dodis.ch/45224 Der schweizerische Gesandte in Rom, G. Wagnière, an den Vorsteher des Politischen Departementes, G. Motta1

En me référant à ma lettre du 10 courant2, j’ai l’honneur d’ajouter les détails suivants au sujet de mon entrevue avec Mr. Grandi.

Il s’est tout d’abord vivement loué de la solution donnée à l’incident de Plainpalais, et il s’est exprimé dans les termes les plus amicaux relativement à la correction du Gouvernement Fédéral et sur les relations cordiales et confiantes qui doivent exister entre les deux pays3. Mais on m’a fait entendre cette note si souvent!4

Mr. Grandi a abordé lui-même le premier le sujet de la campagne sur la germanisation du Tessin, comme je vous l’ai déjà dit, en insistant sur le fait qu’il est difficile d’empêcher la presse italienne de prendre part à une discussion qui a commencé en Suisse au sujet de l’«italianità» menacée. Tels sont les services qui nous sont rendus par le Démocrate, Y Adula et le triste Colombi, attaché à la Légation d’Italie par Mr. Garbasso pour le service de presse. Mr. Grandi ne s’est, du reste,

pas étendu sur cet argument et paraissait un peu embarrassé quand je lui ai demandé ce que le Gouvernement, dont l’autorité est absolue sur la presse de tout le Royaume, pensait d’une campagne si gravement offensante pour mon pays. En lui exposant la pénible impression produite en Suisse par le langage des journaux italiens, je lui ai montré que toute notre presse, généralement lente à

s’émouvoir, partait à son tour en guerre, et que ces polémiques étaient des plus fâcheuses.

Mr. Grandi avait déjà annoncé, il y a quelques jours, à des journalistes qu’il allait mettre un terme à cette campagne. Il n’en a rien fait. Espérons que cette fois-ci je puis compter sur les assurances formelles qu’il m’a données. Autrement je devrais recourir plus haut, car ces articles nous font beaucoup de tort et répandent des alarmes dans le public.

Le ton si facilement inamical des journaux italiens à l’égard de la Suisse peut s’expliquer par les raisons suivantes. En premier lieu le personnel des grands journaux a changé depuis un an et se trouve être partout d’un niveau sensiblement inférieur. Les discussions de politique intérieure ayant à peu prés cessé, les journaux se jettent d’autant plus volontiers sur d’autres aliments: ils cherchent tous les moyens de donner de la vie à leurs feuilles forcément monotones et ennuyeuses. En outre, notre démocratie, notre fédéralisme, sont incompris et peu sympathiques à l’élément nationaliste et fasciste. La terreur chez tous les journalistes de ne pas paraître assez ardents sur le terrain national fait qu’aucune voix de bon sens n’ose se prononcer pour rétablir la vérité contre les calomnies qui partent de la Tribuna, de Ylmpero et des feuilles extrêmes.

Une circonstance plus grave qui pourrait expliquer cette campagne est la suivante. De toutes parts on annonce une crise financière qui, malgré l’excellent état des finances officielles, a déjà commencé. Les mesures restrictives prises ces derniers temps révèlent une certaine inquiétude pour ne pas dire plus, dans les sphères dirigeantes. On est heureux de créer des diversions dans la presse, en dirigeant l’attention du public sur d’autres objets. Certaines personnes, appartenant à l’opposition, prétendent même que le Gouvernement chercherait une diversion non seulement dans les journaux, mais en poussant le pays dans quelque aventure. De quel côté? Nul ne le sait. Peut-être ne le sait-il pas lui-même.

Je ne veux pas attacher trop d’importance à ces prophètes de malheur; je crois même qu’ils se trompent. Cependant, nous devons prendre toutes les mesures chez nous pour éviter autant que possible les incidents, les discussions et tout ce qui peut fournir un prétexte quelconque aux pêcheurs en eaux troubles.

P. S. Il ne faut naturellement pas se laisser impressionner outre mesure par ces bruits persistants répandus dans les milieux d’opposition et tendant à faire croire que l’Italie cherche une diversion aux préoccupations actuelles dans quelque aventure étrangère. On ne doit pas oublier qu’elle n’en aurait pas les moyens financiers et qu’elle ne trouverait aucun crédit chez d’autres nations plus fortunées. La diversion est dans les journaux plus que dans les faits.

Ce soir un seul journal, Ylmpero, publie un nouvel article assez violent et révélant une extraordinaire ignorance sur la question du Tessin. Je ne m’en inquiète pas. Mr. Grandi m’avait fait entendre que la campagne ne pourrait pas s’arrêter tout d’un coup. J’ai donc lieu de croire que ce sont les dernières cartouches.

Je regrette l’article de la Gazette de Lausanne constatant qu’il y a, en effet, des abus de germanisation au Tessin. Ce sont des choses que l’on pourra dire plus tard, mais le moment actuel est fort mal choisi. Les journaux italiens et le Gouvernement ne manqueront pas d’en tirer la conclusion que cette campagne insensée et offensante a atteint le but visé et que, pour se faire entendre des Suisses, il faut crier fort.

1
Schreiben: E 2001 (C) 4/101.
2
Nicht abgedruckt.
3
Vgl. Nr. 195.
4
Randbemerkung Mottas: en effet!