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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 21, doc. 118
volume linkZürich/Locarno/Genève 2007
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.41-05#1977/93#220* | |
Old classification | CH-BAR E 2200.41-05(-)1977/93 11 | |
Dossier title | Relations franco-suisse; Généralités (1958–1964) | |
File reference archive | B.20 |
dodis.ch/15035 L’Ambassadeur de Suisse à Paris, P. Micheli, au Département politique1 Rapport sur les relations franco-suisses au cours de l’année 1960
Si l’on examine l’évolution des relations franco-suisses, on s’aperçoit que celles-ci provoquent périodiquement de l’irritation dans l’opinion publique suisse. Car le rayonnement de la France et les liens particulièrement nombreux qui existent entre les deux pays, suscitent de notre part une amitié qui se croit facilement trahie lorsque la politique française nous heurte. Actuellement nous traversons une de ces périodes de déception. Notre presse a publié différents articles qui n’étaient pas dénués d’acrimonie à l’égard de la France2. Ces articles ont été remarqués au Quai d’Orsay, où l’on a été surpris de leur vivacité. Les sentiments qu’ils reflètent ne se justifient pas, prétendent les Français.
J’ai été ainsi amené à expliquer au Ministre des Affaires étrangères3 les causes de notre mécontentement. Elles me paraissent être de trois ordres: le problème des Six et des Sept, plusieurs affaires économiques dont nous ne parvenons pas à obtenir le règlement, et l’engagement de mineurs par la Légion étrangère4. J’ai attiré l’attention de M. Couve de Murville sur le fait que nous étions parfaitement conscients des difficultés auxquelles se heurte la solution du problème de la division de l’Europe entre Communauté Economique
Européenne et Association Européenne de Libre Echange. Nous avions de la peine cependant – lui ai-je dit – à comprendre pourquoi la France se refusait à l’examiner. Chaque fois que nous avions essayé d’aborder le sujet, soit avec les autres membres de la Commission Economique Européenne, soit à Bruxelles même, nous nous étions heurtés à l’attitude négative de la France. En ce qui concerne les différentes affaires économiques en suspens5, j’ai à nouveau demandé l’intervention du Ministre des Affaires étrangères pour hâter leur règlement. Enfin, j’ai renouvelé nos plaintes à l’égard des engagements de mineurs par la Légion étrangère, qui, s’ils ne sont pas nombreux, n’ont cependant pas cessé (au cours de l’année 1960 nous avons été appelés à intervenir dans trois nouveaux cas)6.
Il me semble néanmoins que le bilan de nos relations avec la France au cours de l’année écoulée présente, à côté des éléments négatifs sur lesquels j’ai attiré l’attention du Ministre des Affaires étrangères, de nombreux éléments positifs, qu’il convient de ne pas laisser non plus dans l’ombre. Comme ces derniers ne sont pas toujours connus, je voudrais les passer rapidement ici en revue.
Nos relations avec la France s’étendent particulièrement à quatre domaines différents: le domaine politique, le domaine économique, le domaine social et le domaine culturel.
Dans le domaine politique il faut relever en premier lieu que la Suisse jouit, d’une façon générale, d’une grande estime en France. Sa position particulière et sa neutralité y sont comprises et respectées. Depuis un peu plus de quatre ans que je suis en poste à Paris, j’ai recueilli d’innombrables témoignages d’affection sincère et de reconnaissance envers la Suisse. Cette gratitude m’a été souvent exprimée en termes émouvants. Combien de fois les autorités des villes ou des villages dans lesquels j’étais appelé à me rendre, ont tenu à rendre hommage à notre pays en pavoisant abondamment leurs bâtiments aux couleurs suisses, en faisant exécuter (avec beaucoup de fausses notes d’ailleurs) nos chants nationaux par leurs fanfares municipales et en m’adressant des allocutions touchantes.
En 1958 et en 1959, les activités du FLN en Suisse7 avaient été la cause de différentes réclamations que m’avaient adressées les autorités françaises. Au cours de 1960 je n’ai plus été saisi de plaintes de ce genre. Au contraire, dans une récente réponse à une question écrite, posée par M. Lauriol, député d’Alger, le Ministre des Affaires étrangères a fait preuve d’une entière objectivité. La question de M. Lauriol avait la teneur suivante: «M. Lauriol expose à M. le Ministre des Affaires étrangères que le FLN développe en Suisse une propagande intense contre la France. Cette propagande se manifeste notamment par:
1. l’extension que le réseau Jeanson8 et différentes autres organisations parallèles ont prises dans ce pays voisin;
2. la création récente d’un comité Suisse-Algérie9 dont l’activité hostile à la France est notoire. Il lui demande quelles mesures le gouvernement a prises et prendra en vue de redresser une situation aussi alarmante» (question du
24 octobre 1960).
M. Couve de Murville y a répondu en ces termes: «Notre ambassadeur à Berne10 intervient auprès des autorités helvétiques, chaque fois que cela apparaît nécessaire, pour attirer leur attention sur les répercussions d’initiatives d’ordre privé préjudiciables aux relations francohelvétiques. Ces autorités ont d’ailleurs toujours manifesté le souci d’empêcher sur leur territoire les agissements de groupements étrangers susceptibles de porter atteinte à la position traditionnelle de neutralité de la Confédération.
Rien ne permet de supposer qu’elles envisagent de modifier leur attitude.
A diverses reprises, des sanctions ont été prises contre des agents du FLN ou des groupements inféodés à cette organisation, qui s’étaient livrés à des manifestations hostiles contre la France. C’est ainsi que la police suisse a récemment arrêté et reconduit à la frontière M. Francis Jeanson, ce dernier ayant donné en Suisse une conférence de presse approuvant l’action du
FLN11.»
Dans plusieurs affaires concrètes, l’administration française a témoigné à notre égard d’une bonne volonté évidente. Parmi d’autres, je citerai: des rectifications de frontière (en relation, en particulier, avec l’agrandissement de l’aéroport Genève-Cointrin12); l’application de notre convention relative au service militaire des double-nationaux13; le refus opposé par les autorités françaises à l’ouverture d’un casino à Annemasse14. Nous avons constaté la même bonne volonté dans plusieurs affaires privées: l’amnistie du pasteur
Bornand15, condamné à mort par contumace en 1949 pour dénonciation de
Français à la Gestapo pendant la guerre; libération des liens d’allégeance d’un jeune double-national, M. Jean-Pierre Moret16, etc. Dans le même ordre d’idées, signalons que nos autorités cantonales entretiennent des rapports de bon voisinage très cordiaux avec la plupart des préfets des départements frontières et de certains députés. Les services du Ministère de l’Intérieur, interviews avec des personnalités suisses résidant ou de passage en France sur tous les sujets présentant de l’intérêt pour nous.
C’est dans le secteur économique que nous avons de tout temps rencontré les plus grandes difficultés, ce qui n’est pas étonnant puisque des intérêts très importants de part et d’autre, s’y opposent. Au cours de l’année 1960, ces difficultés ne nous ont pas été épargnées. Néanmoins, nous avons enregistré une augmentation sensible de nos exportations en France. Bien que les chiffres définitifs ne soient pas encore connus, celles-ci peuvent être évaluées à 540 millions de francs suisses (contre 500,9 millions en 1959). Il est vrai que, de leur côté, les exportations françaises en Suisse ont augmenté dans des proportions beaucoup plus importantes encore (1 milliard 200 millions de francs suisses contre 931 millions en 1959). Mais il n’en reste pas moins que nos exportations ont dépassé de quelque 40 millions de francs suisses les exportations enregistrées l’année précédente, qui avaient déjà atteint, elles aussi, un volume jamais réalisé auparavant (la moyenne de nos exportations en France durant les dix dernières années n’étant que de 427,5 millions de francs suisses). En décembre nous avons renouvelé pour la durée d’une année notre accord commercial de
1955 avec la France17, qui, dans l’ensemble, a bien fonctionné.
Compte tenu du choc psychologique qu’on pouvait craindre de l’entrée en vigueur du Marché commun pour l’exportation des produits suisses en France et des discriminations tarifaires qui en découlaient, ces résultats peuvent être considérés comme satisfaisants. Ils témoignent non seulement de la vitalité de nos industries exportatrices et de leurs facultés d’adaptation, mais ils sont aussi une preuve de la fidélité de la clientèle française à l’égard de leurs fournisseurs suisses.
Ces constatations méritent d’être soulignées au moment où certains milieux suisses parlent de «détérioration des relations économiques franco-suisses».
Leur appréciation repose moins sur la situation réelle des échanges commerciaux franco-suisses que sur les divergences de vues existant aujourd’hui entre nos deux pays au sujet de la coopération européenne, et peut-être aussi sur leurs craintes pour l’avenir.
En ce qui concerne les relations du service économique de l’Ambassade avec l’Administration française, notamment avec le Ministère des Finances et des Affaires économiques, Office des Changes, etc., elles sont bonnes. Si des obstacles s’opposent encore à l’importation de certains de nos produits en France et nécessitent parfois, de notre part, de nombreuses interventions, nous avons toujours eu la certitude que les fonctionnaires responsables des services techniques s’efforçaient, dans la limite de leurs compétences et dans le cadre des dispositions de notre accord commercial, de donner satisfaction à nos requêtes.
Dans le domaine social, les difficultés considérables et systématiques que nous avons éprouvées de 1949 à 1955 ont disparu18. Le modus vivendi qui s’est établi après de laborieuses négociations est appliqué dans le meilleur esprit.
Nous constatons certes dans quelques cas particuliers des retards administratifs.
Ils ne procèdent nullement d’une intention ou de dispositions défavorables à notre égard, mais sont inhérents à la complexité de l’administration française et de sa procédure. Seuls les architectes qui désirent s’établir à leur compte font l’objet de refus systématiques parce que l’administration et l’Ordre professionnel veulent amener la Suisse à conclure une convention. Il en résulte une situation désagréable, mais elle est également imputable à l’administration fédérale qui pendant plusieurs années a laissé cette question de côté. Elle reprend vie actuellement. De toute façon, elle n’intéresse qu’un petit nombre de compatriotes.
En matière de sécurité sociale, tous les problèmes importants ont été résolus depuis longtemps et les quelques problèmes secondaires (frontaliers, allocations familiales, pacages, Fonds national de solidarité aux aveugles, etc.)19 réglés récemment ou encore en suspens ont été abordés de part et d’autre avec un désir sincère d’entente. Dans l’application quotidienne de nos accords et de la législation française, nous remarquons que nos interventions directes auprès des Ministères, des Caisses de sécurité sociale, etc. sont traitées parfois avec lenteur, mais toujours avec déférence et précision.
Dans le domaine culturel, le courant d’échanges entre la Suisse et la France est toujours intense et ne se ressent aucunement de nos désaccords sur le plan
Bâle. A Bâle également les musées français ont prêté de nombreuses toiles pour l’exposition Braque. La participation au festival que la ville de Zurich a consacré à la France en juin 1960, a été particulièrement importante. D’autre part, après l’exposition des chef-d’œuvres français des collections suisses, au
Petit Palais, qui a remporté un succès considérable au printemps 1959, le Musée d’Art Moderne a accueilli au début 1960 une importante exposition d’art suisse contemporain, qui a suscité un vif intérêt. De leur côté, les musées suisses ont l’exposition consacrée aux «Sources du XXe Siècle», qui est présentée actuellement au Musée d’Art Moderne sous les auspices du Conseil de l’Europe. Le maître Ernest Ansermet a été très applaudi au cours d’un concert consacré à la mémoire d’ArthurHonegger; le «Mystère de la Nativité» de Frank Martin a été créé au Théâtre des Champs-Elysées avec l’Orchestre national de la
Radiodiffusion-Télévision Française; le «Roi David» d’ArthurHonegger et
René Morax, qui avait été présenté à Toulouse en 1958 dans sa version originale de F. Dürrenmatt, et «M. Biedermann et les Incendiaires», de Max Frisch, ont été représentées à Paris.
A l’assemblée de l’UNESCO, la délégation française a souvent soutenu nos propositions et a constamment fait preuve d’une attitude très amicale envers la délégation suisse.
Il convient peut-être aussi de signaler que, dans nos relations avec les instances militaires françaises, nous avons rencontré beaucoup d’amabilité.
L’Etat-Major Général de l’Armée française, rendant l’invitation faite l’an dernier par l’Etat-Major Général suisse au Général Lavaud20, Chef d’Etat-Major
Général des Armées, et au Général du Mesnil de Maricourt, alors Sous-Chef de l’Etat-Major de l’Armée de l’Air, a convié en automne 1960 le Colonel
Commandant de Corps Frick, Chef de l’Instruction, et le Colonel-Divisionnaire Primault, Commandant et Chef d’arme des troupes d’aviation et de
DCA, à faire un voyage d’information en France21. L’Etat-Major de l’Armée française nous réserve pour chaque cycle d’instruction une place de stagiaire à l’Ecole supérieure de Guerre. Chaque année l’Etat-Major de l’Armée de l’Air met également à la disposition de l’armée suisse une place de stagiaire à l’Ecole supérieure de Guerre aérienne. Malheureusement, faute de personnel et probablement de crédits, le Service de l’Aviation et de la DCA suisse n’a pu, durant ces dernières années, envoyer qu’un seul officier à cette Ecole.
Deux, voire trois fois par an, l’Etat-Major français de l’Armée de l’Air offre une place à un officier suisse à l’Ecole des Opérations Aériennes Combinées à Baden-Oos pour des cours de courte durée. Dernièrement un officier de la
Gendarmerie cantonale vaudoise a commencé un stage de trois mois dans la
Gendarmerie française. Les demandes que nous avons été amenés à présenter pour des visites organisées par la Société suisse des officiers ont toujours été accordées dans les délais les plus brefs. Nous recevons à titre gracieux pratiquement toute la documentation française militaire et technique qui peut nous intéresser et il n’y a que les publications spéciales et fort coûteuses éditées par les instances officielles, mais confiées à des maisons d’édition, que nous devons payer au prix coûtant. Les bureaux français nous donnent libéralement tous les renseignements que nous demandons sur les problèmes militaires pouvant nous intéresser. Dans nos commandes de matériel, les services français n’ont jamais ménagé leur peine pour nous donner satisfaction.Conclusions
Il résulte de ce qui précède que la défense de nos intérêts nous oblige parfois à des prises de position très fermes à l’égard de la France. Cette attitude est tout à fait justifiée.
Mais elle ne doit pas nous faire perdre une juste mesure des choses. Les problèmes qui nous opposent à la France ne sont pas uniquement francosuisses: la question des relations entre les Six et les Sept intéresse également tous nos partenaires de l’AELE, et celle de l’engagement de mineurs par la
Légion étrangère22 touche plus encore les Belges et les Allemands que nousmêmes. Dans les relations bilatérales nous devons reconnaître l’effort fait par nos voisins de l’ouest pour que le climat de nos rapports ne souffre pas trop de ces différends. Ce climat est d’une façon générale confiant et amical, comme il se doit d’ailleurs entre deux pays unis par tant de liens.
- 1
- Rapport: E 2200.41(-)1977/93/11.↩
- 2
- La presse suisse, si elle n’est pas considérée du côté français comme lui étant beaucoup plus contraire que celle de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne, est jugée plus inconstante par l’Ambassadeur de France à Berne, E. Dennery. Ce sont surtout les articles publiés par les journaux communistes ainsi que par Die Tat qui ont retenu défavorablement son attention ainsi que celle de ses supérieurs au Quai d’Orsay. Les critiques les plus violentes visent l’armée française, la position française sur la question du Marché commun ainsi que l’enrôlement des jeunes Suisses dans la légion étrangère. Enfin, la position favorable au FLN affichée par nombre de journaux suisses gêne les autorités françaises.↩
- 4
- Sur cette question, cf. DDS, vol. 21, doc. 48, note 2.↩
- 5
- Au sujet de ces différentes affaires économiques en suspens, cf. le télégramme No 29 de P. Micheli à O. Long et à la Division des Affaires politiques du DPF. Une copie est envoyée à la Division du Commerce du DFEP, E 2001(E)1976/17/446 (dodis.ch/15129).↩
- 6
- Sur la question de l’enrôlement des Suisses dans la légion étrangère, cf. la note de J. Zwahlen du 15 mai 1961, E 2001(E)1976/17/435 (dodis.ch/15129) ainsi que le DDS, vol. 21, doc. 48.↩
- 7
- Cf. DDS, vol. 21, doc. 104.↩
- 8
- Cf. DDS, vol. 21, doc. 99.↩
- 9
- Cf. note 6.↩
- 10
- E. R. Dennery.↩
- 11
- Cf. note 7.↩
- 12
- Cf. la lettre de P. Micheli à M. Petitpierre du 20 décembre 1957, E 2001(E)1970/217/59 (dodis.ch/12375).↩
- 13
- Cf. la Convention entre la Suisse et la France relative au service militaire des doublenationaux du 1er août 1958, RO, 1959, pp. 223–226 (dodis.ch/10539).↩
- 14
- Cf. E 2001(E)1972/33/56 et E 2200.77(-)1976/32/9.↩
- 15
- Cf. E 2200.41(-)1972/157/30.↩
- 16
- Non retrouvé.↩
- 17
- Cf. l’Accord commercial entre la Suisse et la France du 29 octobre 1955, RO, 1955, pp. 1092–1111 (dodis.ch/10534).↩
- 18
- Sur le déroulement des négociations franco-suisses dans le domaine social, cf. E 2001(E) 1967/113/209 et E 2001(E)1972/33/202.Voir aussi PVCF No 1250 du 20 juin 1949, E 1004.1(-) 1000/9/506 (dodis.ch/3138).↩
- 19
- Cf. DDS, vol. 21, doc. 4.↩
- 20
- Cf. E 5560(C)1975/46/170.↩
- 21
- Cf. E 5560(C)1975/46/133 et 134.↩
- 22
- Cf. note 3.↩
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