dodis.ch/53770  CONSÉIL FÉDÉRAL Procès-verbal de la séance du 11 décembre 19391

Instructions de la délégation suisse à l’assemblée de la Société des Nations.

 

Le département politique expose ce qui suit:

«Il y a lieu de revenir brièvement sur les quatre questions qui, comme nous l’exposions dans notre proposition du 6 décembre2, retiendront l’attention de l’assemblée de la Société des Nations dont la XXe session s’ouvrira lundi, vraisemblablement sous la présidence de M. de Valera (Irlande).

Les questions budgétaires n’appellent pas, pour le moment, de longs commentaires. Le budget a été réduit dans une mesure appréciable, mais il semble bien que, vu l’activité fortement réduite de la Société des Nations dans les circonstances actuelles, les compressions auraient pu être encore plus considérables. Il n’appartenait pas cependant à la délégation suisse – et c’est également l’avis du département des finances – de prendre l’initiative de réductions plus grandes. Comme pays siège de la Société, nous sommes tenus à quelque discrétion. Le Département politique ne se réserve pas moins d’exposer ultérieurement au Conseil fédéral la situation des fonctionnaires suisses, notamment des mobilisés, atteints par les réductions massives de personnel auxquelles ont dû procéder les organismes de la Société des Nations. La délégation suisse a obtenu, avec l’appui du Département politique, une amélioration sensible des conditions dans lesquelles les contrats de ces fonctionnaires seront ou suspendus ou résiliés. Elle n’a cependant pas atteint tous ses objectifs. Elle demandait en particulier que le préavis de résiliation fût de quatre mois, alors que la commission de contrôle l’avait fixé à un mois. La question a été renvoyée à l’examen de la commission de contrôle qui se réunira en février prochain. Il serait peut-être opportun que le versement de notre contribution pour l’exercice 1940 ne fût pas effectué dès le commencement de l’exercice, mais fût différé jusqu’après la réunion de la commission de contrôle. Nous disposerions ainsi d’un certain moyen de pression sur la commission, laquelle a modifié non sans une certaine désinvolture le statut des fonctionnaires en invoquant la force majeure.

Sur le rapport Bruce concernant le mécanisme de la Société des Nations pour l’examen des problèmes techniques, nous avons déjà dit notre sentiment3. La délégation suisse pourra s’associer à ses conclusions, sans que nous nous fassions beaucoup d’illusions sur l’opportunité de cette réforme destinée à augmenter si possible et à justifier davantage l’activité des services du secrétariat.

Quant à l’élection des membres non permanents du conseil, la situation, samedi matin, était encore confuse. Elle pouvait d’ailleurs se modifier d’un moment à l’autre. Les difficultés proviennent, d’une part, de ce que des États comme les États scandinaves rejettent aujourd’hui l’honneur de faire partie d’un organe qui peut engager lourdement leur responsabilité et, d’autre part, du fait que d’autres pays dont la liberté d’action à l’égard de la Russie n’est pas entière pourraient faire obstacle à la sanction qu’on s’apprête à appliquer à l’URSS (États baltes, Chine). En tout état de cause, quatre États (Bolivie, Nouvelle-Zélande, Suède et Lettonie) déposeront leur mandat. Le siège occupé par la Lettonie était considéré comme provisoire; il ne sera pas repourvu. À la Suède auraient dû succéder normalement les Pays-Bas, mais ceux-ci s’étant récusés, on est actuellement en quête d’un pays prêt à affronter les risques d’une collaboration au conseil. On a pensé au Portugal. Acceptera-t-il? Pour la Bolivie, les États latino-américains examineront encore la situation. L’Argentine pourrait être un excellent candidat. Quant à la Nouvelle-Zélande, elle sera remplacée sans autre par l’Afrique du Sud. Reste le cas de la Chine. Cet État a été jusqu’ici si étroitement associé aux Soviets qu’il serait question de ne le laisser siéger au conseil qu’à la condition qu’il s’abstînt lors de l’adoption d’une mesure d’exclusion décrétée contre les Soviets. Les négociations sont actuellement en cours.

Comme d’habitude, il y aurait lieu de laisser à la délégation suisse le soin de se former une opinion sur le mérite des candidatures jusqu’à la veille des élections, quitte pour elle, à ce moment-là, à consulter téléphoniquement le département politique, lequel pourra, s’il y a lieu, prendre l’avis du conseil fédéral ou de son président.

Reste la question la plus importante: la suite à donner à la demande de la Finlande. Il ne fait pas de doute qu’on s’achemine vers une exclusion des Soviets prononcée conformément à l’article 16, alinéa 4, du Pacte4. L’agression de l’URSS est si manifeste que les sanctions purement économiques et financières pourraient lui être appliquées sans que la légalité de cette mesure souffre la moindre discussion. Mais les circonstances ne permettent guère de recourir à un blocus contre la Russie. La seule sanction qui paraît pratiquement possible aujourd’hui est l’exclusion. Sanction purement morale, certes, mais on ne saurait dire qu’elle serait dépourvue de tout effet même sur un gouvernement sans scrupules comme celui de Moscou.

La sanction de l’exclusion sera proposée par l’Argentine à la commission qui sera constituée aussitôt après l’exposé du représentant de la Finlande pour l’examen des griefs d’ores et déjà constatés à la charge du gouvernement soviétique.

Quelle devra être l’attitude de la délégation suisse à l’égard de la mesure qui va frapper justement de son ignominie l’agresseur bolchévique?

On pourrait être tenté, à première vue, de dire qu’il s’agit d’une question de participation ou de non-participation à la Société des Nations et, dans ce cas, la Suisse serait fondée à prononcer, conjointement avec les autres membres de la Société des Nations, l’exclusion de l’État indigne. Mais, en réalité, il s’agit bel et bien de l’application d’une sanction qui est, de surcroît, expressément prévue par l’article 16 du Pacte: l’exclusion. Or, par sa résolution du 14 mai 19385, qui nous a permis de recouvrer notre neutralité intégrale dans le cadre de la Société des Nations, le conseil a expressément pris acte «de l’intention exprimée par la Suisse invoquant sa neutralité perpétuelle, de ne plus participer en aucune manière à la mise en œuvre des dispositions du Pacte relatives aux sanctions». Ce texte est net; notre engagement est précis. Si indignée qu’elle soit de l’agression russe, la Confédération ne saurait donc, sans manquer à ce qu’elle a proclamé il y a un peu plus d’une année, s’associer à une décision de l’assemblée entraînant l’expulsion des Soviets de la Société des Nations. Il ne lui resterait d’autre parti à prendre que celui de s’abstenir.

Cette attitude d’abstention ne devrait toutefois pas avoir pour effet de créer une équivoque, à l’assemblée ou dans notre opinion, sur nos sentiments envers le peuple finlandais6. Elle devrait donc être motivée brièvement de manière à ne laisser subsister aucun doute quant à l’attitude que nous eussions adoptée si nous n’étions pas liés par la résolution du 14 mai 19387. La délégation suisse pourrait en conséquence, au moment du vote de la résolution soumise à l’assemblée, faire une déclaration dont nous soumettons le texte au conseil».

Ce texte est approuvé avec deux adjonctions et a la teneur suivante:

«Chacun connaît les sentiments qui animent le peuple suisse à l’égard de la Finlande. À ce peuple valeureux qui défend fièrement son indépendance contre une injuste agression vont notre entière sympathie et notre profonde admiration. Mais, comme on le sait, la Suisse, par la résolution du conseil en date du 14 mai 1938, a recouvré sa neutralité intégrale dans le cadre de la Société des Nations. Cette résolution lui fait un devoir «de ne plus participer en aucune manière à la mise en œuvre des dispositions du Pacte relatives aux sanctions». C’est uniquement pour cette raison que la délégation suisse s’abstiendra dans le vote sur la résolution soumise à l’assemblée».

En conséquence, vu la proposition du département politique, il est décidé:

1o d’approuver les considérations qui précèdent quant aux questions soumises à l’assemblée de la Société des Nations, en laissant à la délégation suisse la faculté d’agir pour le mieux dans leur sens;

2o de charger la délégation suisse, au cas où un vote aurait lieu à l’assemblée sur l’exclusion de l’URSS de la Société des Nations, de faire une déclaration conforme au texte ci-dessus8.

1
PVCF No2321 CH-BAR#E1004.1#1000/9#393*, DDS, vol. 13, doc. 209, dodis.ch/46966, annexe. Était absent: H. Obrecht.
2
Cf. doss. CH-BAR#E2001D#1000/1554#35* (E.13.32). Cf. aussi la lettre de W. Rappard à Ph. Etter du 6 décembre 1939, dodis.ch/53976 et doss CH-BAR#J1.149#1977/135#136*.
3
Sur ce rapport qui préconise la constitution du comité central des questions économiques et sociales,cf. le PVCF No 2304 du 8 décembre 1939 CH-BAR#E1004.1#1000/9#393*
4
Pour le Pacte de la Société des Nations, cf. le Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédé‑rale concernant la question de l’accession de la Suisse à la Société des nations du 4 août 1919, dodis.ch/8912, pp. 688–693.
5
Cf. doc. 41, dodis.ch/54174.
6
Sur l’assistance suisse accordée à la Finlande en vertu de la résolution adoptée par la 20e assemblée de la SdN, cf. doss. CH-BAR#E2001D#1000/1554#720* (E.414.10.1).
7
Sur le retour à la neutralité intégrale et ses effets jusqu’en 1945, cf. doss. CH-BAR#E2001D#1000/1554#6* (E.12.20); CH-BAR#E2001D#1000/1553#6166* (B.51.10) et CH-BAR#E2001D#1000/1554#198* (E.411.40).
8
Rapport du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale sur la XXe session de l’assemblée de la Société des Nations du 30 janvier 1940, FF, 1940, I, pp. 145–163. Pour la discussion parlementaire, cf. doss. CH-BAR#E2001D#1000/1554#36* (E.13.34).