dodis.ch/54816Le Délégué du Conseil fédéral aux accords commerciaux, l'Ambassadeur de Pury1

Directives générales à la délégation suisse pour l’avant-dernière phase du cycle de l’Uruguay du GATT

Au vu des décisions du dernier TNC2– engagement de préparer d’ici fin juillet dans tous les groupes de négociation des textes préfigurant les accords finaux – et des impressions qui sont dégagées de la dernière réunion ministérielle informelle de Puerto Vallarta (Mexique) (18–20 avril), la Suisse poursuivra d’ici juillet la stratégie générale de négociation suivante:

1. Six priorités:

1.1. Règles (notamment clause de sauvegarde)

À Puerto Vallarta, le Conseiller fédéral Delamuraz, s’est fait le porte-parole de nombreux petits et moyens pays, développés et en développement pour lesquels les résultats finaux du Round n’auront un sens que si les «Grands» (USA, CEE, Japon) se tiennent dorénavant aux règles du jeu renforcées du multilatéralisme et abjurent une fois pour toutes tout recours à des mesures unilatérales (type: super 3013) ou bilatérales (accords «volontaires»). Il s’agit d’élever le sujet des règles au niveau des trois thèmes que les «Grands» considèrent comme essentiels pour un succès du cycle (Agriculture, Propriété Intellectuelle, Textiles).4 La Suisse tentera d’introduire ce «sense of urgency» au sujet des règles dans le communiqué ministériel de l’OCDE.5

Parmi les règles sont prioritaires: clause de sauvegarde (exclusion de toute sélectivité), subventions (catégorisation des subventions selon leur nocivité du point de vue commercial), antidumping (éviter la pénalisation de mesures de concurrence loyale via une utilisation abusive des mesures anti-dumping et donc précision de la notion de dumping). Deuxième priorité: art. XVIII (mesures de sauvegarde en cas de difficultés de balance de paiement). Troisième priorité art. XXVIII (droits de négociation), art. XXV, 5 (waivers), art. XVII (commerce d’État).

1.2. Propriété intellectuelle (TRIPS)

Il ne saurait être question pour la Suisse d’accepter des résultats substantiels en matière d’agriculture, sans résultats substantiels sur la protection de la propriété intellectuelle. L’introduction de ce thème dans le corps même des règles du GATT («gattability») est pour nous la condition sine qua non d’un succès du Round.

La Suisse va incessamment mettre sur la table de la négociation un projet de texte complet d’accord TRIPS.

Dans les semaines à venir notre stratégie vise:

  • – à augmenter le nombre de pvd susceptibles d’accepter l’inclusion des TRIPS dans l’accord du GATT;6
  • – à maintenir élevé le niveau d’ambition des États-Unis et de la Communauté:7
  • – à assurer un véritable progrès dans la protection de la propriété intellectuelle dans le monde au travers du GATT;
  • – à éviter que les États-Unis finissent par soustraire le secteur pharmaceutique d’un accord, réservant le traitement de ce secteur à la méthode unilatérale.8

1.3. Accès au marché (tarifs)

La négociation sur l’accès au marché (tarifs, obstacles non-tarifaires etc.) vient de commencer. La Suisse a présenté ses offres le 15 mars et vient de présenter, le 1er mai, sa liste de requêtes. Conformément aux impulsions qui ont été données à Puerto Vallarta, nos négociateurs vont tâcher de terminer le gros de nos négociations tarifaires et non-tarifaires d’ici fin juin.

Le secteur tarifaire ne doit pas être sousestimé. De nombreux obstacles tarifaires continuent à freiner nos exportations. Un résultat dans ce domaine sera par ailleurs parmi ce que l’industrie suisse retirera de plus concret et à plus court terme de la négociation de l’Uruguay. Psychologiquement, un résultat satisfaisant est donc important dans ce volet de la négociation.

Offensivement, nos principales cibles sont: L’Australie, le Brésil, le Canada, la Corée, les États-Unis, l’Inde, Israël, le Japon, la Thaïlande, la Turquie.9

Défensivement, ce sont nos obstacles tarifaires et non-tarifaires dans le secteur agricole qui nous causent le plus de souci. Les difficultés que nous éprouvons dans ce domaine – qui font l’objet de négociations dans le groupe de négociation sur l’agriculture – paralysent du moins partiellement notre stratégie offensive vis-à-vis des principaux pays exportateurs de produits agricoles (Australie p.ex.).

1.4. Agriculture

La négociation sur l’agriculture est celle qui attire le plus l’attention de l’opinion publique suisse, car elle est perçue, à raison, comme pouvant influencer de manière déterminante l’avenir de notre politique agricole et de notre agriculture.10 Cela dit, la Suisse poursuit dans la négociation agricole une stratégie axée, dans le cadre certes de la poursuite de l’objectif d’un respect accru des signaux du marché, sur l’obtention d’un maximum de latitude dans la formulation de sa politique agricole. (Stichwort: spécificité). Il est essentiel en effet, que les changements qui seront introduits dans la politique agricole suisse, tiennent compte des besoins spécifiques de notre agriculture. L’apparence d’un «Diktat» du GATT les condamnerait sur le plan politique intérieur. C’est ainsi que toutes les propositions suisses sont basées sur l’équivalence des efforts et des effets, et non sur celle des moyens. L’instrument du contingentement de l’offre assorti de restrictions quantitatives à l’importation p.ex., requiert un effort et produit un effet commercial comparables à la réduction des prix administrés assortie d’une tarification des obstacles à la frontière.11

À Puerto Vallarta, le Conseiller fédéral Delamuraz a fait passer les messages suisses suivants:

  • – les progrès en matière d’agriculture dépendront des progrès faits dans d’autres domaines (notamment règles et TRIPS);
  • – la Suisse continuera à participer activement aux cinq volets de la négociation agricole: règles (art. XI et XVI), tarification, soutien interne (via une unité de mesure de soutien de surveillance), subventions à l’exportation, mesures sanitaires et phytosanitaires;
  • – la Suisse n’acceptera aucun engagement en dehors de règles du GATT clairement définies; elle a fait des propositions précises à ce sujet.
  • – l’origine du mal dans le chaos agricole mondial réside dans les subventions à l’exportation qui cassent les prix mondiaux. Il s’agit de s’y attaquer en priorité.
  • – la Suisse n’abandonnera son protocole d’accession que dans la mesure où de nouvelles règles garantissent la survie de son agriculture. Il est notamment indispensable que là où un contingentement de l’offre existe, l’instrument des restrictions quantitatives à l’importation puisse être maintenu. La tarification – transformation des obstacles non-tarifaires en droits de douane – n’entre en ligne de compte que pour une minorité de produits.
  • – la Suisse ne s’oppose pas à l’introduction d’une unité de mesure de soutien (UMS), à condition que celle-ci ne serve qu’à surveiller les engagements pris en matière de gel, voire de réduction du soutien interne (prix notamment) et que dans sa composition l’UMS tienne compte de la spécificité de l’agriculture et des agriculteurs (notamment taux d’autoapprovisionnement).

1.5. Textiles12

Le secteur des textiles est un secteur clef de la négociation. Il est probable que le ficelage du paquet final du cycle de l’Uruguay dépendra de percées à l’intérieur du triangle agriculture – propriété intellectuelle – textiles. Pour la Suisse – un des deux États membres de l’accord multifibres (avec le Japon) qui n’applique pas cet accord – la négociation sur les textiles ne pose pas de problèmes. Notre pays se trouve ainsi dans une position idéale pour jouer, dans toute la mesure du possible, un rôle de médiateur. C’est ainsi que nous avons décidé de faire des textiles un secteur prioritaire pour la Suisse. Notre position sera celle qui aidera à débloquer cette négociation difficile.

Une telle position s’inspirera des principes généraux suivants:

  • – durant la période de transition qui s’écoulera entre la date d’expiration de l’accord multifibres (1991)13 et l’intégration totale du secteur des textiles dans le régime ordinaire du GATT il ne devra y avoir aucune augmentation de la protection par rapport à l’état actuel.
  • – c’est ainsi que l’introduction d’un contingentement global tel que proposé par les États-Unis et le Canada ne peut entrer en ligne de compte.
  • – la durée de transition doit être aussi courte que possible: plus proche des cinq ans que des dix ans.
  • – le succès de la négociation sur les textiles dépend du renforcement des règles du GATT, notamment de celles sur les sauvegardes et le dumping.

1.6. Services14

La Suisse, pays exportateur de services par excellence, se doit de jouer un rôle particulièrement actif et imaginatif dans la négociation sur les services. Elle présentera d’ici la fin du mois de mai un projet de texte complet d’accord sur les échanges de services.

Pour notre pays, les objectifs suivants sont les plus importants:

  • – le futur accord général sur les échanges de services (GATS) doit s’étendre à tous les services, sans exception, et introduire dans ce secteur des échanges les principales règles du jeu du GATT: traitement de la nation la plus favorisée, non-discrimination, traitement national et règlement des différends.
  • – pour la Suisse ce qui compte avant tout est l’application du principe MFN. Il est essentiel que dès la conclusion de l’accord GATS, notre pays puisse accéder à tous les bénéfices de libéralisation et de dérèglementation de tous les accords sur les services conclus bi- ou plurilatéralement. Là où des exceptions sectorielles au principe MFN devront être prévues, ceci par le truchement d’annotations sectorielles (secteur financier p. ex.), il est essentiel qu’elles aient un caractère temporaire. La seule exception permanente sera celle accordée, par analogie à l’article XXIV, aux groupements régionaux en voie d’intégration économique.
  • – Quant aux modalités de libéralisation progressive, la Suisse est en faveur d’une approche dynamique – appelée «bottom up» – procédant par voie de négociations sectorielles parallèles et successives. La libéralisation se fera par l’intermédiaire de la clause de la nation la plus favorisée. L’approche «top down» qui est celle des codes de l’OCDE et qui est préconisée au GATT par les Américains nous paraît trop fastidieuse et peu applicable à un accord entre une centaine de parties contractantes dont de nombreux pays en développement. Cette méthode consiste à appliquer dès la conclusion de l’accord tous les principes du GATT (MFN, ND, TN) à tous les secteurs et tous les participants, en assortissant pourtant l’accord d’une longue liste d’exceptions dont l’élimination ferait ensuite l’objet de négociations successives. Étant donné l’importance que le cycle de l’Uruguay débouche, au delà des règles du jeu, sur un début concret de libéralisation, il n’est pas exclu qu’une combinaison des deux méthodes (bottom up et top down) soit choisie. Le degré de libéralisation initial serait défini par la méthode «top down», alors qu’à partir de là, la libéralisation progressive serait atteinte par la méthode «bottom up».

2. Autres thèmes d’importance pour la Suisse

2.1 Règlement des différends

La Suisse a fait de nombreuses propositions sur le renforcement des procédures de règlement des différends.15

2.2 Fonctionnement du GATT (FOGS)

(y compris création éventuelle d’une organisation mondiale du commerce).

La Suisse a présenté cette semaine une soumission très complète sur le fonctionnement du GATT, avec pour objectif à la fois le renforcement de la coopération entre le GATT, le FMI et la BIRD et l’amélioration de la capacité d’analyse et de surveillance du secrétariat du GATT. Ces objectifs doivent être atteints d’ici la fin du Round, alors que la négociation d’un nouvel accord portant sur la création d’une organisation mondiale du commerce16 (un pendant au FMI et à la BIRD), coiffant tous les accords et notamment les mécanismes de règlement des différends conclus ou à conclure dans le cadre du GATT au sens large, pourrait avoir lieu après la fin du Round. Une telle négociation cette année encore pourrait en effet détourner le cycle de l’Uruguay de son objectif prioritaire: la réforme et l’extension des règles du jeu du commerce mondial.

2.3 Investissements (TRIMS)

La Suisse demeurera active dans ce domaine en poursuivant l’objectif d’un examen au sein du GATT de toutes les mesures d’investissement ayant un effet potentiel sur les échanges.17

3. Stratégie d’ici juillet

  • – Pour que le cycle de l’Uruguay puisse se terminer dans les délais (début décembre), il est essentiel que le TNC de juillet adopte pour chaque thème de la négociation un texte préfigurant l’accord final. Dans plusieurs domaines la négociation devrait pouvoir être provisoirement conclue d’ici juillet: règles d’origine, antidumping, tarifs, obstacles non-tarifaires, investissements, etc.
  • – La Suisse veillera à ce que le degré des ambitions reste élevé jusqu’au bout. Cela vaut tout particulièrement pour les mesures de sauvegarde, les subventions et la protection de la propriété intellectuelle.
  • – Elle veillera à faire du sujet des règles un thème «make or brake».
  • – La Suisse attachera dans tous les groupes de négociation une importance particulière au problème de l’intégration des pvd dans le système. Une série d’accords dont les pvd auraient été ou se seraient une fois encore exclus, viderait ces accords d’une partie importante de leur substance.
  • – Vers la fin d’une négociation, le danger de manque de transparence augmente. La Suisse luttera contre ce danger et prônera partout un maximum de transparence. Il en va de sa participation dans l’étape finale de la négociation. Dans les six secteurs clef, la Suisse droit rester dans le «inner circle» de la négociation. Il en va aussi du rôle que pourra jouer dans la phase finale la coalition «café au lait», (groupe de la Paix)18 qui est celle de la Suisse. Il s’agit donc aussi de contribuer activement à la transparence là où nous sommes dans le «inner circle» et d’autres ne le sont pas (organiser des réunions informelles de transparence).
  • – Un effort accru de transparence et de mobilisation de soutien doit être entrepris également sur le front interne suisse (pas seulement dans le secteur agricole). Cela d’autant plus que l’attention de l’opinion publique et du secteur privé est de plus en plus et de façon trop exclusive mobilisée au profit des problèmes européens.
  • – Plus la fin de la négociation approchera, plus les quinze négociations du cycle n’en deviendront qu’une seule. Il est à cet égard important de fondre les quinze équipes de négociation en une équipe dont chaque membre a une bonne vue d’ensemble. Davantage de réunions de toute la délégation seront dorénavant organisées.
  • – Nos postes à l’étranger vont être appelés dans la dernière phase à jouer un rôle de plus en plus actif. Nous œuvrons pour que le Round occupe une place importante lors de la prochaine conférence annuelle des ambassadeurs.19
1
CH-BAR#E7113A#2001/193#276* (787.0.2). Cette notice est rédigée et signée par le Délégué du Conseil fédéral aux accords commerciaux, l’Ambassadeur David de Pury, et est envoyée à tous les services concernés par les négociations du GATT et à toutes les représentations suisses à l’étranger. La copie ici éditée est reçue par Karl Weber de l’OFAEE. Pour la liste complète des destinataires, cf. le facsimilé dodis.ch/54816. Ces directives sont rédigées à la suite de la réunion ministérielle de Puerto Vallarta. Sur la réunion, cf. la note d’information du Conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz au Conseil fédéral du 22 avril 1990, dodis.ch/55210 et le télex hebdomadaire rapide 17/90 du 23 avril 1990, dodis.ch/55116.
2
Annotation dans le texte original: «Trade Negotiations Committee, dernière réunion: 9–11 avril».
3
Le terme «super 301» fait référence à la section 301 de l’US Trade Act de 1974. Il s’agit d’une provision juridique qui permet au Président des États-Unis de prendre des sanctions à l’encontre d’un pays qui contreviendrait à un accord de libre-échange de manière à désavantager des entreprises états-uniennes.
4
Pour la stratégie de la Suisse à Puerto Vallarta, cf. dodis.ch/54831.
5
Pour la position de la Suisse lors de la réunion ministérielle de l’OCDE, cf. le PVCF No 1065 du 23 mai 1990, dodis.ch/55074.
6
Pour un aperçu des objectifs et de la stratégie suisses dans les négociations TRIPS, cf. dodis.ch/56702.
7
Pour la stratégie suisse envers, notamment, les États-Unis et la Communauté européenne, cf. la notice de Wasescha du 6 avril 1990 à propos de la réunion informelle de Chaumont, dodis.ch/54835.
8
À propos du secteur pharmaceutique dans les négociations de l’Uruguay Round, cf. la prise de position de la Société suisse des industries chimiques, dodis.ch/54891.
9
La stratégie offensive de la Suisse consiste notamment, dans la phase préparatoire, à organiser deux réunions informelles à Chaumont, Canton de Neuchâtel, en invitant des hauts fonctionnaires de la plupart des pays cités ci-dessus. Cf. dodis.ch/54834 et dodis.ch/54835.
10
Cf. DDS 1990, doc. 36, dodis.ch/54935.
11
À propos de la nouvelle politique agricole de la Suisse et de la reconnaissance par le GATT des spécificités de l’agriculture suisse, cf. le rapport stratégique du DFEP au Conseil fédéral du 31 août 1990, dodis.ch/56790, en particulier pp. 5–6.
12
Pour les négociations dans le secteur des textiles, cf. dodis.ch/56715.
13
Sur l’accord multifibres, notamment sa prolongation en 1989, cf. le PVCF No 1203 du 28 juin 1989, dodis.ch/55313.
14
Pour les négociations dans le secteur des services, cf. dodis.ch/56730.
15
Pour les propositions de la Suisse à Puerto Vallarta, cf. dodis.ch/54831.
16
L’Organisation mondiale du commerce voit le jour à la fin du Cycle de l’Uruguay, le 1er janvier 1995.
17
Cf. la notice de Christian du Plessis, Chef du Secrétariat de direction de l’OFAEE, à Wasescha, Chef de la Division commerce mondial-GATT de l’OFAEE, du 24 avril 1990, dodis.ch/56700.
18
La coalition «café au lait» a été formée pour échanger avec le groupe informel des petits pays en développement.
19
Cf. le rapport de la conférence générale des ambassadeurs du 21 au 23 août 1990, dodis.ch/54340, en particulier pp. 85–90.