dodis.ch/54342Discours du Chef du DFAE, le Conseiller fédéral Felber, à la Conférence des Ambassadeurs1

Conclusions du Chef du Département

Conférence des Ambassadeurs, jeudi 23 août 1990

Alors que l’attention du monde aujourd’hui comme celle de notre pays et de notre peuple est retenue par la grave crise du Golfe2 – une crise très grave – la Conférence des Ambassadeurs a cependant tenu à respecter l’universalité habituelle de nos préoccupations sans écarter ce sujet préoccupant. Les différents thèmes retenus, comme d’ailleurs les questions débattues dans les quatre séminaires parallèles nous auront permis de recueillir vos réflexions et vos suggestions sur les principaux dossiers qui nous occupent aujourd’hui. Nous en tirerons – soyez-en certains – les enseignements nécessaires qui devront guider notre action à venir.

Dans un monde qui est marqué très directement par l’élimination de l’antagonisme Est-Ouest,3 par la prépondérance croissante en Europe de la Communauté d’un monde pacifique, la nouvelle architecture européenne4 reste pour la Suisse une préoccupation majeure. Cela d’autant plus que depuis notre dernière conférence,5 quatre bouleversements se sont produits ou se sont confirmés:

  • – l’effondrement du monolithe soviétique
  • – le rétablissement, impensable il y a encore un an dans des délais aussi brefs, de l’Europe, dans ses frontières historiques
  • – le dynamisme de l’intégration communautaire et
  • – l’unification allemande, porteuse d’espoirs mais aussi de beaucoup de craintes.

Dans ces conditions et face aux nouveaux défis que représentent le soutien des Occidentaux aux réformes politiques, économiques et sociales de l’Europe centrale et orientale,6 le problème des minorités et l’éclatement d’États plurinationaux comme l’URSS et la Yougoslavie,7 il s’agit donc de savoir quelles seront les institutions existantes ou a créer qui permettront de gérer le patrimoine européen et son avenir ou qui permettront d’aider l’URSS à gérer son repli et sa propre transition.8 Dans l’état actuel des choses, il nous a semblé en tous les cas que la CSCE, qui est le seul organe où l’Europe entière est représentée avec la présence des deux États d’Amérique du Nord que sont les États-Unis et le Canada, la Communauté européenne, avec le dynamisme qui est le sien – encore qu’il faut bien le rappeler, elle a prouvé que, politiquement, elle était loin d’être un géant dans les derniers évènements du Golfe, et l’OTAN, garante de la présence américaine en Europe, ces institutions continueront à jouer un rôle essentiel. N’oublions pas que le Conseil de l’Europe, lequel apparaît de plus en plus comme le point d’ancrage et le centre d’expression privilégié des valeurs démocratiques d’un nombre croissant de pays européens aura, lui aussi, un rôle extrêmement important à jouer – il devra et aurait déjà dû définir d’une manière beaucoup plus précise quel est le champ d’action dans lequel il va opérer.9 Parallèlement, nous poursuivons nos efforts en vue de la réalisation de l’Espace économique européen, en gardant à l’esprit l’hypothèse d’une adhésion de la Suisse à la Communauté.10 Et si certains pays étrangers nous imaginent déjà – un peu facilement – membres de la Communauté, j’aimerais vous rappeler cependant qu’un travail considérable reste à accomplir à l’intérieur de notre pays pour atteindre à ce que l’on appelle aujourd’hui l’euro-compatibilité de nos structures politiques, administratives et institutionnelles, et cela à commencer par les problèmes qui seront posés au moment de la conclusion, que nous souhaitons d’un bon accord sur l’Espace économique européen.11

Le Conseiller fédéral Villiger a souligné que le champ stratégique européen a subi des transformations que l’on pourrait désigner d’historiques.12 Il en découle pour nous l’obligation de redéfinir notre politique étrangère, de même que notre politique de sécurité, ces deux étant étroitement liées. Si tout nouvel affrontement militaire en Europe semble pour l’instant invraisemblable, on ne saurait cependant exclure toute surprise politique qui pourrait dégénérer en un conflit armé, le potentiel d’explosifs étant extrêmement important dans certains États de notre continent. Pour éloigner definitivement cette éventualité, il s’agit pour nous de participer avec les autres États européens à la construction d’un nouveau système de sécurité du continent. Dans ce domaine, le forum privilégié est pour nous la CSCE, il est également le forum privilégié pour tous les pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est.13 Comme je l’ai relevé avant-hier,14 à l’euphorie de la fin de l’année 1989 fait place aujourd’hui la réflexion et l’action patiente, moins spectaculaire et davantage concertée:

On parle de désarmement mais comme l’a relevé mon collègue M. Villiger, si on réduit de moitié l’arsenal nucléaire stratégique, plutôt que de pouvoir détruire 20 fois la planète, on pourra encore la détruire 10 fois. On est loin de se trouver dans un état d’équilibre.

On parle de démocratie et économie de marché, mais en Europe centrale et orientale, en réalité tout reste encore à construire dans ces domaines. Et ce qui pose probablement le problème le plus grave, c’est la façon dont nous remporterons une victoire définitive sur les habitudes qui ont été prises pendant plus de 40 ans. Vous avez constaté et nous l’entendons à chaque séance multilatérale combien les hommes les plus nouveaux, les plus modernes, les plus offensifs des démocraties nouvelles de l’Europe centrale, font encore toujours référence dans leurs discours et dans leurs propositions à des schèmes qui étaient ceux des régimes totalitaires sous lesquels ils vivaient. Il n’y a pas dans ces peuples-là et même auprès de beaucoup de leurs dirigeants la découverte de toutes les possibilités et de toutes les structures qui existent dans un monde démocratique.

Certains d’entre vous ont relevé que la Suisse, pendant des décennies, n’a fait de politique étrangère que commerciale et qu’il était temps de réinventer une politique étrangère.15 Cette critique a peut-être été justifiée à certaines époques particulières mais aujourd’hui j’ai l’impression qu’elle a fait son temps et qu’il ne s’agit pas pour nous d’inventer. Nous ne sommes pas des artistes là pour étonner le monde ou les médias, nous sommes là pour servir les intérêts de notre pays et de notre peuple; nous sommes là pour convaincre nos concitoyens que leur regard ne doit pas s’arrêter au mur d’en face ni même à la frontière de notre pays – il est trop petit. Il faut savoir regarder ailleurs, il n’y a pas lieu d’inventer quoi que ce soit pour cela. Il faut rendre conscients les Suisses que leur pays n’est pas une île et qu’il y a après leur frontière des horizons énormes à découvrir. Et entre leur œil et l’horizon le plus lointain il y a des millions d’hommes et de femmes qui vivent et auxquels il faut penser. J’en prendrais pour preuve de l’évolution et de l’activité de la politique étrangère un certain nombre d’exemples récents. Je pense à la participation de la Suisse à l’intervention des forces de paix des Nations Unies en Namibie, la GANUPT,16 et je vous demande de réfléchir si il y a dix ans encore, ou même cinq ans, on aurait imaginé facilement que la Suisse s’engage dans une opération telle que celle-là. C’est dire que l’on fait aussi la politique étrangère et la politique que sa population, son peuple, convaincus supportent, ce qui nous permet d’avancer et de prendre, peut-être, davantage d’initiatives. Nous n’avons eu à propos de cette initiative dans le cadre des Nations Unies que des remerciements et des félicitations.17 Il y a eu quelques grincheux, bien sûr, heureusement, ça occupe les parcs et les coins de bistros, mais il y a eu un soutien général de notre population. Il n’y avait donc pas de timidité de la part du peuple suisse. Il y a eu la décision des chambres fédérales, parfaitement comprise par nos concitoyens de participer à l’aide à la Hongrie et à la Pologne,18 aide qui, dans le cadre du G-2419 qui s’est réuni encore le 6 juillet dernier à Bruxelles a été élargie désormais à la Tchécoslovaquie20 en particulier et à d’autres États qui rempliraient les mêmes conditions, c’est-à-dire pluralisme démocratique, libéralisme économique, État de droit; il a été décidé d’élever le seuil de l’aide à ces États-là. On devra nécessairement ajouter à cela la décision récente du Conseil fédéral d’appliquer des sanctions économiques à l’Irak et au Koweït à la suite de l’annexion du Koweït,21 décision qui a été prise quelques heures après le vote du Conseil de sécurité des Nations Unies à New York.

Avons-nous été motivés, dans ces décisions, par des préoccupations mercantiles? Je pose la question – ce n’est en tous cas pas mon impression.

Réinventer une politique étrangère? Lorsque l’on utilise ces termes-là ce sont souvent des propositions que l’on affectionne dans certains journaux ou au «Café du coin» lorsque l’on refait le monde. Nous n’avons pas à refaire le monde, nous avons à le prendre tel qu’il est, à y demeurer, à user de toute notre influence avec ceux qui pensent comme nous pour essayer d’y maintenir la paix et en définitive le bien-être de notre pays et de sa population. Ce que l’on doit faire – et nous nous y employons – c’est, dans la mesure de nos moyens, d’intensifier et d’adapter notre action aux circonstances; lorsque le monde change, notre vision du monde doit changer et nous devons aussi avoir des actions qui répondent aux appels du monde. En d’autres termes, et nous venons de l’entendre, nous devons saisir toute occasion pour faire connaître et rappeler notre disponibilité dans le règlement pacifique des conflits comme ceux que nous connaissons, anciens, et qui sont des plaies de l’humanité, le Cambodge ou l’Afghanistan.22 Je voudrais faire une toute petite digression à propos de la disponibilité. On a beaucoup trop abusé de ce terme, à la limite cela ne veut plus rien dire. Disponibles, nous le sommes par définition, si l’on nous demande et que nous pouvons, nous le faisons. Mais il ne faut pas annoncer cela comme un bouclier qui nous empêche de remarquer que quelquefois nous sommes disponibles, mais pas solidaires. Soyons donc attentifs à ne pas jeter constamment des termes qui sont un peu pompiers – pour ne pas dire pompeux – dans la conversation. Nous devons jouer un rôle utile dans la diffusion de nos valeurs démocratiques y compris de notre système fédéraliste: mais nous savons qu’il y a des limites à ce système, ce que je répète souvent à mes interlocuteurs étrangers, car il ne s’agit pas d’exporter le système suisse. Il y a des idées, une tradition, une expérience que nous pouvons expliquer mais que nous ne pourrons jamais convaincre qui que ce soit d’adopter tel quel. Et là on peut s’inspirer de cette remarque que l’un d’entre vous a faite que la Suisse est intéressante pour les autres pays dans la mesure où elle a quelque chose à apporter. Je crois que c’est certain. Et je suis persuadé que le thème qui devra particulièrement animer notre politique étrangère sera celui de la solidarité. La solidarité avec les États du monde qui rétablissent la liberté et donnent la souveraineté à un pays comme la Namibie, la solidarité des États industrialisés et de l’Europe qui soutiennent les démarches vers la liberté qu’ont tentées les peuples d’Europe centrale et de l’Est, la solidarité de la Suisse avec la communauté internationale lorsqu’elle condamne et punit un État qui a violé le droit des gens. Je crois que c’est ainsi que nous reconnaîtrons et que nous ferons reconnaître que nous appartenons à la communauté des Nations. Il y a un terme que je voudrais voir définitivement écarté de tout langage de politique étrangère suisse, c’est celui de «Sonderfall Schweiz». C’est inutile et c’est faux. Le «Sonderfall Schweiz», il n’existe que dans la mesure où nos institutions sont différentes des autres, dans la mesure où la façon dont nous traitons politiquement les problèmes intérieurs de notre pays est différente de la façon dont sont traités ces mêmes problèmes à l’étranger. Mais la Suisse, État, Nation, n’est pas un «Sonderfall» c’est un petit morceau de la géographie du continent européen et c’est un État qui a les mêmes responsabilités que tous les autres États de ce continent et du monde.

Plusieurs participants étaient d’accord que la Suisse devra affronter la triple échéance de l’adhésion à la Communauté, à l’organisation des Nations Unies23 et aux Institutions de Bretton Woods24 Dans le monde contemporain, le fait de n’appartenir à aucun «club» rend la conduite des relations extérieures particulièrement difficile voire quelquefois impossible. Or seule une politique étrangère engageant la Suisse dans un rôle d’État solidaire de la communauté internationale, seule une politique de ce type menée fermement par le Conseil fédéral saura faire face à ces défis. Ces défis, sont-ils imminents? Pas nécessairement, mais les problèmes qu’ ils nous posent ne doivent pas être purement et simplement écartés au nom de principes qui ne sont souvent pas connus et en définitive pour servir un intérêt strictement egoïste.

Irak:

Jusqu’à il y a peu de temps, nous avons peut-être trop rapidement cru que nous allions pouvoir enfin toucher les dividendes de la paix après les divers événements qui s’étaient passés en Europe centrale. Avec l’effondrement du communisme, certains prosélytes ont pensé que les normes du droit des gens et les valeurs occidentales allaient triompher dans le monde entier. L’agression flagrante du Président Saddam Hussein contre l’État du Koweit – le 2 août – a remis brutalement en question quelques certitudes. Et là, nous devons bien le reconnaître, nous savions tous, en Occident, que la puissance militaire irakienne était énorme, qu’elle était entre les mains d’un seul homme et de son régime, qu’elle était menaçante et nous n’y avons pas prêté suffisamment d’attention. Nous devrions, une fois de plus – et je dirais presque que cette leçon, si elle n’a pas de conséquences trop graves dans le monde et au Moyen Orient, il est important peut-être de l’avoir vécu – nous devrions nous poser, une fois de plus, la question de notre responsabilité dans les moyens que nous avons donnés à l’Irak au cours des années, jusqu’à la possibilité récente encore, de posséder la bombe atomique. Nous portons notre part de responsabilité dans cette affaire.25 On ne peut pas soutenir une politique qui revient d’une part à défendre le droit des gens et les droits de l’homme et parallèlement, sous le couvert de la liberté des marchés et des échanges, mettre entre les mains d’un homme que nous savons dangereux et de son régime les moyens propres à fouler aux pieds ces mêmes droits que nous défendons.

Puis se posent les problèmes du tiers-monde.

Le Nord de la planète est en pleine période de restructuration si l’on considère les développements européens et le développement du Sud continue d’être entravé par une série de crises et d’affrontements. Il ne doit pas subir que les retombées négatives des bouleversements européens.

Si les événements d’Europe centrale et orientale menacent de nous détourner des problèmes que connaît par exemple l’Amérique du Sud, il me semble pourtant qu’ils devraient au contraire attirer notre attention sur le parallélisme des besoins de ces régions. Il s’agit de trouver une formule pour mener conjointement à bien une démocratisation de la vie politique – on sent ces efforts dans les États d’Amérique latine – et une réforme approfondie des structures économiques, tout en recherchant de part et d’autre leur réinsertion dans l’économie mondiale. De même, il s’agit dans ces deux régions du monde, le Nord et le Sud, de faire en sorte que l’étatisme outrancier qui a prévalu pendant toutes les décennies passées et qui est aujourd’hui rejeté, ne soit remplacé par un capitalisme sauvage, tout aussi peu en mesure de résoudre les problèmes sociaux qui existent des deux côtés.

Nous avons là des expériences d’États à économie de marché, nous avons des expériences à apporter, certainement, quant à l’équilibre social indispensable.

Dans ces conditions, notre politique d’aide au développement à l’Amérique latine garde toute sa signification.26Mais, nous devons, certainement songer à inscrire davantage ce continent dans les structures multilatérales.

S’il est un continent particulièrement inquiet du détournement des flux de l’aide internationale en faveur de l’Europe centrale et orientale, c’est bien l’Afrique.27 Il nous faut donc ici réaffirmer comme nous l’avons déjà fait à plusieurs reprises, en Suisse, au Parlement, devant la presse, et le Groupe des 24 l’a réaffirmé deux fois solennellement que l’aide aux pays de l’Est nempiètera en aucun cas sur l’assistance que la Suisse accorde traditionnellement aux pays en voie de développement, et par là même à l’Afrique.28 Nous savons, et c’est ça le risque le plus lourd, que si l’aide publique ne sera pas détournée, les investissements privés n’appartiennent évidemment pas à notre décision; le risque est dès lors que les investisseurs choisissent plutôt l’élargissement de leurs entreprises et la possibilité d’investir en Europe, en Europe orientale en particulier, se détournant par là même des États africains.

D’un autre côté, nous devrons plus durement que nous l’avons fait jusqu’à présent insister pour que les États d’Afrique empruntent plus résolument les voies qui mènent à la démocratie. Nous savons qu’ils sont victimes d’un handicap que de nombreuses années de colonisation leur ont laissé. Mais nous souhaitons que plus nous nous engagerons en faveur de cette partie du monde, plus nous puissions intervenir en faveur du respect des droits de l’homme et de l’institution de régimes démocratiques.

Confrontée au Développement historique de l’Europe ou à la dégradation toujours plus préoccupante de la situation du Tiers Monde, on pourrait penser que la Suisse a désormais fort à faire pour accréditer auprès de l’ensemble des pays du monde l’image d’une nation riche et neutre. Nous avons heureusement la chance que la réputation de solidarité, de loyauté et de paix de notre pays soit ancrée depuis assez longtemps dans l’histoire pour que cette image résiste encore aux changements malgré le retentissement de certaines affaires à l’étranger.

Un danger nous menace. Est-ce que nous ne deviendrions pas les otages de notre propre système si longtemps rôdé et qui est fait aussi d’habitudes. À l’heure des défis que nous devrons affronter, quelle image de la Suisse et de ses habitants, de son peuple, désirons-nous projeter à l’étranger. Notre neutralité permettait comme le disait notre Ambassadeur à Moscou29 hier, à Monsieur Schevardnaze de répondre: oui neutres, nous le sommes tous. C’est donc dire que si nous voulons défendre et projeter cette image de la neutralité, nous devrons illustrer notre neutralité, et nous ne pourrons l’illustrer et la justifier qu’à travers une politique de neutralité qui soit engagée, qui soit claire et qui soit publique.30 Nous avons pu constater que la décision du Conseil fédéral d’appliquer des sanctions économiques identiques à celles décidées à l’ONU envers l’Irak a montré, a eu comme conséquence que les réactions à l’égard de la Suisse dans le monde ont été extremêment positives et qu’on a tout-à-coup découvert quelles étaient les possibilités d’un État comme le nôtre.31

Puis enfin, Mesdames et Messieurs, vous avez eu l’occasion de discuter des célébrations du 700ème anniversaire et surtout à cette occasion de la nouvelle orientation de notre politique culturelle.32 Je tiens à souligner qu’il faudra que tous ensemble nous obtenions un développement des moyens à disposition de notre politique culturelle. C’est indiscutablement un des moyens les plus importants de nous présenter au monde, partout, de nous manifester en tant que pays; or un pays n’est réellement respectable que lorsqu’il peut montrer ce qu’il crée.33 C’est une conviction que nous devons tous avoir, et je souhaite que nous puissions, au cours des prochaines années, développer cette dimension diplomatique qu’est la présence culturelle de la Suisse à l’étranger. Nous savons que nous avons pris du retard dans ce domaine, et que des pays de la même dimension que le nôtre ont eu peut-être à cause de leur structure politique aussi, ont eu la possibilité de se présenter mieux, de se présenter plus souvent, de se présenter plus généreusement et plus ouvertement. Nous nous occuperons, et nous engagerons avec vous pour obtenir davantage dans ce domaine.

Enfin, ce matin, tout-à-l’heure, vous avez écouté mon collègue, le Chef du Département de l’Économie Publique. M. le Conseiller fédéral Delamuraz a tiré lui-même les conclusions des discussions qu’il a eu avec lui,34 je crois qu’il n’est pas nécessaire que j’y revienne.

Voilà Mesdames et Messieurs, je voudrais vous remercier de votre présence, de votre participation, de vos contributions souvent substantielles aux discussions qui ont eu lieu, de remercier ceux qui ont par leur préparation permis de préparer, d’organiser les quatre séminaires auxquels vous avez assisté. J’aimerais vous remercier aussi de votre collaboration quotidienne, vous dire que le Conseil fédéral, comme votre Chef de Département sont fiers de votre travail et qu’ils vous témoignent leur plus totale confiance. J’aimerais remercier aussi ici certains absents. Ceux qui sont retenus au Moyen-Orient, pour les raisons qu’on sait, et je me permets, Mesdames et Messieurs, de conclure en demandant à certains d’entre vous de regagner vos postes, dès que cela sera possible, il n’y a pas d’ordre d’urgence – vous aurez le temps de déjeuner. Je vous remercierais de bien vouloir me communiquer les moments de votre départ. Voyez-vous je crois que cela est important, aujourd’hui certains médias ne font plus de l’information, mais un exercice de voyeurisme contre lequel nous devons quelquefois nous défendre. Je ne voudrais pas que dans quelques semaines on se mette simplement à me poser cette stupide question: où étaient les Ambassadeurs? Parce qu’on aura uniquement parlé des Chargés d’Affaires. Cette question, elle viendra, Mesdames et Messieurs, ou alors vous ne connaissez pas la presse suisse. Et je crois que de toute manière, pour vos collaborateurs en place, pour la Centrale et pour nous tous, il sera important de savoir que dans un moment où une crise peut éclater, je ne fus pas pessimiste, je vous dirais même que j’ai l’impression que l’instant est passé. Il y a 20 jours, le 2 août que l’Irak envahissait le Koweït, je ne suis pas persuadé que si les Américains avaient voulu intervenir ils ne l’auraient pas déjà fait. C’est un peu tard. Enfin, je ne suis pas prophète... Mais nous avons des Suisses à rapatrier, il y a des frontières qui se sont fermées, celle de la Jordanie la nuit passée. 180 000 réfugiés sont en Jordanie, dénués de tout, il n’y a plus ni aliment ni boisson, la seule issue est maintenant la Turquie avec des distances assez considérables, assez difficiles, je souhaite donc que les Ambassadeurs, indépendamment de ceux qui remplissent leur mission ou bien parce qu’ils y sont ou bien parce qu’il n’y a pas d’Ambassadeur résident en Irak, en Arabie Saoudite, en Jordanie, en Égypte et en Syrie, je souhaite que les Ambassadeurs à Tel Aviv, à Ankara, les Chargés d’Affaires à Abou-Dhabi et à Tripoli, notre Ambassadeur à Washington,35 parce qu’on tire toutes les ficelles à Washington M. Brunner le sait bien, et il n’y a qu’à voir pendant la seule séance du Conseil fédéral d’hier soir j’ai été dérangé 6 fois pour recevoir des câbles qui venaient de votre Ambassade, je souhaite que ces Chefs de mission regagnent le plus vite possible leur poste. Nous l’avons annoncé publiquement, en disant que nous vous inviterions à regagner vos postes.

Encore une fois, Mesdames et Messieurs, s’il vous plaît je ne suis pas payé ni élu pour jouer un drame, je n’interprète pas un drame classique. Je vous dis simplement que le besoin d’informations, le besoin de contacts, les questions de la presse, les services, et c’est cela qui est essentiel, que nous pouvons rendre en étant sur place m’engagent à vous demander de regagner vos postes dans un délai que vous jugerez convenable. Je ne juge pas moi, si c’est demain, ou cet après-midi ou dimanche soir. Je vous invite à regagner vos postes et à nous faire savoir quand vous pourrez le faire.

J’aimerais également que les Ambassadeurs, je ne devrais même pas avoir besoin de le dire, mais je le répète quand-même, comme cela je vous aurai fait toute la leçon, que les Ambassadeurs des pays qui sont les membres du Conseil de Sécurité non pas regagnent leur poste immédiatement, mais soient prêts à assurer une espèce de service de garde, c’est-à-dire qu’on puisse rapidement les atteindre le cas échéant, et qu’ils sachent qu’il y aura peut-être nécessité de regagner au plus vite, en cas d’aggravation de la crise, donc là pas d’invitation immédiate, simplement on pourrait avoir à vous demander de retourner à vos postes, c’est donc Paris, Londres, Moscou, Pékin.36

Et enfin, dans un deuxième service, évidemment que les Ambassadeurs à Rome, à Bonn, Bruxelles les Communautés, et l’Organisation des Nations Unies à New York37 soient également à atteindre, mais évidemment dans un délai qui vraisemblablement ne présente aucune urgence. Je suis désolé de devoir donner ces indications, je suis persuadé que ce sera la dernière fois, mais je crois qu’aussi pour l’image de notre pays, pour la confiance que nous, vous, corps diplomatique, nous, Département des Affaires étrangères, devons inspirer à nos concitoyens, il est nécessaire qu’on prenne un minimum de précautions, et qu’on puisse simplement répondre présent si une question nous était posée. Cela dit je sais pouvoir compter sur chacun d’entre vous, et le Conseil fédéral qui m’a aussi demandé d’intervenir dans ce sens et qui soutient cet appel, se joint à moi pour vous remercier de votre travail.

Je souligne que, à la Centrale, toute une série de vos collègues, et de mes collaborateurs ne participeront pas à l’excursion, désirant rester à leur poste pour pouvoir répondre aux éventuels appels urgents qui arrivent.38 Il y a les appels urgents de vos missions, il y a les appels urgents de la presse, c’est autre-chose, il y a les précisions demandées par tel ou tel Département fédéral ou tel Service, il y a aussi les services que nous rendons à nos concitoyens, et il y a de plus en plus à notre époque une concertation très vive entre les divers Ministères. C’est réjouissant, c’est déstabilisant dans la mesure ou nous ne sommes plus tranquilles, j’ai un collègue qui m’appelle deux fois par jour maintenant, c’est quelques fois difficile parce que je n’ai pas changé d’avis entre la première et la deuxième. Mais c’est dire que cette concertation même directe entre Ministres à travers le téléphone, n’est-ce-pas, mais qui implique que nous allons ensuite répercuter ces informations sur nos collaborateurs cela mobilise beaucoup de monde, et je tiens à vous remercier d’accepter la mission pour laquelle vous vous êtes engagés, et d’accepter de la remplir dans des conditions difficiles, nous aurons l’occasion encore de nous exprimer et de parler entre nous au cours de cette excursion, je précise qu’au cours de cette excursion je serai naturellement toujours à la disposition de la Centrale, mais qu’on pourra aussi m’atteindre très facilement, tout cela est prévu.

Mesdames et Messieurs, merci de votre attention, bon appétit et à tout-à-l’heure.

1
CH-BAR#E2024B#2001/146#33* (a.133.41). Ce discours du Conseiller fédéral René Felber, probablement rédigé par le Secrétariat politique du DFAE, met fin aux exposés de la conférence des ambassadeurs du 21 au 23 août 1990. La conférence se termine par une excursion en Suisse orientale. Pour le rapport de la conférence des ambassadeurs, cf. dodis.ch/54340. Pour l’exposé liminaire du Conseiller fédéral Felber, cf. dodis.ch/54341. Pour un tour d’horizon de la politique étrangère de la Suisse par le Conseiller fédéral Felber, cf. aussi DDS 1990, doc. 11, dodis.ch/56530.
2
Cf. DDS 1990, doc. 29, dodis.ch/55715; doc. 30, dodis.ch/54497 et doc. 60, dodis.ch/55703 ainsi que la compilation thématique Crise du Golfe (1990–1991), dodis.ch/T1673.
3
Au sujet du processus de réforme en Europe de l’Est, cf. la compilation dodis.ch/C1729.
4
Pour la nouvelle architecture européenne, cf. la compilation dodis.ch/C1802.
5
Cf. le rapport de la conférence des ambassadeurs de 1989, dodis.ch/54420.
6
Pour l’aide aux pays d’Europe de l’Est, cf. DDS 1990, doc. 12, dodis.ch/56158 et la compilation thématique Aide aux pays d’Europe de l’Est, dodis.ch/T1676.
7
Pour les relations avec la Yougoslavie, cf. DDS 1990, doc. 2, dodis.ch/56007.
8
Pour l’aide à l’URSS, cf. la compilation dodis.ch/C1877.
9
Sur le rôle du Conseil de l’Europe dans la nouvelle architecture européenne, cf. dodis.ch/56047.
10
Pour l’EEE cf. DDS 1990, doc. 8, dodis.ch/54934; doc. 16, dodis.ch/54605; doc. 23, dodis.ch/55262; doc. 28, dodis.ch/55291. Cf. également la compilation thématique Négociations AELE-CEE sur l’Accord EEE (1990–1993), dodis.ch/T1713.
11
Pour les vues du Conseiller fédéral Felber sur les relations entre un accord EEE et l’adhésion à la CEE, cf. DDS 1990, doc. 42, dodis.ch/56411.
12
Le discours de du Chef du DMF, le Conseiller fédéral Kaspar Villiger, figure également dans le rapport de la conférence des ambassadeurs, cf. dodis.ch/54340.
13
Pour les perspectives de la CSCE, cf. DDS 1990, doc. 34, dodis.ch/56205.
14
Cf. l’exposé liminaire du Conseiller fédéral Felber du 21 août 1990, dodis.ch/54341.
15
Pour la relation entre la politique étrangère et la politique commerciale extérieure cf. aussi DDS 1990, doc. 9, dodis.ch/56535.
16
Cf. DDS 1990, doc. 31, dodis.ch/56036 et la compilation dodis.ch/C1719.
17
Cf. DDS 1990, doc. 18, dodis.ch/56127 ainsi que dodis.ch/56312 et dodis.ch/56313.
18
Cf. DDS 1990, doc. 5, dodis.ch/56181; doc. 12, dodis.ch/56158; doc. 33, dodis.ch/55680 et la compilation thématique Aide aux pays d’Europe de l’Est, dodis.ch/T1676.
19
Cf. aussi dodis.ch/55726.
20
Cf. DDS 1990, doc. 54, dodis.ch/55850.
21
Pour la crise du Golfe cf. DDS 1990, doc. 29, dodis.ch/55715 et doc. 30, dodis.ch/54497 et la compilation dodis.ch/C1674.
22
Pour l’engagement de la Suisse, cf. la compilation thématique Processus de paix en Afghanistan, dodis.ch/T1828.
23
Pour les relations avec l’ONU après le vote négatif sur l’adhésion à l’ONU cf. DDS 1990, doc. 18, dodis.ch/56127.
24
Cf. DDS 1990, doc. 1, dodis.ch/54926 et doc. 13, dodis.ch/54922.
25
Cf. dodis.ch/54560.
26
Pour les relations bilatérales avec les pays d’Amérique latine cf. DDS 1990, doc. 4, dodis.ch/56233; doc. 26, dodis.ch/56121 et doc. 59, dodis.ch/54750.
27
Pour la coopération avec les pays africains cf. DDS 1990, doc. 39, dodis.ch/56092 et doc. 48, dodis.ch/56080.
28
Pour le lien entre l’aide au développement et l’aide aux pays d’Europe de l’Est, cf. aussi dodis.ch/55696.
29
Francis Pianca.
30
Pour la neutralité suisse dans un environnement en mutation cf. le papier de thèse de la Direction du droit international du DFAE, DDS 1990, doc. 24, dodis.ch/54523.
31
Pour une évaluation des sanctions économiques contre l’Irak et le Koweït du point de vue de la neutralité suisse, cf. DDS 1990, doc. 30, dodis.ch/54497.
32
Cf. les différents exposés sur la politique culturelle dans le rapport de la conférence des ambassadeurs dodis.ch/54340.
33
Cf. la compilation thématique 700e anniversaire de la Confédération (1991), dodis.ch/T1830. Pour les projets culturels à l’étranger dans le cadre du 700ème anniversaire de la Suisse, cf. dodis.ch/55954.
34
Cf. les conclusions du Conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz dans le rapport de la conférence des ambassadeurs, dodis.ch/54340, ici pp. 107-112.
35
Jean Olivier Quinche, Adolf Lacher, Hansulrich Maurer, Claude Huguenin et Edouard Brunner.
36
Carlo Jagmetti, Franz Muheim, Francis Pianca et Erwin Schurtenberger.
37
Francesca Pometta, Alfred Hohl, Benedikt von Tscharner et Dieter Chenaux-Repond.
38
Le 10 août 1990, une cellule de crise Irak/Koweït est créée sous la direction du DFAE pour s’occuper de tous les problèmes en matière de la crise du Golfe. Pour la séance du 23 août 1990, cf. dodis.ch/54678.