dodis.ch/8954
Notice du Chef du Département politique, M. Petitpierre1

ENTRETIEN AVEC M. MENDÈS-FRANCE, PRÉSIDENT DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS, LE MERCREDI 23 JUIN 1954

Ce matin, je suis allé attendre M. Mendès-France à la gare. Il venait de Paris par le train qui arrive à Berne à 7 h. 51. M. Chauvel, Ambassadeur de France, était présent. Je l’ai félicité de la manière ingénieuse dont il avait combiné cette visite du Chef du Gouvernement français au Conseil fédéral et un entretien entre M. Mendès-France et M. Chou En-lai. M. Chauvel n’a pas contesté être l’artisan de cette double opération.

M. Mendès-France est venu me voir ensuite à mon bureau. L’entretien a duré de 11 h. 35 à 12 h. 25.

Nous nous sommes rendus ensuite avec M. Chauvel à la Maison de Watteville, où avait lieu un déjeuner. M. Etter présidait celui-ci, auquel assistait également M. Streuli.

M. Mendès-France m’a dit qu’il était assez fatigué par ces dernières journées. Il m’a remercié pour la manière dont les autorités suisses avaient organisé la Conférence de Genève2. Nous avons parlé de celle-ci. J’ai relevé que les prévisions de M. Chauvel, faites il y a une dizaine de jours, au cours du dernier entretien que j’avais eu avec lui3, s’étaient réalisées et que des possibilités d’accord paraissaient exister. M. Mendès-France ne peut pas prévoir ce qui ressortira de l’entretien qu’il aura cet après-midi avec M. Chou En-lai. Il espère qu’un résultat positif pourra être atteint. Il ne sait rien des intentions soviétiques, chinoises et du Vietminh. Du côté français, on ignore quelle est l’influence respective de Ho Chi Minh et du Général Giap. Le chef de la délégation du Vietminh à Genève paraît être, selon M. Chauvel, un personnage influent. Sur les conditions auxquelles un arrangement pourrait intervenir, M. Mendès-France ne s’est pas prononcé.

Nous avons parlé ensuite de l’OECE, de l’UEP, de la convertibilité des monnaies. M. Mendès-France estime que la situation économique et financière s’est améliorée en France au cours de ces derniers mois, quoique l’amélioration soit lente. Il est de l’avis que, sur le terrain de la convertibilité, la France est moins avancée que l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Si des progrès sont réalisés, il aimerait qu’ils puissent l’être progressivement par les trois pays, même si la France devait être en retard sur l’Allemagne et la Grande-Bretagne. M. Mendès-France admire l’effort accompli par les Allemands. Ceux-ci ont des charges moins lourdes que la France au point de vue social. Ils doivent supporter les frais d’occupation, mais ces derniers sont moins élevés que ne le seraient des dépenses militaires. L’Allemagne est un concurrent redoutable sur la plupart des marchés. Elle accorde des crédits de très longue durée et a proposé à certains pays, comme l’Egypte, le Brésil, l’Uruguay, etc., d’acheter toute la production dont ils ne savent que faire. Elle revend ensuite les produits qui lui ont été livrés, éventuellement à des prix inférieurs à ceux pratiqués sur le marché international par les pays qui les lui ont vendus: ainsi le coton égyptien.

M. Mendès-France est reconnaissant à la Suisse des prêts qu’elle a consentis à des entreprises françaises, comme Péchiney, ou à la SNCF4. Ces opérations présentent des avantages pour la France, à laquelle elles procurent des devises.

Nous parlons encore des échanges commerciaux entre l’Ouest et l’Est5. M. Mendès-France pense qu’il ne faut pas se faire d’illusions. Pour un pays comme l’URSS, les échanges internationaux n’ont qu’une importance marginale. Elle peut à un moment donné désirer vendre une petite partie de sa production ou faire des achats à l’étranger. Mais elle peut interrompre brusquement ses échanges et ne deviendra jamais un client régulier. Pour la Chine, la situation est peut-être un peu différente, les besoins de ce pays étant considérables.

M. Mendès-France est reconnaissant à la Suisse du refuge qu’il y a trouvé pendant la guerre. Il a vécu quelques mois à Genève, où il avait été recueilli par M. Rosselet, ancien Conseiller d’Etat et Conseiller national. Il a quitté notre pays en 1942 pour se rendre à Londres.

Après le déjeuner, M. Mendès-France m’a déclaré que le repas que nous lui avions offert était particulièrement délicieux.

1
E 2800(-)1990/106/19.
2
Sur la conférence asiatique de Genève (du 26 avril au 21 juillet 1954), cf. DDS, vol. 19, doc. 93.
3
Entretien du vendredi 13 juin 1952.
4
Sur ces différents emprunts, cf. DDS, vol. 19, doc. 19 et doc. 22.
5
Sur cette question, cf. table méthodique du présent volume: Commerce Est-Ouest.