Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 21, doc. 111
volume linkZürich/Locarno/Genève 2007
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#7* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 4 | |
Dossier title | Akkra, Politische Berichte und Briefe, Band 1 (1960–1962) |
dodis.ch/15809 Présentation des lettres de créance à Monsieur Sylvanus Olympio, Président de la République Togolaise, le 17 novembre 1960
Moins de vingt-quatre heures après l’audience du Président Nkrumah2, je présentai mes lettres à Lomé au Président Olympio.
La capitale du Togo compte 80’000 habitants. Son aspect provincial n’est pas dénué de charme. Nombre de bâtiments rappellent la colonisation allemande.
Le palais dans lequel me reçut le Président avait été occupé tour à tour par le
Gouverneur allemand, par le Commissaire de la République, sous le statut de mandat du Type B de la SDN3, enfin par le Haut Commissaire sous le régime de tutelle des Nations Unies. Au contraire de l’accueil très simple du Président ghanéen4, je dus affronter en jaquette, sous un soleil de plomb, un protocole qui me prescrivait les pas en avant, arrêts, pas en arrière que j’avais à accomplir. Au moment où retentit notre hymne national, le directeur du cabinet se précipita vers M. Max Grässli, arrivé la veille, pour s’assurer que la fanfare ne jouait pas «God save the Queen».
M. Sylvanus Olympio, dont le nom évoque les métis brésiliens d’origine portugaise particulièrement actifs sur la côte des Esclaves, a l’expérience du monde des affaires. Formé à Londres, il fut directeur de l’«United African
Company» (Unilever) à Accra, avant d’entrer dans l’arène politique. Réaliste,
Olympio se situe aux antipodes de Nkrumah. Celui-ci avait pu espérer que les affinités du leader voisin avec Londres favoriseraient un rapprochement. Il dut déchanter.
A la fin d’une allocution (annexe5) qui dénote une réelle connaissance de la
Suisse, M. Olympio a formé ses vœux pour le bonheur personnel du président de la Confédération6, et pour la prospérité de notre pays. Rien de notable n’est ressorti de la conversation qui suivit. Elle se déroula debout, avec la solennité un peu guindée des Français en de pareilles occasions. Mais le ton fut très cordial. Si j’avais pu craindre qu’on prît ombrage de ma résidence au Ghana, je fus agréablement détrompé.
L’évolution du Togo, pays à peine plus grand que la Suisse, peuplé de moins d’un million et demi d’habitants, présente matière à réflexion.
La position particulière que lui valait la surveillance de la SDN, puis de l’ONU, se traduisit par un net effort d’émancipation de la part de la France.
Celle-ci trouva un terrain favorable. Largement scolarisé par les missionnaires allemands, doté d’une petite élite, abritant une population disciplinée et portée au travail administratif, le Togo apparaît dès 1950 comme un pays pilote. Tout d’abord territoire associé, il devient, le 30 août 1956, République autonome, et accède, le 27 avril 1960, à l’indépendance.
En dépit de l’effort fourni par la France, on sent que vingt-neuf ans de colonisation allemande (1885–1914) ont plus marqué le pays que quarante cinq ans de présence française. La qualité de remarquables administrateurs, un Comte Zech, un Duc de Mecklembourg, qui firent du «Schutzgebiet Togo» une «Musterkolonie» y est certainement pour quelque chose. Mais surtout, la période d’avant 1914 était dénuée d’ambiguïté. Le colonisateur européen, fort de sa bonne conscience de civilisateur et de chrétien, appliquait avec autorité et justice son régime paternaliste. Après la guerre, la relation est hybride entre tuteur et pupille. Aux certitudes simples et constantes du régime colonial fait place l’inquiétude de l’émancipation à terme.
A présent que la crise de croissance est terminée, le Togo possède quelques solides atouts. Il a su résister aux visées expansionnistes du Ghana, qui prennent assises sur l’irrédentisme de la tribu des Ewés. (Après avoir orchestré une campagne accusant le Togo de préparer une invasion du
Ghana, le Président Nkrumah porta au mois de juin à Lomé le rameau d’olivier au Président Olympio. Mais ce geste de conciliation demeura sans lendemain. Actuellement, un embargo frappe l’exportation de toutes marchandises ghanéennes à destination du Togo, grand acquéreur de biens de contrebande, singulièrement de cacao). Envers les Etats membres de la
Communauté rénovée, M. Olympio marque également ses distances. Des liens tribaux unissent le Togo et le Dahomey, mais une adhésion au Conseil de l’Entente n’est pas envisagée. S’il se vérifiait qu’un petit pays doit se joindre à un ensemble plus vaste, c’est sans doute vers le Nigeria que le Togo se sentirait le plus attiré.
Un autre élément positif est le niveau intellectuel, si l’on peut dire, de la population. Aucun pays d’Afriqueoccidentale ne compte proportionnellement autant d’habitants sachant lire et écrire. Les Français ont imposé leur langue et leur méthode scolaire aux Togolais dès les premières classes primaires. Le résultat est une connaissance étendue du français. (Au Ghana, les
Britanniques furent plus respectueux des idiomes indigènes. C’est sans doute la raison pourquoi l’anglais y est mal parlé.) Un revers à cette médaille: le goût du Togolais pour les «occupations en faux-col blanc» l’éloigne d’activités artisanales, agricoles, manuelles. Durant mon court séjour à Lomé, j’ai reçu des douzaines de demandes d’emploi comme secrétaire et planton, signe d’ailleurs du chômage qui règne dans cette catégorie de salariés depuis que la Côte d’Ivoire a expulsé en mars 1958 les employés togolais. Pas un seul postulant ne s’offrait en revanche comme cuisinier, valet, jardinier, chauffeur.
Enfin le Togo, qui se suffisait à lui même avant 1914, a une économie assez équilibrée.
En dépit de facteurs favorables à l’instauration d’un régime démocratique, le pays paraît s’orienter vers la forme de gouvernement propre à tous les Etats d’Afriqueoccidentale: le parti unique et le régime présidentiel. Cette tendance obéit à des mobiles d’efficacité, en vue de combler un retard économique et social qui fait sonner creux le vocable d’indépendance, et traduit au demeurant le vieil instinct tribal de se donner un chef. Le parti de M. Olympio, le «Comité de l’Union togolaise», pas plus que M. Olympio lui-même, ne songent à faire place un jour à l’opposition. Celle-ci s’amenuise dans toute «démocratie» africaine à mesure que se prolonge l’exercice du pouvoir par le parti qui s’était trouvé majoritaire le jour de l’indépendance. Les leaders africains ne s’embarrassent pas des droits de la minorité. Pour eux, la majorité exprime la volonté du peuple, et autorise par conséquent une domination sans freins.
En limitant les critères de la démocratie à un seul: le pouvoir doit émaner du suffrage universel, les chefs de parti, qui cumulent en sus les fonctions de chefs de l’Etat et du Gouvernement, ne font que rejoindre l’enseignement d’un
Robespierre et d’un Lénine.
Induire d’une telle filiation, à considérer d’ailleurs «cum grano salis», que l’Afrique est vouée à la terreur jacobine, serait fortement solliciter la réalité.
Le continent ne connaît pas encore, même pas en Guinée, les attributs du totalitarisme, avec son système concentrationnaire, ses autocritiques, aveux, exécutions. Peut-être ces excès lui seront-ils épargnés, tant l’Africain, être essentiellement religieux, paraît peu enclin au matérialisme dialectique et à son cortège de dogmes et de raison. Néanmoins, le monde doit s’attendre en
Afrique à un nouveau sous-genre de totalitarisme, moins atroce que les autres, mais liberticide lui aussi.
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