dodis.ch/42528 Le Chef du Département de Justice et Police, L. Ruchonnet, au professeur E. Roguin, Lausanne1

Le Conseil fédéral a chargé le département soussigné de donner à Messieurs les délégués à la Conférence de droit international privé qui va se réunir à La Haye, les instructions qui suivent:

Le Conseil fédéral est entièrement sympathique à l’œuvre dont le gouvernement néerlandais a pris l’initiative. Ses délégués, dans la discussion des questions à l’ordre du jour, s’inspireront des idées ci-dessous:

1° La Constitution fédérale de 1874 a, à son art. 46 posé, pour le règlement des conflits de droit intercantonal privé, le principe de la territorialité sous réserve de quelques exceptions. La loi fédérale du 25 juin 1891, sur les rapports de droit civil des citoyens établis ou en séjour, a développé ce principe, mais certaines de ses dispositions dépassent peut-être les limites dans lesquelles le législateur constitutionnel entendait circonscrire la règle qu’il avait admise.

2° Il ne faudrait toutefois pas conclure de cet état de notre droit intercantonal que la Constitution fédérale ne puisse admettre même en droit international privé que le principe territorial exclusivement. Ce serait oublier que le droit international se présente sous une autre face que le droit intercantonal d’un Etat fédératif comme la Suisse. L’admission du principe national dans les relations internationales peut être commandée par des motifs, qui, dans le domaine des relations intercantonales, perdent de leur importance.

Le principe territorial répond cependant mieux que le principe oppdsé à la nature de la nationalité suisse et à la conception qu’a la Suisse de l’Etat et de la souveraineté de l’Etat.

3° Cela posé, les délégués remarqueront qu’un Code civil unique pour toute la Suisse est en préparation, ce qui fait perdre beaucoup de son importance à la question des conflits des lois dans le domaine intercantonal. D’ailleurs les droits cantonaux sur la matière que la loi fédérale du 25 juin 18912 a laissés debout présentent entre eux trop de divergences, la jurisprudence qui s’y rapporte est trop incertaine et multiple pour qu’on en puisse faire les statuts d’un droit intercantonal privé régissant toute la Suisse.

Dans ces circonstances, le Conseil fédéral laisse à ses délégués le soin d’exposer selon leur prudence à la conférence la situation juridique dans laquelle se trouve la Suisse à ce point de vue. Les délégués par leurs votes n’engageront en aucune façon le gouvernement suisse; d’autre part ils seront entièrement libres, dans la discussion des diverses questions qui sont à l’ordre du jour de la conférence, d’émettre leur opinion individuelle.3

1
E 22/1929.
2
Loi fédérale sur les rapports de droit civil des citoyens établis ou en séjour du 25 juin 1891 (RO 1891, vol. 12, p. 337).
3
A cette lettre a été ajoutée la notice suivante: Comme il n’a pas paru qu’il fût nécessaire de donner pour le moment à MM. les délégués d’autres instructions que celles qu’ils trouveront ci-jointes, le département n’a pas jugé nécessaire d’appeler MM. les délégués à Berne. – Il leur laisse le soin de s’entendre entr’eux pour les détails de leur voyage et de leur séjour à La Haye. Dépt. féd. de justice et police.