dodis.ch/46222 Le Ministre de Suisse à Istanbul, H. Martin, au Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique, P. Bonna1

Je viens de recevoir votre lettre du 26 septembre2 qui me fait part d’une visite à Berne du Directeur de la Banque Centrale de la République, M. Salâhattin Cam, accompagné du Ministre de Turquie, et d’une réunion qui a eu lieu avec des représentants du Département Politique, du Département Fédéral de l’Economie Publique, de la Banque Nationale, et de l’Association Suisse des Banquiers3.

En date du 4 août dernier, vous aviez bien voulu me fournir la copie d’une lettre que vous aviez adressée la veille à la Banque Nationale4 pour lui faire part du désir du Gouvernement turc de conclure avec la Suisse un accord analogue à celui conclu avec la France au sujet de la Dette turque.

Comme je vous l’avais câblé, la question m’était connue par une conversation que j’avais eue le 3 août avec le Ministre des Affaires Etrangères, qui était désireux d’enrôler mon appui auprès de vous. Je m’étais très vite rendu compte du caractère ultra délicat de cette requête qui, cela était évident à mes yeux, allait à l’encontre de l’alimentation déjà déficitaire du clearing turco-suisse5. C’est la raison pour laquelle, sans exprimer d’opinion, j’avais, en invoquant le caractère technique de l’affaire, prié M. Aras de me fournir un exposé écrit, ce qu’il n’a du reste jamais fait.

Quant à l’Accord turco-français, je vous en avais moi-même signalé les dispositions principales dans ma dépêche... du 27 mai6...En outre, j’avais repris toute l’affaire à nouveau dans ma dépêche circonstanciée... du 13 août7, à laquelle votre lettre du 26 septembre ne se réfère pas, alors qu’elle contient l’ensemble de mon argumentation négative. Comme je l’ai déjà expliqué ci-dessus, ce serait le clearing qui ferait les frais de cette opération, de sorte que je ne saurais nullement la recommander. Par contre, s’il était possible de mettre sur pied des accords tripartites, nous pourrions peut-être trouver un certain allégement en faveur du clearing turco-suisse. Jusqu’ici, M. Cabir, Chef du Service des Compensations de la Banque centrale, n’était guère d’accord avec le régime compliqué des clearings pluri-latéraux, mais je viens de charger mon collaborateur à Ankara d’aller l’entretenir à nouveau de ce sujet, avant que je ne me rende moi-même dans la capitale.

Il me semble qu’il y a aujourd’hui une considération qui change complètement la face du sujet en ce sens que la dévaluation de la monnaie suisse8, alors que la livre turque n’a pas bougé, doit alléger la charge turque de 30%. Avant que je puisse me prononcer plus avant, bien que mon opinion vous soit déjà connue, il m’est nécessaire de savoir comment vous, le Département de l’Economie Publique, et la Banque Nationale, envisagez la répercussion de notre dévaluation sur le paiement des dettes financières turques en Suisse.

Mais il y a plus. Lorsque notre Accord de Clearing a, la première fois, été négocié à Zurich le 29 décembre 193 39, il a été stipulé que tous les versements au crédit ou par le débit des comptes globaux existant auprès de la Banque Nationale Suisse et auprès de la Banque Centrale de la République de Turquie se feraient sur la base du frs. suisse, et que la conversion des livres turques en francs suisses, ou des francs suisses en livres turques s’effectuerait d’après la cote officielle de la Banque Centrale turque au jour du versement. J’admets qu’un importateur qui paye à la Banque Centrale de la République sa facture libellée en francs suisses au moyen de livres turques au cours du jour, est libéré vis-à-vis de son exportateur en Suisse dès le jour du versement, et que c’est notre Banque Nationale qui devient débitrice dudit exportateur; on arrive à la conclusion que la Banque Centrale va gagner 30% sur toutes les remises qu’elle a encaissées, et dont la contrevaleur n’a pas encore été payée par Zurich. Prenons un exemple: Le représentant de la Fabrique «Zénith» à Istanbul paye à la Banque Centrale la somme de Ltq. 42000.–pour Frs. 100000.– de marchandises suisses. Survient alors la chute du franc suisse. La Banque Centrale va pouvoir se libérer avec un tiers de livres turques de moins, c’est-à-dire avec Ltq. 28000.–, alors qu’elle en a reçu 42000.–

La situation de la banque est d’autant plus favorable vis-à-vis de nous, qu’elle reçoit de grosses sommes pour lesquelles elle ne paye pas d’intérêts, et qui attendent actuellement neuf à douze mois avant que leur contrevaleur soit versée. Je vous serais reconnaissant de faire étudier cette question, qui est très débattue ici, et sur laquelle la lumière n’est pas encore faite. Quelle est votre attitude, celle du Département de l’Economie Publique, et celle de la Banque Nationale, car j’ai besoin d’arguments de discussion.

Quant au contingentement des exportations à destination de la Turquie, que laissait déjà prévoir le treizième rapport du Conseil Fédéral à l’Assemblée Fédérale concernant les mesures de défense économique contre l’étranger10, je le déplorerais de façon toute spéciale, attendu qu’il constituerait la ruine de mes dix ans d’efforts en Turquie en faveur du développement de nos relations commerciales. [...]

1
Lettre: E 2001 (C) 4/174.
2
Non reproduit.
3
Sur cette réunion, cf. la notice de P. Feldscher, du 28 septembre.
4
Non reproduit.
5
Cf. no 165.
6
Non retrouvé.
7
Non reproduit.
8
Cf. no 297 et annexes.
9
Cf. no 10 etn. 2.
10
Du 11 septembre 1936 (FF, 1936, II, pp. 569ss.; le passage concernant la Turquie se trouve à la p. 589).