dodis.ch/44836 La Division des Affaires étrangères du Département politique, C. Gorgé, au Professeur W. E. Rappard1

Comme vous le savez, à l’ordre du jour de l’actuelle session du Conseil de la Société des Nations figure la «nomination d’une Commission pour l’étude des questions de coopération intellectuelle. Parmi les personnalités qui auraient les plus grandes chances d’occuper un siège dans la Commission se trouverait le célèbre théoricien de la relativité, le Professeur Einstein.

Ce fait n’aurait en lui-même rien de particulier, étant donné qu’une personnalité aussi considérable que celle de ce Galilée moderne ne pourrait que rendre de précieux services dans une commission qui se propose d’étudier et de construire un mécanisme plus ou moins perfectionné de coopération intellectuelle entre les peuples. S’il a retenu tout particulièrement notre attention, c’est que, depuis ces derniers temps, plusieurs opinions ont été émises au sujet de la nationalité du grand physicien. Sept villes ne se disputent-elles pas l’honneur de lui avoir donné naissance. On n’en est pas encore là. Mais, ici, on prétend qu’Einstein est citoyen suisse, là, on le considère comme Allemand; d’autres, plus généreux, lui attribuent l’indigénat suisse et l’indigénat allemand; d’autres enfin, mais ceux- ci sont moins sérieux, soutiennent qu’Einstein est Juif, qu’il est Juif avant tout et qu’en dehors des liens qui le rattachent à la loi mosaïque, il n’y a pas d’allégeance qui tienne.

Que penser de ces assertions contradictoires? Nous avions voulu en avoir le cœur net, car il nous a paru nécessaire de savoir si l’homme qui allait probablement siéger dans la Commission susmentionnée était vraiment de notre nationalité.

De renseignements puisés à bonne source, il résulte qu’Einstein est Suisse et rien que Suisse. Il a été Allemand, certes, mais il a renoncé à sa nationalité wurtembergeoise pour acquérir, le 7 février 1901, l’indigénat de la ville et du canton de Zurich. Suisse de fraîche date, oui, mais Suisse authentique. Ce fait nous a été confirmé par notre Légation à Berlin2, à laquelle Einstein a déclaré, peu avant les Conférences qu’il a faites à la Sorbonne à Paris, qu’il n’était que Suisse et qu’il entendait le rester.

La légende d’Einstein fils du Reich s’est accréditée un peu partout, non seulement en Allemagne et en France, mais encore en Suisse et, en particulier – si j’en crois certaines informations – dans les bureaux et couloirs du Secrétariat Général.

Vous estimerez sans aucun doute que nous n’avons aucun intérêt à laisser courir le monde à cette hérésie et qu’il conviendrait, au contraire, quand l’occasion s’en présente, de l’extirper des milieux où elle s’est implantée.

1
Lettre: E 2001 (B) 8/30.
2
Par télégramme no 27 daté de Berlin, 31. 3. 1922: Professor Einstein ist nach seinen eigenen Erklärungen nur Schweizerbürger. Interrogé au sujet de la nationalité du physicien, la Direction de l’Intérieur du Canton de Zurich répond le 27 octobre 1921 au Département politique: dass Prof. Dr. Albert Einstein, früher heimatberechtigt gewesen in Stuttgart, durch Beschluss des Regierungsrates des Kantons Zürich vom 7. Februar 1901 in das Bürgerrecht der Stadt und des Kantons Zürich und damit in das Schweizerbürgerrecht aufgenommen worden ist. Der Genannte war schon vor der Erteilung des Landrechtes aus dem würtembergischen Staatsverband ausgetreten und entlassen worden. Ob Prof. Einstein seither die Staatsangehörigkeit eines deutschen Bundesstaates oder die deutsche Reichsangehörigkeit wieder erworben hat, ist uns nicht bekannt. Tatsache aber ist, dass er bisher ein Gesuch um Entlassung aus dem Schweizerbürgerrecht nicht gestellt hat und dass er somit noch Bürger der Stadt Zürich und damit Schweizerbürger ist. Dans une lettre du 26 juin 1922, par laquelle le Département politique transmet au Département fédéral de l’Intérieur la liste des membres de la commission de coopération intellectuelle, on lit le commentaire suivant: Si la Commission comprend effectivement deux membres de nationalité suisse, MM. Einstein et de Reynold, il est trop évident que, dans l’esprit du Conseil, elle n’en contient qu’un, le fameux théoricien de la relativité, quoique Zurichois, étant plus connu, à Genève, nous rapporte-t-on, par ses attaches avec Berlin ou Jérusalem qu’avec la grande cité de la Limmat. Le fait en lui-même n’est toutefois pas de grande importance, les membres de la Commission n’étant pas des délégués de leur Gouvernement, mais agissant du moins en principe, sous leur propre responsabilité et selon leurs inspirations personnelles (E 2001 (B) 8/30).