dodis.ch/44758 Le Chargé d’Affaires de Suisse à Paris, M. de Stoutz, au Chef du Département politique, G. Motta1

Par un office B. 55.52.24. du 20 de ce mois2 vous avez bien voulu m’inviter à m’enquérir officieusement de la façon dont le Conseil Suprême envisage l’action de secours en faveur de la Russie dont il s’est occupé les 10 et 13 de ce mois tandis que la Conférence, réunie à Genève les 15 et 16 courant sur l’initiative de la Commission mixte du Comité International de la Croix-Rouge et de la Ligue des Croix-Rouges, s’occupait d’un projet analogue.

En même temps que votre office m’est parvenue une lettre de M. Gustave Ador3 me demandant de lui procurer, pour aujourd’hui, une audience de M. Briand. Le but de cette rencontre était précisément d’entretenir M. Briand du secours à accorder aux populations victimes de la famine russe et d’examiner avec lui comment l’action gouvernementale prévue par le Conseil Suprême pourrait être coordonnée avec celle organisée par la Conférence de Genève.

Comme les renseignements que vous demandiez ne pouvaient être recueillis à une meilleure source que celle dont allait disposer M. Ador, il m’a paru que je ne pouvais mieux faire que d’attendre de connaître le résultat de sa conversation avec M. Briand. Cette conversation vient d’avoir lieu et M. Ador a bien voulu passer à la Légation pour me mettre au courant. Il se propose d’aller vous voir mardi et vous entretiendra lui-même de la question. Je puis donc me borner ici à un bref résumé de la conversation de ce jour.

M. Ador a pu constater que l’initiative du Conseil Suprême n’avait guère encore commencé à déployer ses effets. M. Briand lui a dit avoir fait sa proposition parce qu’en présence de la calamité sans précédent qui atteint le peuple russe il ne lui paraissait guère possible d’oublier l’aide puissante apportée par la Russie à la cause alliée pendant la première phase de la guerre. Il ne s’est toutefois pas dissimulé un instant les énormes difficultés qu’offraient l’organisation et l’exécution d’une entreprise pareille.

Comme vous l’aurez remarqué, la France a déjà désigné ses délégués à la Commission d’organisation constituée par le Conseil Suprême; ce sont M. Noulens, ancien Ambassadeur de France en Russie, le Général Pau et M. Giraud, un ancien commerçant français qui fut établi à Moscou et y présida, sauf erreur, une chambre de commerce française. Cette Commission a bien – pour répondre à l’une de vos questions – le caractère d’une Commission vraiment internationale et non seulement ententiste. Son rôle doit être surtout de procurer les crédits nécessaires ainsi que les secours en nature, céréales et surtout semences automnales, pour l’octroi desquels les concours gouvernementaux seront nécessaires car, dans l’idée de M. Briand, l’intervention gouvernementale dépassera le simple appui moral; le Président du Conseil français a même exprimé à M. Ador son espoir de pouvoir promettre quelques crédits sans en référer préalablement au Parlement. (Voilà qui répond à votre deuxième question).

M. Briand est tout à fait d’accord qu’aussitôt que la Commission d’organisation, créée par le Conseil Suprême, aura rempli son rôle, soit procuré les éléments matériels d’un secours immédiat, elle passe la main à la Commission mixte de Genève et à son agent d’exécution M. Nansen. Il abonde dans le sens de M. Ador qu’il ne saurait être pris assez de précautions pour que l’action de secours ne soit pas sabotée par la gérance néfaste des Soviets. M. Ador me dit à ce propos que M. Hoover, qui n’a finalement pas accepté les fonctions de Haut commissaire que lui offrait la Conférence de Genève, a conclu avec les Soviets des arrangements pour le moins imprudents qui réservent aux Soviets un droit d’ingérence et de contrôle incroyablement étendu sur la composition des Commissions d’exécution américaines. MM. Briand et Ador sont tombés d’accord que les envois destinés aux affamés devraient être, de Riga, constamment accompagnés par des agents de M. Nansen jusqu’au lieu même de la distribution.

La Commission mixte sera convoquée à Paris très prochainement pour s’entendre avec la Commission d’organisation sur la base esquissée dans la conversation que je viens de relater. Il est ainsi répondu à votre troisième question.

P.S. La question a aussi été envisagée aujourd’hui de l’emploi pour l’action de secours à la Russie des reliquats des crédits de relèvement économique ouverts aux Pays de l’Europe Centrale; le total de ces reliquats s’élève, ainsi que vous aurez pu le constater par un de mes derniers rapports au Dép. de l’Economie publique, a environ 6 millions de Livres sterling.4

1
Lettre: E 2001 (B) 2/44.
2
Non reproduit.
3
Lettre du 20 août 1921, non reproduite, cf. E 2200 Paris 1/1659.
4
Dans sa séance du 28 octobre, le Conseil fédéral accorda 100 000 francs au Comité de la Croix-Rouge Suisse pour l’action de secours à la Russie, cf. E 1004 1/281, no 3129.