dodis.ch/50107Notice du Chef du Département politique, P. Graber, aux membres du Conseil fédéral1

Secret bancaire. Critiques étrangères

Les reproches formulés à l'étranger à l'encontre du secret bancaire en Suisse et des abus qu'il est censé permettre ne sont pas nouveaux2. Mais ils se multiplient et gagnent en virulence. Des opinions plus objectives sont parfois émises. Elle sont malheureusement beaucoup plus rares.

Plusieurs émissions de télévision ont été consacrées au système bancaire suisse. Les chaînes de télévision canadienne, hollandaise et belge ont présenté ces derniers temps des émissions très critiques. Le sujet inspire aussi des auteurs de films, tel «The Swiss Conspiracy». Des ouvrages sur ce même thème, exposé de façon plus ou moins tendancieuse, ont paru. Parmi les nouveautés, on peut citer «The Swiss Connection» (par Leslie Waller), «The Swiss Account» (du même auteur), «Dirty Money» (par Thurston Clark/John J. Tigue), «Facts about Swiss Banking Secrecy» et «Harry Brown's Complete Guide to Swiss Banks».

La presse internationale s'étant, depuis longtemps, emparée du sujet, il serait vain de passer en revue tous les articles qui nous sont parvenus ces derniers mois. Les critiques formulées ne varient guère et elles sont bien connues: comptes numérotés, recel de capitaux provenant de vols, d'escroqueries, de rançons, de la mafia, de fortunes mal acquises (Trujillo, Haïlé Sélassié3, etc.), refuge de capitaux en fuite, aide à la fraude fiscale, financement de trafic d'armes, etc. L'ouvrage récent de Jean Ziegler «Une Suisse au-dessus de tout soupçon»4, est partiellement à l'origine de cet intérêt renouvelé des mass media pour le système bancaire suisse, l'auteur étant devenu un invité privilégié de la presse, de la radio et des télévisions étrangères5.

Un fait nouveau est cependant constaté. Précédement, les reproches s'adressaient aux banques suisses qui accueilleraient sans discernement des fonds d'origine douteuse. Désormais, c'est l'attitude de la Suisse et de son gouvernement, considéré comme trop tolérant si ce n'est complice, qui est visée. Voici quelques exemples récents: «The Surrey Leader» (Canada) du 9 décembre 1976, écrit: «Ces comptes numérotés, officiellement protégés par le gouvernement suisse, constituent un chaînon important dans l'organisation du crime à travers le monde». Ce journal suggère que le problème soit porté devant la Chambre des Communes afin de faire pression sur la Suisse et de lui rappeler sa responsabilité morale. «Le crime et la corruption seraient moins rentables s'ils ne pouvaient pas compter sur la coopération du système bancaire suisse». «Si la Suisse», conclut l'article, «refuse d'abandonner son rôle de receleur, elle devrait être exclue de toute organisation poursuivant un but humanitaire.»

Il y a quelques semaines, l'ancien Ministre français Alexandre Sanguinetti ne s'exprimait publiquement guère autrement si ce n'est un peu moins brutalement: «L'Europe devra faire quelque chose, car il n'est plus possible que la Suisse continue à être le receleur de l'Europe». À la demande d'un correspondant du quotidien «La Suisse», il a précisé sa pensée: «Je suis convaincu que tôt ou tard, la communauté des pays européens demandera au gouvernement suisse de réfléchir au problème, afin que la Confédération n'apparaisse plus comme un receleur, au profit de gens qui ne méritent en rien, par leur comportement, la considération dont on les entoure dans vos banques. Je suis persuadé que la Suisse n'échappera pas à l'examen de la question» ... «La Suisse commence à faire parler d'elle dans les milieux de la Communauté européenne, pour une attitude qui constitue une prime aux fraudeurs des impôts et à certains spéculateurs sans scrupules» ... «Tôt ou tard, l'affaire éclatera» ... «Je crois pourtant que si la gauche arrivait au pouvoir, le problème serait posé à la Suisse plus durement qu'il ne le serait par le régime actuel. La gauche française ne tolérerait pas longtemps que la Suisse voisine puisse servir de refuge à l'évasion des fortunes.»

Lors d'un procès concernant une maison suédoise, ouvert le 26 janvier 1977 en Suède dans une affaire de violation de la législation sur les changes, le Procureur d'État6 s'est exprimé de façon sévère à l'égard de la Suisse (et du Liechtenstein). La presse, la radio et la télévision s'en sont fait largement l'écho. L'«Aftonbladet» du 27 janvier rapporte: «Le Procureur Rosenberg a déclaré à la Cour que l'existence de ‹telles firmes› en Europe est une honte pour la Suisse (et le Liechtenstein). Il a exprimé l'espoir que cette situation puisse changer. Le Procureur suédois visait les nombreuses sociétés créées à seule fin de dissimuler aux investigations étrangères des sommes destinées à divers usages occultes.»

Ces accusations ne devraient pas être prises trop à la légère. On y exprime tout haut ce que beaucoup pensent ou disent moins crûment. Au moment où il fut question d'une association de la Suisse au serpent monétaire7, certaines réticences françaises alors exprimées à très haut niveau visaient aussi notre tolérance jugée excessive en matière d'accueil de capitaux en fuite. Des observations enregistrées ailleurs vont dans le même sens.

1
Notice: CH-BAR#E2001E-01#1988/16#1165* (C.41.129.0). Rédigée par L. Rochat et J.-C. Richard. Copie à K. Huber, W. Buser et J.-M. Sauvant.
2
Cf. DDS, vol. 26, doc. 109, dodis.ch/38960, en particulier note 5 et le procès-verbal No 191 de la direction générale de la Banque nationale suisse du 10 mars 1977, dodis.ch/49313. Sur l'affaire de la filiale de Chiasso du Crédit suisse, cf. DDS, vol. 27, doc. 62, dodis.ch/49601 et le PVCF de décision II du 5 mai 1977 de la 15ème séance du 27 avril 1977, dodis.ch/49293.
3
Cf. DDS, vol. 26, doc. 119, dodis.ch/38887 et doc. 121, dodis.ch/38888.
4
Cf. la notice de E. Andres à P. Graber du 6 avril 1976, dodis.ch/50257.
5
Cf. la notice de F. Dubois à la Division politique I du Département politique du 24 mars 1977, dodis.ch/50955 et la lettre de A. Hurni à A. Weitnauer du 16 février 1977, dodis.ch/50565.
6
T. Rosenberg. Cf. la lettre de B. Turrettini à J. Zwahlen du 26 août 1976, dodis.ch/50988 et la notice de E. Thurnheer du 7 avril 1977, dodis.ch/50964.
7
Cf. DDS, vol. 26, doc. 141, dodis.ch/39506, en particulier note 5; DDS, vol. 26, doc. 161, dodis.ch/39509 et DDS, vol. 26, doc. 170, dodis.ch/39508.