sixième Commission, sur son attitude. Sans méconnaître les arguments des Délégations qui jugent utile et même nécessaire de tenter le risque évident et généralement reconnu d’une collaboration avec l’Union soviétiste au sein même de la Société des Nations, nous maintenons notre vote négatif et confirmons les raisons qui l’ont dicté. Tout à l’heure, après que l’U.R.S.S. aura été admise, l’Assemblée sera saisie d’une décision unanime du Conseil tendant à attribuer au nouveau membre un siège permanent. Il est vrai que la Russie présente tous les caractères d’une grande Puissance et que, conformément aux précédents, elle peut revendiquer, en cette qualité, un tel siège. Mais, vu l’attitude de principe adoptée par le Conseil fédéral suisse à l’égard de la demande d’admission, sa Délégation ne peut émettre, quant à ce point spécial, qu’un vote d’abstention (Déclaration de M. le conseiller fédéral Motta... devant l’Assemblée plénière de la Société des Nations (15e session) le 18 septembre 1934, E 2001 (C) 5/107). Pour les réactions dans les capitales étrangères, cf. notamment les lettres du Ministre de Suisse à Paris, le 18 septembre, et du Ministre de Suisse à Berlin, le 19 septembre inE 2001 (C)5/107.↩
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Admission of the Soviet Union to the League of Nations (1934)
Russia (General) League of Nations