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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 26, doc. 21
volume linkZürich/Locarno/Genève 2018
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001E-01#1988/16#4473* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(E)-01/1988/16 904 | |
Dossier title | Beziehungen der Schweiz zu anderen Staaten (1971–1978) | |
File reference archive | B.15.21 • Additional component: Malta |
dodis.ch/39487 L’Ambassadeur de Suisse à Rome, A. Marcionelli, au Chef du Département politique, P. Graber1 LES INTEMPÉRANCES VERBALES DE DOMINIQUE, DIT DOM, MINTOFF
De retour de Malte, je m’empresse de vous faire rapport sur l’entretien que j’ai eu l’honneur – ou l’infortune – d’avoir avec le Premier Ministre Dom Mintoff.
Des collègues, connus dans d’autres postes et retrouvés à Malte (les Ambassadeurs d’Allemagne, de France et d’Israël2), m’avaient averti de la nécessité d’affronter avec des nerfs bien solides les entretiens avec Dom Mintoff, qui a l’habitude de s’en prendre de manière fort cavalière, sinon impertinente, aux ambassadeurs étrangers. C’est en effet l’accueil qu’il me réserva et l’affront que j’eus à subir à mon tour.
Dès mon entrée dans son bureau, où se trouvaient également son secrétaire et M. Abela faisant fonction de Ministre des Affaires étrangères, Dom Mintoff, en manches de chemise, a tenu à se plaindre du fait qu’une propagande contraire à celle de son Gouvernement a donné chez nous une idée complètement fausse de Malte et que force lui est dès lors de constater qu’il n’existe en Suisse – autorités comprises – aucun signe de compréhension ni de bonne volonté à l’égard de la situation toute spéciale de son pays, de ses nécessités politiques et économiques et de l’urgence de lui apporter de l’aide!
Il a coupé court à ma tentative de rectifier son opinion, en affirmant déjà connaître ce que je pourrais lui dire et qui, évidemment, ne pouvait guère correspondre à la vérité. Ce qu’il veut lui, qui «n’est pas diplomate mais homme d’action» (sic), ce sont des faits et non pas des discussions! Qu’a fait dès lors jusqu’ici la Suisse, que fait-elle actuellement pour venir en aide à Malte? … Deux délégués suisses3 sont bien venus il y a quelques mois étudier la possibilité de mettre sur pied des projets de collaboration technique entre les deux pays. En conclusion de leur enquête, ces deux délégués qui ont été bien reçus par lui et par d’autres membres du Gouvernement4, «auxquels ils ont fait perdre du temps précieux» (sic), n’ont su proposer que la création d’une minuscule école d’électronique5 pour quelques élèves et, comble des combles, l’ouverture de cette école n’est prévue que pour le … 1er septembre 1974. La réalisation de cette école correspond bien, a-t-il souligné, à la montagne accouchant d’une toute petite souris. Ce projet ne pourrait d’ailleurs intéresser Malte qu’en cas d’ouverture le 1er septembre 1973 déjà.
À mon essai de lui expliquer l’importance de cette école pour l’économie de son pays et les difficultés à surmonter pour réussir à avancer d’une année son ouverture, Dom Mintoff a rétorqué en faisant un parallèle entre l’inefficacité de la Suisse et l’efficacité de son ami Buttho, lequel sur un simple appel téléphonique s’est déclaré prêt à lui mettre à disposition les avions et les instructeurs nécessaires à la formation de pilotes maltais! Voilà ce que j’annoncerai à mon Parlement – criait-il – en exposant mon programme pour les prochains dix ans, Buttho court à notre aide, et la riche Suisse ne fait rien de rien, etc. etc.
Je lui fis observer que rien ne l’empêche de faire cette remarque au Parlement mais je lui demandai d’ores et déjà de tirer dans dix ans aussi des conclusions sur ce qui restera alors de l’aide pakistanaise et de notre collaboration; Dom Mintoff s’est alors mis à hurler et a braillé que c’est le présent qui l’intéresse et non pas ce … qui se fera dans dix ans.
(En effet, si la situation financière et celle de la trésorerie de l’île, grâce surtout aux versements de 14 millions de livres par la Grande-Bretagne et l’OTAN, n’est pas mauvaise, sa situation économique et sociale se détériore sans cesse; le régime de Dom Mintoff ne parvenant pas à créer des possibilités de travail et à absorber les chômeurs, atteignant le 8% de l’effectif des travailleurs! Dom Mintoff, ne disposant d’ailleurs que d’une majorité extrêmement faible au Parlement, craint – selon mes informateurs – de ne pas revenir au pouvoir lors des prochaines élections dans quatre ans!).
Il poursuivit sur ce ton sa critique de la Suisse regorgeant d’argent, vivant dans la prospérité, ayant des moyens en suffisance pour aider Malte et passa ensuite à l’Europe qui ne veut pas connaître les réalités de son pays, etc. etc… Et qu’on ne vienne plus lui parler de solidarité européenne: il se réserve aussi de dire ses quatre vérités à ce sujet, à l’occasion, au Suisse Reverdin du Conseil de l’Europe, etc. etc. Enchaînant sur ces diatribes «européennes», il me demanda à brûle-pourpoint ce que la Suisse veut bien faire pour aider les «dry-docks» de Malte, occupés bien au-dessous de leur capacité, et dont les ouvriers refusent de se mettre en grève «uniquement pour ne pas lui causer des soucis supplémentaires» (en réalité les grèves aux chantiers navals sont interdites par la loi!).
J’ai dit à mon interlocuteur que j’avais visité la veille les chantiers navals et avais expliqué à leurs dirigeants:
que le Gouvernement suisse ne possède pas de «flotte» ni d’industrie navale;
que les armateurs «suisses» enverraient certainement leurs navires pour l’entretien à Malte, s’ils y voyaient un intérêt (question de tarifs et de coût de travail);
que Sulzer est bien le plus grand constructeur mondial de moteurs Diesel marins, et que la plus grande partie de ces moteurs était construite au Japon, sur la base d’un contrat de licence.
J’ai donc engagé les chantiers navals de Malte à se mettre en rapport avec «Sulzer» … à l’imitation, entre autres, des Japonais et des Turcs! …
Là-dessus, Dom Mintoff a perdu tout ce qui lui restait de sang-froid, s’est levé pour me mettre à la porte en déblatérant à peu près dans ce sens:
Voilà l’aide qu’un pays aussi riche et prospère que la Suisse peut offrir à Malte: payer des redevances pour la construction de moteurs marins: voilà qu’un ambassadeur veut me faire croire que son Gouvernement n’a pas les moyens d’obliger les industries de son pays à courir en aide aux chantiers navals de Malte… Quel intérêt dès lors avons-nous à entretenir des rapports diplomatiques avec la Suisse? … Cela nous coûte seulement de l’argent… Il me faudra donc envisager de rompre nos rapports diplomatiques inutiles avec la Suisse6. Ce serait très, très grave, ai-je réussi à intercaler, sur quoi Dom Mintoff rétorqua que cela lui était bien indifférent, en ajoutant lorsque je sortais de son bureau: «e la scuola di elettronica non mi interessa se sarà aperta solo in settembre 1974, anzi… non mi interessa più affatto e non ne voglio»… Sur quoi la porte me fut fermée au dos!
Une demi-heure plus tard, on me téléphonait du Protocole que mes audiences prévues pour les jours suivants avec le Ministre de l’Industrie du Commerce et de l’Agriculture M. Xuereb et le Ministre de l’Instruction publique Mme Agata Barbara avaient été «suspendues».
Je ne l’ai guère regretté, puisque eux aussi n’auraient fait que me répéter les doléances de leurs collègues que j’avais vus auparavant, c’est-à-dire que la Suisse ne fait rien ou aide trop peu leur pays.
Veuillez excuser la prolixité de ce rapport sur les vociférations du Premier Ministre maltais. Tous mes collègues «occidentaux» à Malte ont fait et font continuellement des expériences analogues: ils les supportent et se limitent à le taxer d’«anormal». Ils relèvent cependant que Dom Mintoff peut aussi se révéler à leur égard l’hôte le plus amical, jovial, gai et aimable en les recevant chez lui après les avoirs étrillés auparavant dans son bureau!
Il ne faut donc pas prendre au sérieux ses impertinences et vitupérations, ni sa renonciation proférée «in extremis» à notre projet d’école d’électronique. À ma manière de voir, les services du Délégué à la coopération technique doivent donc en poursuivre l’étude et faire tout leur possible pour en avancer au maximum l’ouverture. Le Délégué à la coopération technique devrait cependant posséder d’ores et déjà la certitude que cette école pourra être réalisée7. Dans le cas contraire, il conviendrait de le communiquer sans autre retard au Gouvernement maltais, en s’abstenant naturellement de se référer à la renonciation proférée sous l’empire de la colère par Dom Mintoff.
Je me permets donc de recommander ce projet à l’attention particulière de votre Département.
- 1
- Lettre (copie): CH-BAR#E2001E-01#1988/16#4473* (B.15.21). Visée par E. Thalmann, Ch. Müller, P.- Y. Simonin et E. Peyer. Copie à S. Marcuard et à la Division du commerce du Département de l’économie publique. Annotation manuscrite dans la marge de M. Gelzer du 9 juin 1973: Wie mir T [echnische]Z [usammenarbeit](Herr Peyer) erklärt ist diese bereit und in der Lage ihr für Malta versprochenes Projekt für Herbst 1974 – wie mit Malta vereinbart – zu realisieren. Vorher geht es nicht – es besteht angesichts des Rücktritts Dom Mintoffs hierzu auch keine Veranlassung! T [echnische]Z [usammenarbeit]will Projekt aber natürlich nur dann realisieren, wenn es von Dom Mintoff nicht boykottiert wird, was durch Botschaft Rom abzuklären wäre. T [echnische]Z [usammenarbeit]wird sich in diesem Sinne mit Marcionelli in Verbindung setzen.↩
- 2
- J. Steinbach, I. de Laurens-Castelet et I. Ben-Yaacov.↩
- 4
- J. Abela, A. Barbara et J. Cassar.↩
- 5
- Cf. doss. CH-BAR#E2005A#1985/101#540* (t.311.1).↩
- 6
- Sur les relations entre la Suisse et Malte, cf. p. ex. la lettre de J. de Rham à E. Thalmann du 25 juillet 1972, dodis.ch/36956 et la lettre de A. R. Hohl à J. de Rham du 18 septembre 1972, dodis.ch/36957.↩
- 7
- Le Fellenberg Training Centre for Industrial Electronics ouvre ses portes en 1974. Cf. doss. comme note 5.↩
Relations to other documents
http://dodis.ch/39487 | is mentionned in | http://dodis.ch/49205 |
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Malta (General) Malta (Economy) Technical cooperation