Le Conseiller fédéral J.-P. Delamuraz (CFD) s’est rendu la semaine dernière au Brésil à la tête d’une importante délégation économique mixte. Première du genre à s’être rendue à l’étranger à ce niveau, la délégation comprenait l’Ambassadeur D. de Pury, délégué du Conseil fédéral aux accords commerciaux, et une trentaine de personnalités dirigeantes de l’économie sous la conduite du Président P. Borgeaud du Vorort (voir liste de la délégation annexée).2
La mission avait trois objectifs:
La mission intervenait à un moment particulièrement propice. Non seulement elle était la première délégation de cette importance – sa composition mixte lui conférait une dimension supplémentaire par rapport à une visite officielle ou une mission d’hommes d’affaires – à rencontrer le nouveau président brésilien5 et ses principaux ministres. Mais encore, elle arrivait à Brasilia trois jours seulement après l’annonce, par les autorités brésiliennes, du volet «ouverture du marché brésilien aux produits et aux investissements étrangers».6 C’est ainsi que la délégation a été extrêmement bien reçue tant à Brasilia, qu’à São Paulo et à Rio de Janeiro et qu’elle a bénéficié d’un fort impact médiatique.7
Les trois objectifs énoncés ci-dessus ont pu être atteints au-delà de toute espérance. Les contacts noués à Brasilia avec le Président Collor, la Ministre de l’économie et des finances Cardoso, le Ministre des affaires étrangères Rezek, d’autres membres du gouvernement ainsi que le Président de la Banque centrale8 et, à São Paulo et Rio, avec le secteur privé brésilien de même que la communauté économique suisse du Brésil ont permis de réaliser une véritable percée dans les relations économiques suisses avec le Brésil.
2.1. Les chances du plan Collor
La nouveauté du plan Collor, par rapport aux nombreux plans qui l’ont précédé, se situe dans son volet microéconomique. C’est la première fois que le Brésil, protectionniste depuis des décennies, décide d’ouvrir son marché aux exportateurs et investisseurs étrangers. Ce pas révolutionnaire vers une véritable économie de marché est une indication que le Brésil – huitième puissance économique du monde – a réalisé que le contexte mondial a changé et que sa seule chance de survie est d’abandonner sa stratégie de substitution des importations et de se jeter résolument dans une stratégie d’exportation.
Le secteur privé surtout manifeste davantage d’optimisme quant aux chances de réalisation à moyen et à long terme de ce volet microéconomique du programme Collor que quant à celles du volet macroéconomique du plan: libéralisation massive de fonds privés, gel des prix relâché progressivement etc., bref une attaque frontale contre l’inflation, devenue une deuxième nature du Brésil et des Brésiliens. Ce n’est pas la première fois que les Brésiliens se voient soumis à ce traitement de choc et nombreux sont ceux qui à la fois craignent et constatent une reprise de l’inflation.
Dans l’ensemble pourtant, la détermination du jeune et dynamique Président Collor (41 ans) et de sa Ministre de l’économie Zelia Cardoso (36 ans) paraît grande.9 Aussi, les jeunes du pays et une majorité du secteur privé paraissent-ils vouloir la réussite du plan Collor. Le Brésil, enfin, est un pays ambitieux qui veut jouer un rôle dans le monde de plus en plus globalisé d’aujourd’hui. Autant d’éléments qui font penser que le plan Collor a une chance réelle de transformer le Brésil. Cela même si les obstacles autant politiques que de développement paraissent énormes. La population du Brésil (plus de 140 millions d’habitants) a plus que triplé depuis la deuxième guerre mondiale et les problèmes de sous-développement de vastes régions et couches de la population demeurent énormes.
Sur le plan politique, il se confirme au Brésil comme ailleurs qu’il n’est pas aisé de jouer simultanément le jeu de la démocratisation politique et de la libéralisation économique. Les prochaines élections au parlement et dans les États (gouverneurs) seront un formidable test politique pour le président et son programme. Ce qui, paradoxalement, pourrait l’aider est le fait que personne ne s’attend à ce que le petit parti qu’il a créé pour se faire élire devienne majoritaire, mais que tout le monde pense que Collor reste un président populaire qui gouvernera par dessus la tête du parlement en faisant directement appel au soutien du peuple.
Dans l’ensemble donc un constat d’espoir. Le Brésil veut réussir et c’est surtout cette volonté qui a frappé durant la visite.
2.2. Résultats de la visite
C’est dans ce climat d’extraordinaire espoir que CFD [Conseiller fédéral Delamuraz], s’adressant à la communauté économique suisse au Brésil, a lancé le défi d’un doublement des investissements suisses dans ce pays d’ici l’an 2000.10 En devenant le troisième investisseur étranger au Brésil – après les États-Unis et la RFA et ex æquo avec le Japon – la Suisse a prouvé qu’elle sait réussir au Brésil. Plus de 250 entreprises suisses y sont actives aujourd’hui, de sorte que notre économie est en excellente position pour tirer le meilleur parti d’un redémarrage économique du Brésil. Les entretiens menés à Brasilia ont porté sur la création de conditions cadres optimales – bilatérales et multilatérales – pour la relance des relations économiques helvético-brésiliennes.
Au titre des conditions cadres bilatérales, CFD [Conseiller fédéral Delamuraz] est convenu avec la Ministre de l’économie Cardoso d’entamer immédiatement des pourparlers visant la conclusion d’un accord de double imposition11 et d’un accord sur la promotion et la protection des investissements. Les négociations bilatérales au titre de l’Uruguay Round sur la réduction des obstacles tarifaires et non tarifaires vont également se poursuivre à Genève. CFD [Conseiller fédéral Delamuraz] a également laissé entrevoir l’octroi au Brésil d’un crédit mixte pour la construction dans une des régions défavorisées du pays d’une centrale d’énergie solaire (intérêt d’Asea Brown Boveri).
Quant aux conditions cadres multilatérales, CFD [Conseiller fédéral Delamuraz] a abordé avec ses interlocuteurs brésiliens les nombreux problèmes ayant trait au cycle de l’Uruguay du GATT et à la dette brésilienne.
Pour ce qui est du cycle de l’Uruguay, le Brésil a très nettement changé de ton et d’attitude. Alors que jusqu’ici le Brésil n’a fait que compliquer et freiner la négociation de Genève, les interlocuteurs de CFD [Conseiller fédéral Delamuraz] de la nouvelle équipe gouvernementale l’ont assuré que le Brésil avait dorénavant l’ambition d’atteindre d’ici la fin de l’année un résultat négociatoire substantiel. Cela vaut surtout pour les règles du jeu du commerce mondial (clause de sauvegarde p. ex.).12 Un changement d’attitude peut être constaté également dans le domaine clé de la protection de la propriété intelectuelle. La décision présidentielle de préparer une nouvelle loi sur la propriété intellectuelle, contenant la protection des brevets pharmaceutiques (produits finis et processus de fabrication), est un pas dans la bonne direction.13 Il y a bon espoir qu’à Genève le Brésil abandonnera son opposition intransigeante à l’introduction des normes de la protection de la propriété intellectuelle dans l’accord du GATT. Si aucune promesse n’a été faite à ce sujet, les discussions – également au niveau des hauts fonctionnaires – ont laissé la très nette impression que la position brésilienne étant en voie de révision. Toujours au titre du cycle de l’Uruguay, CFD [Conseiller fédéral Delamuraz] a bien entendu fait l’objet de pressions dans le secteur agricole. Comme beaucoup d’autres membres du groupe de Cairns, le Brésil également établit un lien entre l’agriculture, où la Suisse est sur la défensive, et la propriété intellectuelle, où la Suisse est dans l’offensive.14
Quant à la dette, les Brésiliens ont assuré CFD [Conseiller fédéral Delamuraz] qu’ils voulaient régulariser leur situation vis-à-vis du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, du Club de Paris et des banques commerciales d’ici l’automne.15 Les négociations avec le FMI et les contacts avec les banques ont déjà commencé. CFD [Conseiller fédéral Delamuraz] a exprimé à ses interlocuteurs les conditions d’une réactivation de la garantie des risques à l’exportation (GRE), acutellement suspendue pour le moyen et long terme.16 Les arriérés de paiements du Brésil vis-à-vis de la Suisse (dette publique) se montent actuellement à 14 millions de francs, situation que les autorités brésiliennes souhaiteraient régulariser de façon accélérée et qui fera l’objet de pourparlers bilatéraux. En résumé, le Brésil donne l’impression d’avoir voulu mettre sur pied tous les volets de son ambitieux programme économique – ce qui est aujourd’hui chose faite – avant de s’occuper de sa dette. Cela explique le retard pris par le Gouvernement Collor. Les choses devraient maintenant s’accélérer et le Brésil sera sans doute le prochain pays à bénéficier à la fois du plan Brady et du plan Bush (désendettement public).
CFD [Conseiller fédéral Delamuraz] a abordé avec les Brésiliens également les problèmes en rapport avec le secteur de linformatique. Jusqu’ici le Brésil cherchait à favoriser son industrie de l’informatique en fermant son marché à toute concurrence étrangère. Cette politique touche à sa fin, puisque Collor va là aussi introduire une nouvelle loi.
CFD [Conseiller fédéral Delamuraz] a d’ailleurs remis à ses interlocuteurs deux aide-mémoire, l’un sur la protection de la propriété intellectuelle (notamment aspects GATT), l’autre sur l’urgence d’ouvrir le marché de l’informatique.17
Au moment où le Brésil prend un nouveau départ, les bases ont été créées pour un redémarrage également de nos relations économiques bilatérales. Cela présuppose bien entendu un gros effort dans le suivi de la visite. Mis à part les négociations bilatérales qui vont commencer – dans les secteurs des investissements, de la double imposition, des obstacles tarifaires et non tarifaires et de la dette –, les étapes suivantes ont été prévues dans le cadre de la relance de nos relations:
Dernière remarque:
Il ne fait pas de doute que la formule «Délégation mixte» est une excellente formule, du moins pour certains pays. Elle avait été déjà été utilisée avec succès, à un niveau moins élevé (ambassadeur de Pury), deux mois après l’avènement du Président Salinas au Mexique (avril 1989).18 Les relations entre la Suisse et le Mexique sont aujourd’hui en voie de relance: visite Salinas en Suisse, négociation d’un accord-cadre.19 Nous serions bien avisés de persévérer dans cette voie, surtout à un moment où nous sommes en danger de négliger nos relations économiques extraeuropéennes, plus importantes que jamais. C’est ainsi que d’entente avec le Vorort, CFD [Conseiller fédéral Delamuraz] prévoit une mission du même type durant le premier semestre de 1991 et ceci en Corée et dans un pays de l’ASEAN.
[...]20