dodis.ch/46404 Le Chargé d’Affaires de la Légation de Suisse à Bruxelles, C. Jenny, au Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique, P. Bonna1

Votre lettre du 21 octobre2, relative à la déclaration de l’Allemagne du 13 octobre 1937 m’est bien parvenue et je vous remercie vivement des observations que vous avez bien voulu faire à ce sujet, ainsi que des rapports de la Légation de Suisse en Allemagne et de la Légation de Suisse aux Pays-Bas, dont la lecture m’a vivement intéressé.

Pour revenir à vos remarques, quelques-uns des points relevés par vous ont été éclaircis entre-temps par les déclarations faites par le Ministre belge des Affaires Etrangères au Sénat lors de sa réponse à l’interpellation Nothomb, dont je vous ai donné connaissance par ma lettre du 22 octobre3.

Reprenons vos questions, et tout d’abord la suivante:

1. Est-il concevable que la Belgique n’ait pas eu à prendre en retour, à l’égard de l’Allemagne, l’engagement de rester neutre en cas d’actions militaires dirigées contre cette dernière?

A ce sujet, nous pouvons constater:

a) Dans le commentaire fait par M. Spaak le jour de la publication de la déclaration allemande il a dit entre autres que «la Belgique, en prenant acte de la déclaration du gouvernement du Reich et en appréciant l’esprit qui l’a dictée, n’a pas perdu de vue ses obligations comme membre de la S.D.N. Rien n’est changé dans ce domaine et je m’en réfère à mes déclarations antérieures. L’Allemagne promet de respecter en tout temps le territoire de la Belgique, sauf, cela va sans dire, au cas où dans un conflit armé où elle serait engagée, notre pays concourrait à une action militaire contre elle, les termes «action militaire» parlant par eux-mêmes, et encore, dans ce domaine, la liberté de la Belgique demeure entière, mais alors, l’engagement pris par l’Allemagne tomberait». (Voir annexe à mon Rapport politique No 18 du 16 octobre4.)b) Les déclarations faites par le Ministre belge des Affaires Etrangères, lors de ses réponses aux interpellations de M. Nothomb au Sénat d’une part et de M. Truffaut à la Chambre des Représentants d’autre part, où il a affirmé de la façon la plus formelle qu’il n’y a eu aucune contrepartie secrète de la part de la Belgique, ni politique, ni diplomatique, ni militaire ni coloniale.

M. Spaak n’a même pas hésité à engager sa parole d’honneur.

c) A titre confidentiel je peux y ajouter de mon côté que le Ministre de Tchécoslovaquie, M. Slavik, qui vient de se rendre à Prague pour informer le Président Benès sur la situation créée par la déclaration allemande, m’a dit au cours d’une conversation de plus d’une heure être convaincu qu’aucun engagement secret avait été pris par la Belgique et qu’il n’y avait pas de protocole secret.

Dans ces conditions il me semble qu’il n’est plus permis de croire à l’existence d’une contrepartie ou d’un engagement quelconque de la part de la Belgique. Au cas où vous estimeriez quand même devoir laisser ouverte une telle éventualité, je vous saurais gré de me le faire savoir, afin que je continue mon enquête dans cette direction.

2. Quelles sont les conditions, dans lesquelles l’engagement pris par l’Allemagne d’«accorder assistance à la Belgique dans le cas où elle serait l’objet d’une attaque ou invasion» serait exécutable?

Je crois que ce point également a été tranché par les déclarations faites par M. Spaak au Sénat, lorsqu’il a souligné la complète concordance de vues du Gouvernement allemand et du Gouvernement belge en se ralliant expressis verbis au passage du communiqué officiel allemand et en ajoutant: « ‘Si celle-ci (la Belgique) en exprime le vœu’, c’est la confirmation d’une thèse toujours affirmée par nous, et non discutée, qui établit que nul n’a le droit de venir à notre secours sans que nous l’ayons appelé. Toute autre interprétation nous exposerait à des dangers qu’il est inutile de souligner.» Il me serait agréable d’apprendre si cette déclaration a pu dissiper les doutes exprimés dans votre lettre du 21 octobre5 à ce sujet.

3. Reste la grave question de savoir si le Gouvernement belge n’envisage pas la possibilité d’une participation à des sanctions militaires éventuelles (droit de passage). Comme vous le savez, selon la thèse officielle, la Belgique, en cas de demande de passage de troupes, reste entièrement libre d’examiner souverainement chaque cas et de considérer si elle se trouve en présence d’une décision unanime de groupes d’Etats (voir notre Rapport politique No 8 du 4 mai 19376 sur la déclaration de M. Spaak à la Chambre des Représentants du 29 avril 1937, mentionnée dans votre lettre). Comme je vous ai écrit dans mon Rapport politique No 18, il semble que la France et l’Angleterre aient exercé leur influence sur la Belgique pour éviter que les obligations de la Belgique découlant de l’article 16 du pacte de la Société des Nations soient définies ou interprétées aux termes de la déclaration allemande et qu’il soit fait abstention de toute allusion directe à l’article 16 du pacte.

Si cette information que je tiens également de M. Slavik, ami intime de l’Ambassadeur de France, est bien exacte, il me paraît exclu que la Belgique ait pu admettre une interprétation quelconque de ses obligations en sa qualité de membre de la Société des Nations au cours des négociations qui ont abouti à la déclaration du Reich. La Belgique reste donc entièrement libre à prendre, le cas échéant, la décision qu’elle jugera la meilleure suivant les circonstances particulières du cas, s’il se présente.

Qu’il me soit permis de rappeler ici que, comme M. Spaak l’a souligné, le Gouvernement belge a attaché du prix à voir évité le terme «neutralité» dans la déclaration allemande. Hitler, ayant assuré dans son discours de janvier au Reichstag que le Gouvernement du Reich était prêt à tout moment à reconnaître et à garantir la Belgique (et la Hollande) comme régions «neutres» et inviolables, il a fallu de longues négociations pour faire comprendre à Berlin qu’il fallait choisir une autre définition et que la notion de «neutralité» ne serait guère à sa place dans la déclaration envisagée. Peut-être nous sera-t-il possible plus tard d’obtenir des précisions sur les négociations qui ont abouti à la déclaration du 13 octobre, notamment en ce qui concerne le droit de passage. Jusque là, nous serons obligés de nous contenter de la réponse donnée par M. Spaak au député Truffaut qui a posé la même question qui nous occupe et de la façon la plus précise. Comme M. Truffaut le constate, les opinions en Belgique quant au droit de passage sont partagées tant au Parlement que parmi les professeurs de droit international. Tandis que par exemple l’écrivain Paul Struye nie que le passage soit une obligation de la Belgique, le sénateur socialiste Rolin soutient la thèse contraire. Le Gouvernement qui a conduit les négociations avec l’Allemagne et qui a exposé son point de vue au Parlement, vient de tomber. Quelle sera l’attitude du Gouvernement de demain? Sera-t-elle la même que celle de son prédécesseur? L’avenir seul le dira car il sera, j’en suis convaincu, libre de prendre souverainement ses décisions, si jamais le cas de l’application de sanctions militaires se présente, conformément au nouveau statut d’entière indépendance de la Belgique de 1937, qui exclut toute espèce de liaison vis-à-vis de l’Allemagne dans ce domaine.

Je vous saurais infiniment gré de ne pas me cacher vos hésitations et préoccupations qui pourraient subsister après l’examen des discussions qui ont eu lieu à la Chambre et au Sénat.

1
Lettre: E 2001 (D) 4/16.
2
Cf. No 141.
3
Non reproduite.
4
Cf. No 140.
5
Cf. No 141.
6
Non reproduit, cf. E 2300 Brüssel, Archiv-Nr. 9.