Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 183
volume linkBern 1988
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001B#1000/1503#2799* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(B)1000/1503 67 | |
Dossier title | Finanzkonferenz in Genua, III (1922–1922) | |
File reference archive | C.21.6 |
dodis.ch/44825
Nous sommes au début de la troisième semaine. Je fais un effort pour chercher les lignes maîtresses qui devraient indiquer l’orientation générale de la Conférence, mais j’avoue que j’ai quelque peine à voir clair et à vous donner des renseignements précis. La presse est d’ailleurs si remplie d’informations, exactes et inexactes, sur la Conférence de Gênes que ces lignes ne peuvent avoir qu’un but: vous donner les impressions d’un homme qui voudrait être impartial.
Il me paraît désormais certain que, dans les matières économiques et financières, la Conférence n’aboutira pas à des conventions entre les Etats, mais uniquement à des recommandations et à de bons conseils.2
La question du consortium international sera peut-être réglée. Il sera probablement décidé de faire plus tard une conférence des banques d’émission des différents pays. Mais en dehors de ces deux solutions concrètes (et d’ailleurs de valeur assez relative), je n’aperçois comme résultat économique et financier de. la Conférence que la proclamation de quelques principes théoriques du type de ceux qui avaient déjà été proclamés, en 1920, par la Conférence de Bruxelles.3
La question de la stabilisation du mark était, sans doute, la question la plus grave, la plus urgente et, pour nous surtout, la plus intéressante. Mais la signature du traité germano-russe qui a eu lieu le jour de Pâques, à Rapallo, a fait, là aussi, un mal incalculable. La confiance, qui n’avait qu’un souffle de vie, est morte. La réponse des Allemands à la note des Alliés – réponse qui était, en somme, modérée et conciliante et qui semblait de nature à clore le grave incident entre les vainqueurs et le vaincu – a appelé une réplique des Alliés. Vous en connaissez sans doute le texte. Cette réplique a été arrêtée par les Alliés sous la pression de la Délégation française. Celle-ci est harcelée par M. Poincaré. On prétend que M. Poincaré aurait envoyé, en un seul jour, dix-sept dépêches à M. Barthou. Je sais que M. Barthou n’a pas été sans exprimer quelque étonnement sur la manière dont il est traité. Il désire, je crois, que M. Poincaré vienne lui-même à Gênes pour constater que l’atmosphère de la Conférence n’est pas celle des boulevards de Paris.
On ne sait pas, à l’heure où j’écris, avec certitude, si les Allemands accepteront purement et simplement la réplique des Alliés ou s’ils seront tentés de présenter encore une deuxième note, c’est-à-dire une duplique. Le secrétaire particulier de M. Schanzer, Monsieur l’ingénieur Varvaro, m’avait exprimé, hier, le désir que la Délégation suisse intervienne d’une manière officieuse auprès de la Délégation allemande pour l’engager à considérer l’incident comme définitivement clos. Réflexion faite et après en avoir discuté ce matin, dans la séance de la Délégation, nous avons pensé qu’il valait mieux nous abstenir et laisser les choses suivre leur cours. Il est, en effet, toujours dangereux de mettre les doigts entre le bois et l’écorce.
On croit, d’ailleurs, en général, que les Allemands se borneront à formuler une protestation de forme et que l’incident provoqué par le traité germano-russe sera ainsi clos pour tout de bon.
Mais, je le répète, la confiance n’existe plus.
Or, la question du mark, et, par là, la question des réparations, n’avait quelque chance de pouvoir être abordée et acheminée vers une solution satisfaisante que dans un milieu où la confiance se serait d’abord affirmée et ensuite graduellement développée. La disparition de la confiance a fait en même temps disparaître toute chance, je dirais même toute possibilité efficace, d’introduire une des questions qui nous tenait particulièrement à cœur.
Il va sans dire que ni M. Schulthess, ni moi, ni nos experts ne perdrons de vue la question. Mais il serait, je crois, erroné de cacher au Conseil fédéral que la situation d’aujourd’hui n’est plus celle que nous souhaitions tous à la veille de la Conférence.
C’est donc la question russe qui demeure la question centrale. C’est de sa solution que dépendra l’échec ou le succès de la Conférence.
La Délégation russe a présenté, vendredi, une note qui autorisait certains espoirs. Elle peut se résumer ainsi:
1°) Le Gouvernement russe reconnaît, en principe, les dettes d’avant-guerre et les dettes de guerre. Il demande cependant des réductions quant aux intérêts.
Il déclare, en outre, que la reconnaissance des dettes dépend de l’aide financière qu’il recevra des autres Etats.
2°) Le Gouvernement russe est prêt à restituer l’usage des biens confisqués et socialisés ou même à payer des indemnités. Il se refuse à restituer la propriété des biens.
3°) La reconnaissance des dettes et la restitution de l’usage des biens confisqués et socialisés ont pour condition naturelle et fondamentale la reconnaissance de jure du Gouvernement des Soviets.
La note que je viens de résumer n’est manifestement pas acceptable telle quelle. Elle ne ferme, cependant, pas la porte aux discussions. Tel a été l’avis du sous-comité politique unanime. M. Lloyd George nous avait fait l’honneur de nous demander préalablement, à M. Schulthess et à moi, si nous estimions aussi qu’une discussion demeurerait possible. Nous avons opiné dans l’affirmative.
Le sous-comité politique a décidé de désigner sept experts.
La tâche de ces experts est d’amener leurs collègues russes à fournir des explications sur la signification et la portée de la note russe. En réalité, ils diront au sous-comité politique s’ils estiment que les négociations avec la Délégation russe peuvent vraiment aboutir à des conclusions précises et sérieuses. Cela ne me paraît pas encore certain.
Dans la première séance des experts des deux parties, les experts russes ont présenté, en effet, un long memorandum dont je vous envoie une copie ci-annexée.4 Ce memorandum représente une tentative de remettre encore une fois en discussion les principes essentiels de la résolution de Cannes. Dès que le mémorandums. été présenté, M. Seydoux, délégué et expert français, – homme généralement considéré comme de très grande valeur – a déclaré que, si le memorandum n’était pas retiré, il se serait refusé à toute discussion ultérieure. Les experts se sont donc séparés sans avoir même pu aborder leur travail. Hier, dimanche, nouvelle réunion du sous-comité politique. Le memorandum russe fut déclaré comme étant nul et non avenu. Les Russes acceptèrent de retirer leur memorandum. Les experts se réunirent, en conséquence, à nouveau au cours de l’après-midi.
M. Branting et moi proposâmes, comme expert des neutres, un Hollandais. C’est M. Struycken, juriste très remarquable que je connais de Genève; il faisait partie de la Délégation hollandaise à l’Assemblée de la Société des Nations. M.van Karnebeek – qui, pour le dire en passant, est un homme très pondéré, mais, en même temps, assez entreprenant et, parfois, assez énigmatique – nous avait fait observer que les intérêts de la Hollande en Russie s’élèvent à 5 milliards de francs or et il avait fait appel à notre esprit de solidarité pour donner à son pays une représentation. Son appel n’a pas été vain. C’est, je crois, de la bonne politique que d’attester même extérieurement le bon accord et la solidarité des Etats neutres. M.Töndury est, d’ailleurs, à même de suivre de près les travaux de ses collègues.
Dans la deuxième réunion des experts, les Russes insistèrent toujours pour avoir des crédits et même des crédits d’Etat. C’est leur leitmotiv.
Je n’ai pas à ajouter que ces demandes de crédits d’Etat ne pourront être entendues. Il n’y aura pas un seul Etat qui sera disposé à donner, comme tel, son argent et ses ressources au régime des Soviets.
Plus j’observe et plus je vois ces Russes, moins je peux croire au sérieux de leurs intentions. Je ne crois pas non plus à leur force politique.
Une des choses qui me frappent le plus, c’est le ton de plaisanterie que M. Lloyd George prend envers eux. Son jeu me semble dangereux.5 [...]6
- 1
- E2001(B)3/67.↩
- 2
- Sur les questions économiques et financières abordées à Gènes, voir les rapports de Schulthess, surtout ceux des 25, 27, 29 avril, cf. E 7800 4/4, E 2001 (B) 3/67.↩
- 3
- Cf. DDS 712, nos 316, 324, 402, 425.↩
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