Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 7-I, doc. 196
volume linkBern 1979
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001B#1000/1501#3083* | |
Dossier title | Friedenskonferenz, Rapports de Mr. Rappard (1919–1919) | |
File reference archive | B.56.221.05 |
dodis.ch/43941
Ci-inclus j’ai l’honneur de vous soumettre une lettre que je viens d’adresser à M. le Conseiller fédéral Schulthess.2
Au sujet de ma conversation avec M. McCormick, je me permets d’y ajouter l’information suivante:
M. McCormick m’a dit que jamais la tension entre son pays et la France au sujet de la politique économique n’avait été aussi accentuée que ces jours-ci. M. McCormick aurait déclaré dans la séance du matin que si la France ne renonçait pas, au profit des matières premières dont le marché américain est saturé, à sa politique du blocus pour les neutres et pour ses anciens ennemis et à son propre protectionisme excessif, les Etats-Unis renonceraient de leur côté au ravitaillement de l’Europe. Cela ne saurait se faire sans un sérieux préjudice pour les producteurs américains, mais au moins les responsabilités de la crise qui en résulterait en Europe ne seraient plus partagées, mais incomberaient à la France seule.
Je ne pense pas que M. McCormick croie à la réalisation de cette menace, mais je le connais assez pour savoir qu’il ne s’agit pas d’un simple bluff. La patience des Américains est à bout et il faut espérer que la fermeté de l’attitude de M. McCormick, qui paraît-il a jeté le désarroi dans la commission où elle s’est manifestée, fera revenir à la raison les esprits trop exclusivement assujettis à l’influence des puissances politiques du monde. M. McCormick attribuait en effet à la démagogie française l’attitude déraisonnable des ministres responsables.
J’ai eu une longue conversation avec M. le Ministre Dunant hier au sujet de ma propre activité ici. M. Dunant voudrait que je fusse d’une façon ou d’une autre attaché à la Légation, idée qui ne me sourit nullement pour les diverses raisons que j’ai eu l’honneur de vous exposer déjà lors de mon dernier séjour à Berne. J’aurai peut-être l’occasion de revenir sur ce sujet dans une prochaine lettre.
PS. Vendredi après-midi.
J’ai eu ce matin une courte mais très substantielle entrevue avec M. Venizelos. De plus je viens de déjeuner en tête à tête avec M. Miller, membre américain de la commission de la Société des Nations et de la sous-commission chargée d’étudier la question du Rhin. Je voudrais en deux mots vous rendre compte des conversations que j’ai eues avec ces deux Messieurs.
Sur la participation de la Suisse aux délibérations relatives à la Société des Nations, M. V. m’a dit qu’une sous-commission de deux ou trois membres devait officieusement entendre les observations et les vœux de la Suisse dans un avenir assez rapproché.
M. Miller, auquel j’ai soumis ces déclarations de M. V., m’a assuré qu’il devait s’agir là d’un malentendu. Cette méthode avait été discutée avant la publication du projet de pacte. Wilson y aurait été favorable, mais vu la nécessité politique de cette publication, cette procédure aurait été écartée. Maintenant que la conférence est saisie du projet, une procédure différente devrait être adoptée. Peut-être, d’ailleurs, sera-t-elle moins différente quant au fond qu’elle ne le paraît dans la forme.
M. V. m’a déclaré qu’il n’estimait pas le maintien de notre neutralité incompatible avec notre participation à la Société des Nations. La paix signée, tous les neutres seraient sondés quant à leurs désirs d’entrer dans la société et ceux qui accepteraient y seraient alors officiellement invités.
A ce moment, si ce n’est avant, nous pourrions alors, selon M.V., mettre le maintien de notre neutralité comme condition à notre acceptation. Elle aurait d’autant plus de chance d’être acceptée que le désir était plus général au sein de la conférence de voir Genève devenir la capitale de la Ligue. Ce dernier point m’a été fortement confirmé par M. Miller. Il m’a raconté que dans une des dernières séances de la Commission, le Ministre des affaires étrangères belges avait chaleureusement plaidé la cause de Bruxelles. Mais, malgré son talent et son émotion, M. Miller croit que si un vote secret avait eu lieu après son discours, les délégués belges eussent été seuls de leur avis. Après les déclarations formelles et concordantes que j’ai pu recueillir de la bouche de MM. Wilson, Cecil, House et Venizelos, je crois que nous pouvons dire qu’il ne tient qu’à nous de voir la capitale de la Ligue établie à l’intérieur de nos frontières.
Quant à la question du Rhin, M. Miller m’a encore répété ce que je savais déjà par ailleurs, à savoir que la délégation américaine insisterait de toute sa force pour obtenir que la Suisse fût entendue. Cela ne faisait d’ailleurs aucun doute à ses yeux.
Je me permets de recommander encore une fois à votre haute sollicitude que nous soyons absolument prêts à être entendus d’un jour à l’autre. La question du Rhin, selon M. Miller, peut en effet être abordée dans un avenir très rapproché.
Je dois voir ce soir encore le colonel House. Je ne manquerai pas de vous rendre compte de cette nouvelle entrevue par ce courrier,3 si c’est encore possible, et sans cela par dépêche ou par le courrier suivant.
- 1
- Rapport: E 2001(B) 1/82.↩
- 2
- Non retrouvée. Mais la réponse de Schulthess du 24 février indique qu’il s’agissait de la Législation internationale du Travail et de la vente du coton allemand stocké en Suisse (cf. J.I. 149 Mission Paris 1919,1 + III/↩
- 3
- Dans le compte rendu de cet entretien, Rappard rapporte que pour House la suggestion de M. Venizelos reposait sur un malentendu. Au sujet du siège de la Société des Nations, House lui a communiqué la dernière pensée du Président Wilson qui verrait favorablement la Suisse proposer l'exterritorialisation de quelques hectares de sol suisse Il s’agirait, dans l’esprit du Président Wilson et du colonel House, d’un geste destiné à impressionner favorablement la Conférence et à gagner ainsi des partisans à la solution Suisse. Il a aussi été question du statut personnel de Rappard chargé à titre non officiel de représenter le Conseil fédéral auprès des délégations à la Conférence de la Paix, formule qui sied à House. Voir aussi à ce sujet, nos 200, 205 note 3, 230 note 1.↩