dodis.ch/56080Le Directeur de la Direction de la coopération au développement et de l’aide humanitaire, l’Ambassadeur Staehelin, au Chef du DFAE, le Conseiller fédéral Felber1

Poursuite du programme de coopération avec le Rwanda

Depuis le début du mois d’octobre, le Rwanda fait face à une attaque venue d’Ouganda menée par des militaires d’origine rwandaise appartenant à l’armée ougandaise (environ 3000), auxquels se sont joints des réfugiés rwandais civils (7000), regroupés au sein du Front Patriotique Rwandais (FPR).2

L’objectif de cette expédition est le renversement du gouvernement en place à Kigali et l’ouverture de négociations pour trouver une solution au problème que pose l’existence d’une importante communauté refugiée à l’étranger depuis bientôt trente ans (principales vagues d’exil en 1959, 1963). Les réfugiés revendiquent le droit de pouvoir retourner dans leur patrie; on ignore cependant combien seraient effectivement décidés à le faire sils en recevaient l’autorisation.

Face à cette situation, le Président Habyarimana (H) a pris des mesures sur le plan militaire pour contenir l’attaque, et très vite aussi sur le plan diplomatique, encouragé en cela par la Belgique, la France et les pays voisins. Le but de ces efforts est d’une part la mise en place d’un cessez-le-feu, et d’autre part l’ouverture de négociations entre les parties concernées, sous forme d’une Conférence régionale visant à proposer une solution durable au problème des réfugiés rwandais.3

Notre analyse de la situation est que dans cette période troublée que traverse le Rwanda, la présence de H[abyarimana] à la tête de l’État constitue une garantie de stabilité et de possibilité de dialogue avec les autres parties impliquées; dès lors il convient de lui apporter notre soutien, tout en attirant son attention sur notre souhait de voir les droits de l’homme respectés et les conditions de travail pour les expatriés suisses et leurs partenaires rwandais rétablies dès que possible.

En exerçant trop de pression sur H[abyarimana], notamment par des conditions politiques à l’approbation de nouveaux crédits de développement, ou en lui fixant des échéances trop brèves pour trouver une solution à la crise actuelle, on risque de réduire sa marge de négociation entre d’une part les revendications des réfugiés et d’autre part les désirs d’une aile dure hutu au sein du pouvoir et de l’armée qui veut préserver ses avantages et ne supporte nullement les initiatives que le Président avait prises, dès avant le début des troubles, en faveur d’une ouverture démocratique et d’un retour d’une partie des réfugiés. L’attitude de la population rwandaise a jusqu’à présent été relativement neutre; si avant le début des troubles un certain mécontentement se manifestait à l’égard du régime pour obtenir plus de démocratie et un partage plus équitable des maigres ressources du pays, l’éventualité du retour d’un nombre important de réfugiés n’est pas mieux appréciée, avec les coûts et la mise à disposition de terres que cela implique dans le pays le plus densément peuplé d’Afrique. Par ailleurs on ne sait en définitive que peu de choses sur le programme politique du FPR.

Dans ces circonstances il est nécessaire de montrer à la population rwandaise que nous faisons confiance aux autorités en place, et de laisser à celles-ci le temps nécessaire pour convaincre cette population d’accepter les solutions que recommanderait la Conférence régionale en préparation.

Nos actions de coopération ont pour but premier d’améliorer les conditions de vie de la population,4 il est cependant clair que toute décision de maintien ou de retrait sera interprétée de manière politique au Rwanda. À un moment où la population est doublement touchée par la crise économique et par le conflit actuel, une suspension de notre assistance pourrait contribuer à accroître les difficultés de la population et augmenter des tensions déjà très vives. La meilleure manière de montrer que nous maintenons notre confiance à H[abyarimana] est de ne pas abandonner les opérations de développement en cours, ni d’arrêter tout dialogue concernant les nouvelles actions, dans la mesure où les conditions objectives de travail sont satisfaites.

En accord avec notre Bureau de coordination (cf. télex 18 du 10.11.1990),5 nous prévoyons de poursuivre sur le plan suisse la procédure d’approbation de crédit pluriannuels comme initialement prévu, mais de ne conclure que des accords limités à un an avec le Gouvernement rwandais pour éviter d’être trop engagés si la situation ne se rétablit pas convenablement, et aussi pour garder un levier de pression nous permettant de rappeler au Gouvernement rwandais notre souci du respect des droits de l’homme et d’une solution durable du problème des réfugiés.6 Un certain nombre de projets ne peuvent cependant en l’état actuel faire l’objet d’une planification à moyen terme, et nous préparons dans ce cas une année transitoire correspondant mutatis mutandis à la reconduction du budget de l’année précédente. Cette approche nous donne plus de souplesse pour gérer la poursuite de notre programme, souplesse nécessaire étant donné la rapidité avec laquelle la situation évolue sur les plans militaire et diplomatique.

P. S.: Concernant la sécurité des ressortissants suisses (200) au Rwanda, les dispositions suivantes ont été prises. Dès le début de la crise la possibilité a été offerte à ceux qui le souhaitaient de quitter le Rwanda, sans pour autant donner l’instruction d’évacuer; une quarantaine de personnes ont profité de cette facilité, essentiellement des familles et quelques experts dont les conditions de travail étaient trop perturbées. Leur départ s’est effectué en étroite collaboration avec les Belges et les Français qui organisaient des convois jusqu’à l’aéroport. Les autres ressortissants ont choisi librement de rester, et les informations qui nous parviennent quotidiennement du Rwanda indiquent qu’ils ne craignent pas pour leur sécurité. Il faut ici souligner que tant le FPR que l’armée rwandaise ont toujours précisé qu’ils ne s’en prendraient pas aux expatriés.

Notre appréciation de la situation est qu’il n’y a pas lieu de retirer maintenant les experts pour des raisons de sécurité; les plans de sécurité sont toutefois tenus en permanence à jour, ainsi que les contacts avec les Ambassades qui disposent de moyens d’évacuation en cas de nécessité (Belgique et France).7

1
CH-BAR#E2025A#2000/138#2351* (t.311-Rwanda). Cette notice est rédigée par le Directeur de la Direction de la coopération au développement et de l’aide humanitaire, l’Ambassadeur Fritz Rudolf Staehelin, pour le Chef du DFAE, le Conseiller fédéral René Felber. Elle est visée par le Chef de la Division opérationelle Afrique, Amérique latine, Henri-Philippe Cart, Jean-François Cuénod de la Section recherche et politique et le suppléant de la Section Afrique orientale de la Direction de la coopération au développement et de l’aide humanitaire, Armon Hartmann. Le Chef du DFAE prend connaissance du texte le 16 novembre 1990. Des copies sont distribuées au Chef de la Division politique II, l’Ambassadeur Pierre-Yves Simonin, à son collaborateur François Chappuis, à l’Ambassadeur de Suisse à Nairobi, Armin Kamer, au Délégué du Conseil fédéral aux accords commerciaux, l’Ambassadeur Pierre-Louis Girard et à Jean-Maurice Delèze du bureau de coordination à Kigali.
2
Cf. le rapport politique No 8 du 4 octobre 1990 de l’Ambassade de Suisse à Nairobi, dodis.ch/56664.
3
Cf. le rapport politique No 11 du 19 novembre 1990 de l’Ambassade de Suisse à Nairobi, dodis.ch/56665.
4
Sur le programme suisse de coopération au développement avec le Rwanda, cf. dodis.ch/56081. Cf. aussi DDS 1990, doc. 17, dodis.ch/56083, note 31 et le PVCF No 1907 du 17 septembre 1990, dodis.ch/55472.
5
Cf. dodis.ch/56533.
6
Cf. la compilation dodis.ch/C1799.
7
Cf. dodis.ch/56662; dodis.ch/56657 et le télex hebdomadaire 41/90 du 8 octobre 1990, dodis.ch/55168, point 6 (rapides).