dodis.ch/44355
CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 10 novembre 19191

3862. Question des zones franches

Dans un entretien qu’il a eu récemment avec le Chef du Département politique, le Chargé d’Affaires de France à Berne l’a informé du dépôt d’un projet de loi en date du 17 octobre par lequel le Gouvernement français demande aux Chambres de l’autoriser à installer un cordon de douane à la frontière politique entre la Suisse et les zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex.

Une semblable décision ne serait conforme ni aux Traités de 1815 et 1816, ni aux engagements pris par M. Pichon dans une note du 29 avril dernier à M. Ador.2

Dans ce document, le Ministre des Affaires étrangères avait en effet affirmé de la façon la plus positive que le Gouvernement de la République entendait bien ne se prévaloir du régime nouveau à instituer d’un commun accord entre les deux Gouvernements que quand les négociations relatives à la Convention destinée à remplacer le régime ancien auraient abouti à un arrangement entre eux.

Bien que, de renseignements recueillis depuis lors, il résulte que le dépôt du projet de loi susmentionné est devenu caduc, il y a lieu, semble-t-il, de tenir compte des inquiétudes qui se sont manifestées récemment au sein de la Commission du Conseil national réunie à Montreux pour se prononcer sur le Message du Conseil fédéral3 relativement à la ratification par les Chambres de l’accord qui consacre la renonciation de la Suisse à son droit d’occupation de la Savoie du Nord.

Les membres de la Commission ont insisté sur l’importance qu’il y a pour la Suisse à ne pas se dessaisir d’une servitude qui grève la France, sans avoir auparavant acquis la certitude que ce pays ne profitera pas de la liberté qu’il aura reconquise dans la Savoie du Nord pour mettre fin, par voie autonome, au régime contractuel des zones franches et avant qu’aient abouti à un accord entre les deux Gouvernements les négociations qui vont s’ouvrir prochainement à ce sujet.

Tout récemment, le Département politique vient d’être saisi d’une réclamation de commerçants genevois qui se plaignent que des marchandises exportées dans les zones ont été frappées de droits de douane, ce qui n’est pas conforme aux droits de la Suisse.

Pour les raisons susmentionnées, le Département politique estime devoir demander au Gouvernement français de ne rien innover, jusqu’au moment où l’accord envisagé aura été conclu entre les deux Gouvernements.

Le Conseil fédéral ne peut en effet laisser subsister sur ce point une équivoque qui l’exposerait à des critiques justifiées de la part du peuple suisse, voire même à des difficultés de la part des membres de l’Assemblée fédérale, auxquels il se dispose à demander sous peu de ratifier l’accord conclu entre lui et le Gouvernement français relativement à la Savoie du Nord.

Fondé sur ces considérations, le Conseil fédéral décide d’adresser au Gouvernement français la note suivante:4

«Le Gouvernement fédéral a reçu récemment de l’Ambassade de France à Berne une communication verbale suivant laquelle le Gouvernement de la République aurait déposé le 17 octobre un projet de loi devant l’autoriser à établir un cordon douanier à la frontière politique entre la Suisse et les zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex. Il a appris en outre que des agents de l’administration française ont commencé à percevoir des droits de douane à la frontière entre la Suisse et les zones.

Le Conseil fédéral se permet de rappeler au Gouvernement français que par sa note du 29 avril M. le Ministre des Affaires étrangères avait pris envers M. le Président de la Confédération en déplacement à Paris l’engagement de ne se prévaloir d’un régime nouveau demandé par le Gouvernement français et à instituer d’un commun accord entre les deux Gouvernements qu’après que les négociations y relatives auraient abouti à un accord.

Les Hautes Puissances signataires du Traité de Versailles ont en outre confirmé expressément cet engagement quand, par l’article 435, alinéa 2, de ce Traité, elles ont stipulé que le régime des territoires susmentionnés devrait être réglé d’entente entre les deux Gouvernements.

Le Conseil fédéral estime de son devoir et de son droit de demander au Gouvernement français de ne rien innover dans l’état de fait et de ne rien instituer qui puisse préjuger en quoi que ce soit le résultat des négociations envisagées tant qu’elles n’auront pas abouti à un accord.

L’Assemblée fédérale se réunit en ce moment pour discuter la ratification des diverses dispositions envisagées dans l’art. 435 du Traité de Paix,5 au nombre desquelles figure la renonciation de la Suisse au droit d’occupation militaire de la Savoie du Nord. Il est certain que l’Assemblée fédérale voudra avoir des explications sur les faits susindiqués; le Conseil fédéral tient à pouvoir lui fournir des explications rassurantes.»6

1
E 1004 1/272. Etait absent: F. Calonder. Le 9 novembre est décédé le Conseiller fédéral Eduard Müller. Son siège resta vacant jusqu’au début de 1920.
2
Cf. DDS 7/1, no 375, annexe 2.
3
Pour ce Message, cf. FF, 1919, vol. V, pp. 165–228.
4
Cette note a été remise à l’Ambassade de France à Berne, le 11 novembre.
5
Cf. no 154.
6
Le Gouvernement français répondit par note du 17 novembre: [...] Le simple dépôt d’un projet de loi destiné à organiser le futur régime des zones n’est pas en contradiction avec l’engagement pris par le Gouvernement français de respecter le statu quo vis-à- vis de la Suisse, jusqu’à la conclusion de l’accord prévu par l’article 435. Il y a toutes raisons de croire que les négociations qui vont commencer aboutiront avant que ce projet soit voté, et peut-être même discuté, par les Chambres françaises. Si toutefois ces négociations, tout en donnant plein espoir d’arriver à un accord paraissaient devoir nécessiter un délai assez long et si le projet de loi était voté, pendant qu’elles seront encore en cours, le Gouvernement français prendrait les dispositions utiles pour assurer le maintien du statu quo, en ce qui concerne les produits d’origine suisse, jusqu’à l’aboutissement normal des négociations, conformément aux déclarations qu’il a faites au Gouvernement fédéral. [...] ( E 2/1667). Pour l’ensemble de la question des zones, cf. les imprimés officiels, remis à la Cour permanente de Justice internationale: Premier Mémoire du Gouvernement Suisse, Août 1928; Annexes au Premier Mémoire du Gouvernement suisse, Août 1928; Mémoire présenté au nom du Gouvernement de la République française, Paris (Imprimerie nationale) 1928; Contre-Mémoire du Gouvernement suisse, Janvier 1929; Annexes au Contre-Mémoire du Gouvernement suisse, Janvier 1929; Contre-Mémoire présenté au nom du Gouvernement de la République française, Paris (Imprimerie nationale) 1928.