Classement thématique série 1848–1945:
I. LES RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES ET LA VIE DES ÉTATS
I.12 FRANCE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 2, doc. 192
volume linkBern 1985
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#708* | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 22 (1869–1869) |
dodis.ch/41725
Vous m’avez laissé libre de choisir la manière qui me paraîtrait la meilleure pour faire parvenir à l’Empereur le fusil de guerre construit d’après le nouveau système Vetterli, et que le Conseil fédéral lui avait destiné.
Revenant d’une première idée que j’avais de lui transmettre cette arme par l’intermédiaire de M. Conti, Chef du Cabinet, et surtout afin d’éviter les susceptibilités du Ministre des Affaires Etrangères qui n’aime pas que les membres du Corps diplomatique s’adressent à l’Empereur par l’intermédiaire du Chef du Cabinet, je me suis décidé à écrire à M. de Lavalette pour l’informer que mon gouvernement m’avait chargé d’offrir cette arme à l’Empereur; cette lettre n’était pas officielle et était désignée comme «confidentielle» afin qu’elle ne passât pas par les Bureaux du Ministère. J’ai ajouté dans cette lettre que je serais tout prêt à remettre ce don personnellement à l’Empereur, si ses nombreuses affaires lui permettaient de me recevoir.
Je me suis rendu avant-hier soir à l’Hôtel du Ministère des Affaires Etrangères où l’huissier m’a immédiatement informé que Lavalette ne pouvait plus recevoir ce soir, ayant reçu l’ordre de se rendre sur le champ chez l’Empereur, aux Tuileries. Je me suis donc borné à charger l’huissier de remettre ma lettre à M. de Lavalette.
J’ai été tout étonné de recevoir le même soir, deux heures après que j’avais quitté l’Hôtel du Ministère des Affaires Etrangères, une lettre de M. de Lavalette qui m’informait que l’Empereur m’attendait déjà le lendemain matin à dix heures, à son cabinet aux Tuileries.
Lorsque j’arrivai hier dans la salle d’attente qui précède le cabinet de l’Empereur, et où se trouvaient déjà plusieurs personnes, entre autres le Préfet de Police, auxquelles l’Empereur avait également accordé une audience, j’ai été immédiatement appelé à entrer dans le cabinet de l’Empereur.
Il m’a reçu de la manière la plus amicale, je pourrais presque dire la plus cordiale, en s’informant avec intérêt de ma santé et en exprimant très gracieusement le plaisir que lui causait cette marque d’attention de la part du Conseil fédéral, ajoutant qu’il prend le plus grand intérêt à cette arme perfectionnée, et qu’il la fera examiner et essayer avec tous les soins que mérite l’importante question de l’armement.
Ne trouvant pas, dans les documents que j’ai reçus, tous les renseignements nécessaires pour pouvoir expliquer à l’Empereur les modifications apportées au nouveau système Vetterli, en comparaison de l’ancien, j’avais invité M. Gastine, l’armurier de confiance de l’Empereur, à venir avec moi aux Tuileries, parce que je savais que M. Gastine est tout à fait au courant de tous ces détails, par suite des entretiens qu’il a eus il y a quelques semaines avec le Colonel Burnand de Neuhaus, qui a passé quelque temps ici pour offrir un modèle de mousqueton de cavalerie pour l’armée française.
Après avoir remis l’arme et les documents que vous m’avez envoyés, entre les mains de l’Empereur, je lui ai demandé s’il n’avait pas d’objection à ce que je fisse entrer dans le cabinet M. Gastine, qui pourrait lui expliquer mieux que moi la différence entre l’ancien et le nouveau système Vetterli. L’Empereur a pleinement approuvé ma proposition, et M. Gastine a exposé en détail les grands avantages du nouveau système, en chargeant et déchargeant des douilles de cartouches vides. Il a en outre démonté le coffret, et l’Empereur a été étonné de la simplicité du mécanisme et de la facilité avec laquelle ce fusil se monte et se démonte.
La seule observation qu’il a opposée, c’est que l’arme devait être un peu lourde, lorsqu’elle contiendrait 13 cartouches à balles dans le magasin.
Il m’a demandé si cette arme était destinée à des corps d’élite ou à toute l’armée. Je lui ai répondu «à toute l’armée», ajoutant que le Conseil fédéral avait commandé la fabrication de 80 000 de ces fusils, quoique la Suisse possédât déjà, à la fin de l’année 1868,126 000 fusils se chargeant par la culasse, transformés d’après le système Milbank-Amsler, 15 000 fusils Peabody étant cependant compris dans ce chiffre. Il ne m’a pas échappé que l’Empereur a été un peu étonné de ce grand nombre de fusils déjà fabriqués ou commandés.
J’ai profité de l’occasion pour lui remettre aussi le projet sur la nouvelle organisation militaire de l’armée fédérale, ajoutant que je serais heureux de lui procurer de nouveaux renseignements sur le fusil Vetterli, s’il devait plus tard les trouver nécessaires. L’Empereur a répété combien ce don lui avait été précieux et m’a prié d’exprimer à mon gouvernement ses plus vifs remerciements. La conversation s’est continuée, après ces pourparlers sur le but véritable de ma visite, entre l’Empereur et moi, mais sur des questions qui ne présentent pas d’intérêt politique. Je l’ai touvé très bien portant, très gai et de très bonne humeur, de sorte que je l’ai quitté avec la pleine conviction que l’offre faite par le Conseil fédéral a fait la meilleure impression sur lui, ce qui du reste était déjà certain pour moi par suite du fait qu’il m’a reçu avec une promptitude si inaccoutumée, tandis que les audiences se font en général attendre plus de huit jours.
Si je devais recevoir de votre part, par suite du voeu exprimé dans ma dernière lettre, un document ou un renseignement ultérieur, je les transmettrais immédiatement à l’Empereur par l’intermédiaire de M. Lavalette.
M. Huber-Saladin s’est informé à plusieurs reprises si je n’avais pas encore reçu de vous une réponse à sa lettre confidentielle. Hier, il m’a ajouté qu’il irait dans tous les cas à Berlin comme l’un des délégués du comité français de la Société de secours, et qu’il partirait lundi soir. Une réponse ne lui parviendra donc ici à Paris, que si je la recevais lundi matin au plus tard.
Quant à la situation politique, il ne me reste rien à ajouter à ce qui est constaté par le dernier discours de M. Lavalette au Corps législatif. Il s’y est prononcé sur la question allemande, dans un sens pacifique, d’une manière plus explicite que cela n’a jamais eu lieu jusqu’à présent de la part du Gouvernement et de ses orateurs. Je ne mets pas en doute que cette manifestation n’exerce une influence très favorable sur les élections prochaines, car non seulement l’attitude qu’ont prise à cette occasion toute la Chambre et toutes les nuances politiques, mais aussi tout ce qu’on apprend des hommes qui connaissent les dispositions des départements, confirme à l’unisson combien la nation française désire le maintien de la paix.
Dans le Corps diplomatique, l’impression de ce discours a été des plus favorables et Lavalette, par le résultat de la conférence gréco-turque et par son premier discours politique, a eu évidemment au début de ses fonctions comme Ministre des Affaires Etrangères, un grand succès.
P. S. L’incident franco-belge concernant les traités sur les chemins de fer est aujourd’hui aussi éloigné de sa solution qu’au commencement lorsqu’il s’est soulevé. M. Frère-Orban avait cru pouvoir conjurer l’orage par une espèce de convention sur le trafic à diriger par la Direction de l’Est français sur le territoire belge. On m’a assuré que le Gouvernement français est très décidé à ne pas se contenter de cette solution, tandis que le Ministre belge s’est opposé positivement à une reconnaissance des traités conclus. Les prédictions des journaux officieux ont été aussi, à cette occasion, aussi prématurées qu’imprudentes, car plus on a chanté victoire à l’avance, plus il devient difficile de se contenter à présent des propositions de M. Frère-Orban, ce qui ne manquerait pas d’être interprété par l’opposition comme une véritable défaite de la diplomatie française.
- 1
- E 2300 Paris 22.↩