dodis.ch/42680 Le Conseiller d’Etat et Chef du Département de Justice et Police du Canton de Genève, A. Didier, au Chef du Département de Justice et Police, E. Brenner1

Comme suite à nos deux télégrammes de cet après-midi2 nous vous informons que S.M. l’Impératrice d’Autriche voyageant sous le nom de Comtesse de Hohenems était arrivée hier à Genève avec une Dame d’honneur et un valet de chambre et était descendue à l’Hôtel Beau-Rivage.

Aujourd’hui samedi elle se rendit à pied avec la Dame d’honneur à l’embarcadère des bateaux du quai du Mont-Blanc pour prendre le «Genève» qui part à lh40; devant le Monument Brunswick un individu s’approcha de S.M. en courant et lui porta dans la région du cœur un coup violent; l’Impératrice tomba et fut relevée par sa Dame d’honneur, elle se rendit au bateau très émotionnée mais ne sentant pas de blessure.

Elle s’évanouit sur le bateau et fut transportée sur le pont supérieur; après avoir repris ses sens elle s’évanouit de nouveau, et le bateau qui venait de partir du port fut ramené à quai, S.M. fut transportée sans connaissance à l’hôtel où elle expira presque aussitôt.

On reconnut alors qu’elle avait une petite plaie au-dessus du cœur.

Le public s’était empressé autour du meurtrier qui s’était enfui; il fut bientôt arrêté, c’est un Italien disant se nommer Lucheni Luigi, se déclarant anarchiste.

Il dit être arrivé à Genève le lundi 5 et venant de Lausanne, dans l’intention de tuer le Prince d’Orléans dont les journaux lui avaient appris le passage dans notre ville; celui-ci étant parti pour le Valais, Lucheni se rendit à Evian pour guetter son retour; ennuyé d’attendre, il se décida à revenir espérant rencontrer un personnage de marque «souverain ou Président de République»; il apprit alors la présence de l’Impératrice d’Autriche; comme il avait vu S.M. à Budapest, il la connaissait de vue, s’arrangea à se trouver sur son passage et armé, ditil, d’une petite lime triangulaire il lui porta le coup, que l’on a cru d’abord n’être qu’un coup de poing.

Nous ne savons pas encore si Lucheni avait des complices et nous procédons à une enquête à ce sujet.3

1
Lettre: E 21/13907.
2
Le 9 septembre 1898 à 3.30 heures du soir la police de Genève avait envoyé le télégramme suivant: Cet après-midi au moment où l’Impératrice d’Autriche allait s’embarquer, un nommé Luchini l’a bousculée et renversée par terre, il a été arrêté. S.M. naturellement émue n’a pu partir et est rentrée à l’hôtel; mais n’est pas blessée – lettre suit. Ce télégramme fut corrigé par le suivant de 16h20, disant: Impératrice blessée avec un tire-point a expiré en rentrant à l’hôtel (E 21/13907).
3
Le Département de Justice et Police communiqua le rapport détaillé du Procureur général de Genève sur les circonstances de l’assassinat de l’Impératrice à la Légation d’Autriche-Hongrie à Berne le 22 octobre 1898, non reproduit.