Gespräch zwischen Schuman und Petitpierre: Lage in Palästina und Haltung Israels, Frage Berlins und Deutschlands, Organisation Europas und schweizerisch-französische Probleme.
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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 17, doc. 110
volume linkZürich/Locarno/Genève 1999
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2800#1990/106#100* | |
Old classification | CH-BAR E 2800(-)1990/106 19 | |
Dossier title | Conversations avec des personnalités politiques étrangères : volume I (1945–1961) | |
File reference archive | 341.3 |
dodis.ch/4400 Notice du Chef du Département politique, M. Petitpierre1 ENTRETIEN AVEC M. SCHUMAN, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE FRANCE
Cet entretien a eu lieu dans mon bureau le lundi 17 janvier 1949, de 16 heures 35 à 18 heures 35.
Nous avons commencé par procéder à un examen général de la situation politique. M. Schuman m’a longuement exposé quelle était la politique actuelle de la France. Le matin, il m’avait déjà déclaré que depuis plusieurs mois, la politique américaine était flottante et qu’elle mettait fréquemment dans l’embarras les alliés des Etats-Unis, Grande-Bretagne et France.
Nous avons parlé en premier lieu de la Palestine. L’Etat d’Israël n’a pas respecté les clauses de la trêve2. Il s’est comporté d’une manière barbare et cruelle à l’égard des Arabes, faisant sauter des villages et massacrant des populations, même dans des régions devant être attribuées aux Arabes. L’affaire de Palestine pourrait avoir des développements dangereux3. L’URSS cherche à s’infiltrer dans cette région. C’est ainsi qu’elle a envoyé un pope moscovite à Tel Aviv. Il y a deux tendances chez les Juifs, l’une d’extrême-gauche, communiste, l’autre d’extrême-droite (Irgoun), qui inclinerait plutôt à s’appuyer sur les Etats-Unis. La Grande-Bretagne conteste jouer un rôle très actif. Il semble toutefois que le roi de Transjordanie4 entende profiter de la situation trouble actuelle pour réaliser son projet de la Grande Syrie, qui lui permettrait de grouper sous sa direction la Syrie, le Liban et les régions arabes de Palestine. Il n’est pas exclu qu’un armistice puisse être conclu5. Néanmoins la fixation de la frontière du nouvel Etat d’Israël réserve des surprises. Les Juifs veulent à tout prix posséder la rive occidentale du Jourdain, où se trouvent des produits du sous-sol en quantités appréciables. Ils entendent en outre se voir attribuer une partie du Negev, sur laquelle se trouvent déjà des colonies israélites. Mais les Anglais ni les Arabes ne peuvent admettre de telles prétentions, parce que les régions qui seraient attribuées à l’Etat d’Israël couperaient les voies de communication entre les différents pays arabes. On ne voit donc pas comment ce conflit pourra être résolu. M. Schuman se trouve dans une situation difficile en ce qui concerne la reconnaissance de l’Etat d’Israël. Une pression très forte est exercée, d’une part par les hommes politiques français qui sont juifs, par le parti socialiste, d’autre part par les autorités d’Israël, qui affirment que, si le nouvel Etat n’est pas reconnu, celui-ci est exposé au danger de voir les forces communistes l’emporter. Ce danger est d’autant plus grand que des élections doivent avoir lieu dans quelques semaines. La non-reconnaissance est d’autant plus difficile à justifier que même les pays arabes reconnaissent en fait l’Etat d’Israël, puisque l’Egypte négocie aujourd’hui directement avec lui. Ce qui simplifierait la question, c’est que les Nations Unies reconnaissent le nouvel Etat d’Israël. Mais elles ne peuvent pas le faire aussi longtemps que celui-ci méconnaît absolument leur autorité. La Grande-Bretagne ne reconnaîtra pas l’Etat d’Israël pour le moment6. Le Gouvernement français doit prendre une décision incessamment. Il doit tenir compte des répercussions que cette décision pourrait avoir dans les relations que la France entretient avec les populations arabes et musulmanes de l’Afriquedu Nord.
Nous avons ensuite abordé le problème de Berlin et de l’Allemagne7. M. Schuman ne pense pas que la solution technique préconisée par les experts nommés par le Comité des neutres, et parmi lesquels figure M. E. Reinhardt, Directeur général du Crédit suisse, puisse être admise sans autre. Cette solution en elle-même serait satisfaisante, mais elle suppose une administration commune pour l’appliquer. Comme actuellement la ville de Berlin a deux administrations absolument distinctes, on s’expose au risque que les mesures envisagées soient appliquées, non pas d’une manière uniforme dans les deux zones de Berlin, mais dans chacune d’elles contre l’autre. L’affaire n’est d’ailleurs pas encore réglée.
Dans le problème de la Ruhr8, le point de vue français a fini par être admis dans une assez large mesure. M. Schuman estime que les entreprises de la Ruhr doivent continuer à être exploitées par les Allemands, qui doivent également en demeurer propriétaires, mais que l’administration générale du bassin minier doit avoir un caractère international, en ce sens que la Ruhr ne pourra plus, à l’avenir, être au service des desseins d’une politique nationaliste allemande. Le point de vue anglais, qui tend à l’étatisation des entreprises de la Ruhr, est dangereux. Cela représenterait une concentration du potentiel économique de cette région entre les mains du Gouvernement allemand, qui disposerait ainsi d’une puissance dont il pourrait faire un mauvais usage. Les Allemands seraient également représentés dans l’Organe de contrôle.
Deux autres problèmes préoccupent les Alliés: celui du démontage des usines et celui de l’organisation politique de l’Allemagne. Le but du démontage est, d’une part, la disparition des usines dont l’activité est consacrée à l’industrie de guerre, et, d’autre part, permettre le payement des réparations dues par l’Allemagne aux pays que ses armées ont ravagés. Il y a trois catégories d’usines: celles qui sont interdites, celles qui doivent être limitées (ce sont notamment les usines qui travaillent aussi bien pour la guerre que pour la paix), enfin celles qui sont permises. M. Schuman, dès qu’il a pris la direction des Affaires étrangères, a veillé à ce que l’on ne procède pas à des démontages inutiles. Quant à l’organisation politique de l’Allemagne, M. Schuman relève que les Allemands se disputent entre eux et qu’il y a une forte opposition, en particulier entre les sociaux-démocrates et les chrétiens-sociaux. On constate aussi une renaissance du nationalisme. L’avis de M. Schuman est que les Allemands doivent reprendre de plus en plus la direction de leurs propres affaires, éventuellement sous un certain contrôle. Lorsque la nouvelle constitution allemande aura été mise au point et adoptée, il y aura pour l’Allemagne occidentale un nouveau statut d’occupation, dont M. Schuman pense qu’il sera relativement simple. Il serait désagréable pour les Alliés que les Allemands renoncent à poursuivre leurs efforts en vue d’élaborer une constitution et abandonnent aux Alliés la responsabilité de leurs affaires. Il y a d’ailleurs un courage des hommes qui s’occupent de l’organisation politique de l’Allemagne d’entente avec les Alliés [sic], parce qu’ils peuvent être considérés ainsi comme collaborant avec les puissances occupantes.
D’une manière générale, M. Schuman constate qu’il y a actuellement une détente et que la menace de guerre qui pesait sur l’Europe encore au mois de juillet 1948, si elle n’a pas disparu, s’est atténuée.
Nous avons parlé de l’organisation de l’Europe. Cette organisation doit être envisagée sous trois aspects:
a) militaire. – Il y a déjà le Pacte de Bruxelles9, qui groupe la France, la Grande-Bretagne, les trois pays du Benelux. C’est une alliance défensive à l’égard de l’Allemagne. Elle doit subsister sans que de nouveaux Etats soient sollicités, pour le moment, d’y adhérer. Il y a en outre le Pacte de l’Atlantique. Ses termes n’ont pas encore été arrêtés, on ne sait pas quels Etats y adhéreront. L’Italie vient de poser sa candidature, mais on ne sait pas si elle sera admise. Cela serait avantageux pour la France en ce sens que l’adhésion de l’Italie au pacte réglerait définitivement la question de la frontière franco-italienne. On peut avoir deux conceptions de ce Pacte de l’Atlantique. Celles des Américains est de grouper le plus grand nombre d’Etats possible, en particulier les Etats scandinaves10. M. Schuman pense que c’est une erreur et qu’il faut éviter de donner à l’URSS le sentiment qu’on entend l’encercler en faisant participer au pacte, non seulement l’Italie, mais encore la Grèce, la Turquie, voire même des pays comme l’Iran et l’Irak. Il est préférable de conclure des pactes régionaux et de laisser les Etats scandinaves conclure entre eux un pacte, mais rester en dehors de celui de l’Atlantique. Le but du pacte envisagé est purement défensif. Il y aura lieu, à l’intention du Congrès américain, de préciser les territoires de chacun des Etats parties au pacte et couverts par ce dernier. Les colonies en seront vraisemblablement exclues;
b) politique. – L’Union européenne11, distincte de l’Union occidentale, doit grouper un certain nombre d’Etatseuropéens et être chargée de tâches concrètes déterminées: contrôle de la Ruhr, mandat sur les colonies italiennes, etc. Une assemblée européenne doit avoir lieu le printemps prochain. Les cinq Ministres des pays de l’Union occidentale arrêteront la liste des Etats qui seront invités à cette assemblée. Les uns voudraient que les délégués fussent nommés par les peuples (c’est le projet Reynaud, qui n’a aucune chance d’être admis), d’autres que ces délégués fussent les représentants des parlements, d’autres encore (les Anglais) que ces délégués représentent les gouvernements. La Grande-Bretagne est plutôt hostile à cette entreprise. M. Bevin en particulier y est tout à fait opposé12. Cette assemblée européenne serait en quelque sorte issue des mouvements fédéralistes tendant à l’unification de l’Europe qui se sont formés au cours de ces dernières années. Sur la possibilité d’une unification de l’Europe ou d’une confédération d’Etatseuropéens, M. Schuman se montre très réservé. Il pense qu’il est prématuré de vouloir envisager maintenant la possibilité d’une telle construction politique;
c) économique. – L’Organisation européenne de coopération économique à Paris, issue du plan Marshall13, est l’organe qui doit continuer à s’occuper des problèmes économiques intéressant l’Europe. Il serait inopportun de lui donner un autre caractère et de lui assigner des buts politiques. J’ai insisté alors sur le fait que nous regretterions la politisation de l’OECE, qui pourrait nous obliger à nous en retirer.
A propos de l’organisation de l’Europe, j’ai insisté sur notre attachement à la neutralité et sur notre désir de rester en dehors de toute organisation politique et de n’adhérer à aucune alliance militaire14. J’ai confirmé en revanche notre volonté de continuer à collaborer sur le plan économique. M. Schuman connaît bien notre point de vue et il considère que nous représentons un élément positif dans la défense de l’Europe occidentale en raison de notre défense nationale et de notre résistance au communisme. Il s’est déclaré d’accord avec une remarque que j’avais faite sur l’utilité d’Etats neutres en Europe et sur le danger qu’il y avait à donner à l’URSS le sentiment qu’un groupe compact d’Etats se constituait contre elle sous l’égide des Etats-Unis. M. Schuman m’a déclaré que nous ne serions pas invités à adhérer ni au Pacte de Bruxelles ni à celui de l’Atlantique, et que vraisemblablement nous ne serions pas invités à la réunion convoquée pour la création d’une Union européenne. J’avais attiré son attention sur l’intérêt qu’il y avait à ne pas nous obliger à donner une réponse négative.
Nous avons ensuite abordé les problèmes franco-suisses. Ceux-ci sont résumés dans ma lettre à M. le Ministre Burckhardt du 21 janvier15.
- 1
- E 2800(-)1990/106/19.↩
- 2
- Cf. DDS, vol. 17, doc. 127.↩
- 4
- Abdallah.↩
- 5
- Le 24 février, Israël signe un armistice avec l’Egypte et le 16 mars avec la Transjordanie.↩
- 6
- Sur l’attitude de la Grande-Bretagne envers Israël, cf. DDS, vol. 17, doc. 127.↩
- 8
- Cf. DDS, vol. 17, doc. 115, notamment note 2.↩
- 9
- Cf. No 61 et No 106, note 2, dans le présent volume.↩
- 10
- Cf. DDS, vol. 17, doc. 120.↩
- 12
- Sur ce sujet, cf. le rapport politique de H. de Torrenté du 7 février 1949, E 2300 London/ 43 (dodis.ch/4300). Cf. aussi DDS, vol. 17, doc. 114.↩
- 14
- Cf. DDS, vol. 17, doc. 106 et doc. 113.↩
- 15
- Non reproduit. Pour d’autres copies de cette lettre, cf. E 2001(E)1967/113/267 et E 2200.41 (-)-/37/ C14. Les problèmes franco-suisses mentionnés dans la lettre de M. Petitpierre sont: Les nationalisations (cf. DDS, vol. 17, doc. 128), l’activité des agents provocateurs français en Suisse (cf. DDS, vol. 17, doc. 28), la question de la neutralisation ou de la démilitarisation de l’aéroport de Blotzheim, les dommages de guerre et les profits illicites, la situation des Suisses poursuivis pour collaboration (cf. DDS, vol. 17, doc. 78), et la question du tourisme et de l’exportation réciproque de livres.↩
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