dodis.ch/47991 Le Président de la Confédération, Ed. von Steiger, au Président des Etats-Unis d’Amérique, F.D. Roosevelt1

L’aimable lettre2 que vous m’avez adressée témoigne des sentiments d’estime et de sympathie que la plus grande démocratie du monde et son Président éprouvent à l’égard de la Suisse.

C’est avec satisfaction que le Conseil fédéral a pris acte de la reconnaissance de notre neutralité traditionnelle et qu’il a constaté la compréhension que vous montrez pour nos difficultés.

La Suisse n’a jamais livré des produits de son industrie dans l’intention d’apporter une aide partiale à l’un ou l’autre des belligérants. Mais des échanges commerciaux effectués dans les limites du droit des gens étaient nécessaires pour couvrir des besoins vitaux, dont la satisfaction est une condition de notre indépendance. D’autre part, prévenir le chômage constitue un des meilleurs moyens de rendre notre petit peuple capable de résister aux influences antidémocratiques. Cet aspect de la question n’est pas négligeable. Il faudra en tenir compte aussi dans l’avenir.

Le citoyen suisse nourrit des sentiments innés de considération et de sympathie pour tous ceux qui luttent pour le droit et la liberté. Mais la politique immuable de neutralité suivie par le Conseil fédéral ne lui permet pas de régler son action d’après ses sentiments.

Aussi longtemps que les autres Etats ne commettent à son détriment aucune infraction aux principes du droit des gens, la Suisse a le devoir de se comporter de la même manière à l’égard de chacun d’eux. Ce n’est qu’en observant ellemême strictement les règles du droit international et en faisant honneur à ses engagements qu’elle peut mériter et conserver la confiance générale sans laquelle elle ne pourrait accomplir sa mission humanitaire.

Mais nous ne prêterons jamais notre concours pour la protection et la garde de biens illégalement acquis. Nous ne tolérerons pas davantage que sur notre territoire des actes soient préparés ou commis en vue d’asservir la liberté. Nous sommes trop attachés au droit et à l’indépendance pour cela.

Nous avons été heureux d’apprendre que la Suisse sera aussi appelée à collaborer à l’édification d’une nouvelle organisation mondiale qui protégera la liberté et assurera la prospérité des peuples. Je me crois en droit de présumer que cette collaboration nous sera demandée dans les limites de notre neutralité séculaire et dans le respect de notre indépendance nationale.

Je suis convaincu que la délégation que vous avez envoyée en Suisse et son chef, Mr. Laughlin Currie, dont la visite a été un honneur pour nous et nous a causé un vif plaisir, emporteront l’impression que la Suisse défend avec constance sa liberté et sa neutralité, et j’aime à croire que cette impression se dégagera pour vous des rapports qu’ils vous présenteront.

La remise de votre médaille commémorative est une attention à laquelle j’ai été très sensible et dont je vous suis particulièrement reconnaissant. Cette médaille3 sera déposée aux Archives fédérales, où tout citoyen suisse, s’il en éprouve le désir, pourra aller l’admirer.

Au revers de l’effigie de l’homme d’Etat en qui le peuple des Etats-Unis de l’Amérique du Nord a placé sa confiance pour la conduite de ses destinées pendant plusieurs législatures, la médaille montre un fier voilier entouré de ces mots d’un célèbre poète américain: «Thou too Sail on O Ship of State Sail on O Union strong and great».

Les Etats-Unis d’Amérique, auxquels nous avons emprunté tant d’idées et de conceptions pour nos institutions démocratiques et notre propre constitution, comprennent que la barque d’un petit Etat ne doit pas avoir un cours incertain. Votre lettre nous en donne la preuve.

Permettez qu’à mon tour et par l’intermédiaire de Mr. Laughlin Currie je vous offre une médaille en modeste témoignage de ma haute estime. C’est l’exemplaire m’appartenant de l’écu frappé à l’intention du peuple suisse, il y a quelques mois, en commémoration de la bataille qui s’est livrée à Saint-Jacques-sur-la-Birse en 1444.

Pour chaque Suisse, cette date signifie que l’honneur, la liberté et l’indépendance de la patrie sont plus importants que la vie elle-même.

Veuillez agréer, Monsieur et cher Président, l’assurance de ma très haute considération et de mes meilleurs sentiments.

Bien sincèrement à vous.

1
Lettre (Copie): E 4001 (C) 3/1/18.
2
Cf. No 342. Plusieurs projets de réponse furent rédigés. L’éventualité de la publication de cette correspondance fut discutée avec les délégués américains pour les négociations économiques à Berne et par le Conseil fédéral lors de ses séances du 13 février, du 27 février et du 9 mars 1945. Cf. aussi E 2001 (E) 2/555 et E 2800/1967/59/43.Le document publié ci-dessus est le texte original dont une traduction en anglais fut adressée à Roosevelt.
3
Non retrouvée.