dodis.ch/42445 Le Ministre de Suisse à Paris, Ch. Lardy, au Chef du Département des Affaires étrangères, N. Droz1

Le Ministre des Affaires étrangères vient de me demander si la Suisse se désintéressait absolument des affaires du Congo et de la Conférence de Bruxelles. L’esclavage, selon M. Ribot, n’est plus qu’une étiquette, et la question qui va se traiter le 4 novembre à Bruxelles est une question de douanes, à laquelle la Suisse, pays d’exportation, est tout aussi intéressée que n’importe quel Etat maritime. Tout le monde est d’accord pour permettre à l’Etat Libre du Congo d’établir de légers droits d’entrée destinés à lui permettre de vivre. Les Pays-Bas seuls avaient exigé le maintien du libre-échange absolu consigné dans l’acte de Berlin et proposent aujourd’hui de tourner la difficulté en demandant à chaque Etat une subvention annuelle de 25.000 frs. M. Ribot n’est pas disposé à entrer dans les vues néerlandaises, parce que cela risquerait d’amener à la tribune française des insinuations parfaitement désagréables contre le roi Léopold II qui est en ce moment à Berlin et sur les sympathies allemandes duquel circulent, à tort ou à raison, une foule de racontars.

En quittant M. Ribot, j’ai rencontré sur le Quai d’Orsay M. Cogordan, plénipotentiaire français à la conférence antiesclavagiste; j’ai appris de lui que, le 4 novembre, c’est une commission, et non la Conférence elle-même qui se réunit à Bruxelles; il serait donc, selon lui, assez difficile de s’introduire dans la commission sans avoir pris part à l’acte principal. M. Cogordan ajoute d’ailleurs que, dans sa conviction, chacun verrait avec plaisir la Suisse s’intéresser aux affaires du Congo, œuvre créée par un pays neutre et dont l’indépendance ne pourrait être que renforcée par une coopération de la Suisse. M. Cogordan a laissé ensuite percer le bout de l’oreille en ajoutant que le Ministère français des colonies voyait avec plaisir l’introduction de droits de douane sur les marchandises importées dans l’Etat Indépendant du Congo, parce que le Congo français est, partiellement tout au moins, compris dans le bassin libre-échangiste créé par le Congrès de Berlin, et qu’ainsi la France pourra, à son tour, prélever les droits consentis au profit de l’Etat Indépendant.

Vous apprécierez, Monsieur le Conseiller fédéral, s’il convient de donner suite à l’idée de M. Le Ministre des Affaires étrangères de France; en soi, la Suisse n’a pas d’intérêt à la création de droits de douane au Congo, mais, si ces droits doivent être établis, nous pouvons avoir un intérêt à discuter soit leur quotité, soit la nature des marchandises sur lesquelles ils devront être prélevés, et en général à prendre pied sur le Continent noir.

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Lettre: E 14/70.