C’est un privilège pour la Suisse que de pouvoir aujourd’hui souhaiter la bienvenue ici, à Genève, à vous tous qui êtes venus pour participer à la deuxième Conférence mondiale sur le climat. Et c’est un privilège pour moi que de pouvoir vous adresser quelques mots sur un thème qui, de toute évidence préoccupe l’humanité tout entière.
Au moment où l’impact des activités humaines sur la planète se révèle d’une ampleur sans précédent, nous prenons conscience qu’elle est un système unique et fini, et que sa capacité à maintenir la vie qui s’y est installée dépend de subtils équilibres naturels.
Nous nous rendons compte également – et la communauté scientifique internationale réunie ici la semaine dernière l’a rappelé2 – de notre profonde ignorance des processus et mécanismes complexes qui régissent notre climat et le phénomène vivant.
Aujourd’hui, il s’agit donc, d’abord, de mieux comprendre ces mécanismes, notamment en étudiant les processus en cause et en analysant les atteintes qui pèsent sur le système et sur sa capacité de charge. De telles études et analyses réclament une coopération interdisciplinaire et c’est dans cette voie que les programmes scientifiques nationaux, régionaux et internationaux devront s’orienter à l’avenir.
Ensuite, il s’agit, cette fois au niveau décisionnel, d’intervenir résolument et dans une perspective globale afin d’enrayer les multiples pollutions qui perturbent les équilibres naturels, et de mettre un terme au saccage des ressources naturelles en vue de les préserver pour les générations futures.
Il s’agit enfin, malgré les intérêts parfois divergents et les situations particulières, de jeter les bases d’une nouvelle solidarité internationale, seule capable d’assurer à long terme la recherche de solutions efficaces aux problèmes écologiques globaux.
Ce n’est pas la première fois, il est vrai, que nous traitons d’un problème environnemental à l’échelle de la planète. La conférence sur la protection de la couche d’ozone, qui s’est tenue à Londres en juin dernier, a déjà illustré notre volonté de mettre en œuvre des mesures concrètes pour répondre à une menace de portée mondiale.3 Mais le problème de la couche d’ozone, pour grave qu’il soit, se laisse encore circonscrire assez aisément.
Le problème du changement climatique, que les hommes de science, auxquels je rends ici hommage, ont identifié depuis longtemps, est en effet d’une toute autre portée.4 Certes, les technologies modernes peuvent et doivent fournir des solutions. Mais les racines du mal sont dans notre comportement même, dans notre vision dominatrice du monde et de la nature, et c’est pourquoi l’avènement de solutions véritables passe obligatoirement par un changement radical de nos sociétés, qui devront apprendre à tenir compte des réalités d’un monde fini et des lois incontournables de la nature. C’est donc tout notre développement qu’il s’agit en somme de redéfinir, et cette conférence, de même que la Déclaration que nous adopterons à l’issue de ces discussions, constituent un premier pas décisif dans ce sens.5
Ce pas devra être franchi en se fondant sur trois principes: la précaution, l’équité, et la solidarité.
Monsieur le Président,6 je suis conscient de l’importance de l’effort à accomplir et de la portée des enjeux.
Nous avons déjà eu l’occasion de nous exprimer à maintes reprises sur la nécessité de disposer des données scientifiques les plus complètes et les plus précises possible afin d’être à mêmes de prendre des décisions rationnelles et responsables dans le domaine du changement climatique. Nous avons confié au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (IPCC) le soin de nous fournir ces données.7
Les hommes de science qui ont participé à cet effort nous ont convaincus que, malgré la complexité des problèmes et les incertitudes qui subsistent, nous en savons aujourd’hui suffisamment pour ne pas reporter l’adoption d’engagements précis et concrets dans les domaines d’action qui nous semblent prioritaires.
Ainsi, il incombe tout d’abord aux pays industrialisés qui, faut-il encore le souligner, sont les principaux responsables des pollutions de tous ordres, de réduire leurs émission de gaz à effet de serre, et en particulier de gaz carbonique.
À cet égard, il nous semble d’ailleurs de la plus haute importance que tous les pays industrialisés participent à cet effort dans un esprit de solidarité et que les plus gros émetteurs s’engagent à des réductions qui soient à la mesure de leurs émissions.
La Suisse est déterminée à prendre ses responsabilités et mettra en œuvre les mesures qui s’imposent, notamment pour réduire ses émissions de gaz carbonique. Elle s’est fixé pour objectif minimal de stabiliser ces émissions d’ici à l’an 2000 au niveau de 1990, et accordera à cette fin la priorité à des mesures d’économies d’énergie et d’accroissement de l’efficacité sur le plan énergétique.8
De plus, le Conseil fédéral a l’intention d’introduire une taxe sur les émissions de gaz carbonique, ce qui devrait contribuer de manière non négligeable à stabiliser la consommation des combustibles et carburants fossiles.9
Nos experts étudient en ce moment la faisabilité et les coûts d’une réduction des émission de gaz carbonique de 20% d’ici à l’année 2005 et de 50% d’ici à 2025. Une fois qu’il aura pris connaissance des résultats de ces études, qui sont attendus pour l’été 1991, le Conseil fédéral arrêtera un plan d’action destiné à renforcer les mesures de réduction déjà prises.10
Monsieur le Président, bien que la réduction des émissions de gaz carbonique et d’autres gaz à effet de serre soit à nos yeux une mesure d’une importance capitale, elle ne suffira pourtant pas à résoudre à elle seule le problème du réchauffement du globe.
Les pays industrialisés doivent encore renforcer et élargir leur coopération avec les pays en développement. Il s’agit de soutenir leurs efforts dans la lutte contre la pauvreté, la malnutrition et tous les autres facteurs qui sont à l’origine de multiples atteintes à leur base écologique. Il importe à cet égard de mettre à disposition des pays en développement des ressources financières additionnelles afin qu’ils puissent, eux aussi, assumer leur responsabilité en participant à l’effort global qui sera accompli en vue d’enrayer le réchauffement de la planète.11
Cet effort implique, notamment, l’utilisation efficace des ressources naturelles et énergétiques et la gestion durable des forêts tropicales. À cette fin, nous, pays industrialisés, nous devons promouvoir le transfert vers les pays en développement et les pays d’Europe de l’Est des technologies les plus efficaces, afin que ces pays assurent leur développement économique tout en maîtrisant leurs émissions de gaz à effet de serre.12
Des impulsions nouvelles et essentielles à cette coopération seront apportées par la convention sur le climat que la communauté internationale se prépare à négocier et, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter, qu’elle est déterminée à adopter à l’occasion de la Conférence des Nations Unies de 1992 sur l’environnement et le développement.13
La Suisse estime essentielle la participation aussi large que possible des pays en développement dans cette négociation. Elle a l’intention de contribuer substantiellement au fonds fiduciaire que le PNUE et l’OMM créeront à cet effet, ainsi qu’au secrétariat de la négociation.14
Monsieur le Président, la responsabilité et la solidarité dont il nous faut aujourd’hui faire preuve pour relever le formidable défi que consititue le réchauffement planétaire devront exister à tous les niveaux – global, régional, local, mais aussi individuel.
Cela présuppose que tous les acteurs bénéficient d’une information adéquate, précise et accessible. Il est aussi impératif qu’urgent de mettre en place les moyens et les structures qui en permettront la diffusion.
La Suisse entend contribuer à cette entreprise, et étudie la création à Genève, en collaboration avec le PNUE, d’un centre international d’information. La vocation d’un tel centre sera d’assembler et de diffuser l’information relative aux changements climatiques, particulièrement à destination des pays en développement.15
D’autre part, la Suisse accorde son soutien à l’initiative qu’a prise l’Université de Genève de créer une Académie internationale de l’environnement, destinée à offrir une éducation continue aux décideurs du monde entier en matière d’environnement.16
Au niveau national, enfin, mon pays veillera à ce que les programmes scolaires et universitaires se dotent de cours consacrés aux problèmes d’environnement, et notamment à celui du réchauffement de la planète.
Je souhaiterais conclure, Monsieur le Président, en exprimant encore combien la Suisse est honorée d’avoir pu contribuer à l’organisation de cette deuxième Conférence mondiale sur le climat, et à l’ébauche de la déclaration ministérielle qui en sera l’aboutissement.17 J’aimerais vous assurer de notre volonté de poursuivre cette contribution, notamment dans le cadre de la négociation à venir.
Je voudrais encore féliciter, au nom de mon pays, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation Météorologique mondiale (OMM) pour l’excellent travail qu’ils ont accompli jusqu’à présent et j’exprime ici le souhait que ce travail puisse aboutir à l’adoption d’une convention et de protocoles contraignants lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, que le Brésil accueillera en juin 1992.
Nous sommes maintenant à moins de vingt mois de cette échéance historique où, pour la première fois, des chefs d’État du monde entier se réuniront pour mettre en œuvre ensemble un programme d’action visant à une gestion intelligente de la planète. Je forme le vœu que la présente Conférence permettra de contribuer efficacement à la réalisation de cet événement.