En vue de la discussion au Conseil fédéral et en complément des directives détaillées de négociation à l’intention de la délégation suisse, le présent papier a pour objet de rappeler le contexte de cette négociation, en particulier:
Dans le contexte européen de la fin du XXe siècle, la Suisse est placée devant un choix fondamental.
1.1. Soit cultiver ses particularismes et le repli sur soi, au risque:
1.2. Soit participer à la construction de l’Europe du XXIe siècle. Nécessité sans doute plus politique qu’économique dans l’immédiat et dont les modalités doivent rester flexibles afin de pouvoir être adaptées au développement futur sur notre continent.
Dans ce contexte, nous pensons que notre pays doit s’engager résolument dans la négociation d’un Traité EEE: depuis la conclusion de la Déclaration de Luxembourg en 1984,2 cette négociation représente la première – et sans doute la dernière – tentative réelle d’ouvrir dans nos relations avec la Communauté Européenne une «troisième voie», située à mi-chemin entre l’accession pure et simple à la Communauté et le maintien de notre situation actuelle de coopération ponctuelle, de cas en cas.
2.1. Si le second choix décrit ci-dessus est le bon – il est évident qu’il continuera à y avoir des divergences sur la voie à suivre au sein de l’opinion3 – alors, le Traité devra permettre une solution qui maintienne l’harmonie entre les spécificités suisses et la participation à l’Europe – faute de quoi un tel Traité n’a aucune chance d’être accepté en votation populaire. Ce corollaire conditionne notre participation à la négociation.
2.2. Autre condition essentielle à la négociation: un intérêt politique de l’ensemble des États membres de la CE à l’élaboration d’un Traité. Même si les événements des douze derniers mois en Europe ont quelque peu détourné l’attention des capitales des Douze de la mise en place de l’EEE, nous devons partir du principe que l’investissement politique consenti de la part des Douze est suffisant pour motiver un succès.
l’intérêt politique de la «formule EEE» est donc:
La première constatation qui s’impose est que la négociation sera plus difficile qu’on ne pouvait le penser au début 1989, lors de l’offre du Président Delors d’établir une «forme d’association plus structurée avec des organes communs de décision et de gestion».4 Les principales difficultés sont de deux ordres:
4.1. La CE a considérablement durci sa position5 au cours des derniers mois, à la fois pour des raisons internes et externes. D’une part, la CE a aujourd’hui tendance à être plus exigeante sur l’ampleur de l’acquis communautaire à reprendre comme base du futur Traité et, par conséquent, elle semble de moins en moins disposée à accepter des dérogations de la part des pays de l’AELE; d’autre part, la Communauté a considérablement réduit son offre institutionnelle, puisque non seulement il n’est plus question de «mécanismes communs de décision» au niveau de l’EEE, mais qu’en matière consultative aussi (le «décision shaping»6), la marge de manœuvre sera vraisemblablement plus mesurée que prévu, en raison de la nécessité de ne pas octroyer des «pouvoirs consultatifs» plus développés à l’AELE qu’au Parlement européen.
Le durcissement de la position communautaire obéit pour une part à des considérations tactiques externes, normales avant toute négociation et internes (mécontentement du Parlement européen), mais il serait faux de n’y voir que la tactique. Cependant, seule la négociation permettra de faire la part du tactique et du fondamental.
4.2. Les autres difficultés tiennent aux divergences au sein de l’AELE, divergences aggravées par la nécessité de s’exprimer d’une seule voix (ce qui revient à confier à d’autres la défense de ses intérêts).7 Si les pays de l’AELE ont réussi à demeurer unis tant bien que mal dans les phases préliminaires de la négociation, cette cohésion paraît s’effriter au fur et à mesure où la CE précise ses exigences et où l’on s’approche de la négociation proprement dite.8 La Suisse – soucieuse de maintenir une saine relation entre la substance et l’équilibre institutionnel de l’accord – a énormément de peine à faire partager ses préoccupations par les quatre pays nordiques.9
Deuxième conclusion: les directives de négociation s’appliquent en fait à une négociation en deux étapes:
Quatre scénarios sont schématiquement imaginables:
5.1. Un accord qui comporterait une substance acceptable (reprise d’une partie substantielle de l’acquis communautaire, dérogations – durables ou transitoires – pour la Suisse, extension de la coopération en matière de politique d’accompagnement) assortie de dispositions institutionnelles garantissant une égalité des droits et obligations des partenaires.
5.2. Un accord qui prévoirait la reprise d’une partie substantielle de l’acquis communautaire mais ne comprendrait pas de mécanisme institutionnel équilibré, c’est-à-dire qui ne permettrait pas à notre pays de participer pleinement à l’élaboration et à l’adoption des règles du futur Espace Économique Européen qui s’imposeraient à lui. Une alternative serait toutefois de compenser l’absence de mécanisme institutionnel, par un «opting-out»10 des pays AELE, soit la faculté de ne pas accepter les règles futures qui ne nous conviendraient pas.
5.3. Une solution intermédiaire qui se situerait en quelque sorte à mi-chemin des deux hypothèses précédentes. Il s’agirait par exemple d’un résultat qui limiterait à la fois la reprise de l’acquis communautaire existant et les obligations quant à la future législation de l’Espace Économique Européen, d’une certaine manière «en contrepartie» d’une structure institutionnelle insuffisante. Un tel résultat pourrait créer une situation qui ne serait pas très différente de celle qui prévaut aujourd’hui et constituerait la première étape d’un processus plus long.
5.4 Un échec de la négociation ne doit pas être totalement exclu
S’il devait s’avérer – en cours de négociation ou à son terme – qu’une solution équilibrée n’est pas possible (ce pourrait être soit pour des raisons de substance, soit pour des raisons institutionnelles, soit une combinaison des deux facteurs), ce serait au Conseil fédéral d’exercer alors son jugement en fonction de l’ensemble des composantes de la négociation ainsi que des facteurs politiques (intérieurs et extérieurs).
En conclusion générale, si toutes les options présentées ci-dessus sont encore théoriquement possibles, il est néanmoins de moins en moins vraisemblable que nous obtiendrons une solution tout à fait conforme à nos espoirs décrits au point 5.1.