dodis.ch/42232 Der schweizerische Gesandte in Paris, Ch. Lardy, an den Bundespräsidenten und Vorsteher des Politischen Departements, L. Ruchonnet1

Confidentielle

Le Journal officiel de ce matin annonçait définitivement la retraite de M. Challemel-Lacour et l’appel de M. Jules Ferry à la direction du Ministère des Affaires Etrangères. – En même temps je recevais de ce dernier une lettre2 me notifiant qu’il avait pris possession de son nouveau Département. Je ne pouvais donc me dispenser d’aller le voir, et cela d’autant moins que je tenais à lui exprimer mes sentiments à l’égard de l’odieuse tentative d’assassinat dont il venait d’être l’objet de la part d’un anarchiste nommé Curien.

Dans le salon d’attente il n’y avait que l’Ambassadeur d’Angleterre; j’ai donc été introduit immédiatement après lui, et, profitant de ce que j’étais à cette heure-là seul à la réception hebdomadaire du Ministre-Président, j’ai cru devoir ne pas tarder davantage à remettre la copie de la note du Conseil fédéral du 17 Novembre sur les fortifications projetées au Mont Vuache.3

Après avoir entretenu M. le Président du Conseil de l’attentat Curien, et avoir exprimé à M. Ferry les félicitations du Conseil Fédéral d’y avoir si heureusement échappé, et après avoir échangé quelques paroles sur l’état de santé de M. Challemel-Lacour, j’ai dit à M. Ferry que, depuis deux mois, la presse française et suisse, et même la presse étrangère, s’étaient occupées de la pensée, attribuée à M. le Général Thibaudin, de fortifier le Vuache. Le Conseil fédéral a été d’avis d’attendre que cette polémique de presse fût apaisée pour faire de cette question l’objet de pourparlers entre les deux Gouvernements. Depuis quelques temps, les journaux des deux Pays sont devenus plus réservés; le moment semble donc venu d’entrer en matière; je n’ai pas besoin de dire que je suis chargé de le faire non seulement dans l’esprit le plus amical, mais avec le sentiment profond de l’importance de la cordialité des relations entre les deux Pays, et avec le but d’écarter toute source de récriminations entre les populations des deux côtés de la frontière.

Après avoir donné lecture de la dépêche du Conseil fédéral du 17 de ce mois, et en avoir laissé une copie sur le bureau de M. Ferry, j’ai dit n’avoir pas besoin d’ajouter que le Gouvernement fédéral agissait de son propre mouvement, sans avoir consulté les puissances signataires du Traité de 1815, sans avoir reçu d’elles de communications à ce sujet, et avec l’unique pensée de chercher à traiter la question directement avec la France, amicalement, entre voisins, amis et républicains.4

M. Ferry a fait alors observer que le plus sûr moyen d’éviter l’immixtion de tiers aurait été de ne pas soulever du tout la question, et de la laisser dormir. – «Il me semble», a-t-il continué, «que l’idée de neutralité n’exclut nullement le droit de se fortifier; jamais nous ne contesterons à la Suisse la faculté d’ériger des fortifications sur son territoire; sans donc contester la neutralité de la Savoie, il peut nous convenir de renforcer cette neutralité par des ouvrages, et la Suisse ne pourrait que s’en féliciter le jour où elle aurait la mission de défendre la neutralité de la Savoie

Comme M. Ferry remarquait probablement quelque chose d’ironique ou d’incrédule dans mon regard, il a repris avec une certaine vivacité: «Qu’a-t-on d’ailleurs fait sur le Vuache? de simples tranchées dans les taillis je crois?» J’ai répondu que,

d’après les journaux, les travaux de fortification proprement dits n’étaient en effet pas commencés.

«Vous voyez bien», a repris M. Ferry, «qu’il n’y a pas de question. Nous n’avons rien fortifié; nous avons assez de fortifications; nous en avons trop; nous n’en ferons plus. D’ailleurs, Vous savez parfaitement que la France n’a pas la moindre pensée aggressive contre la Suisse; j’espère que personne n’en doute en Suisse. Si donc nous devions fortifier le Vuache, ce ne pourrait être qu’en vue d’augmenter notre ligne de défense nationale pour le cas où des aggresseurs victorieux auraient réussi à forcer la neutralité suisse; il suit de là que ces fortifications seraient de nature à prévenir la tentation de traverser la Suisse, par la certitude inspirée aux tiers de rencontrer, à leur entrée en France, d’importants travaux de défense.»

J’ai répondu que le Conseil fédéral serait heureux d’apprendre que la France

n’avait pas l’intention de fortifier le Vuache et qu’une déclaration donnée dans ce sens pourrait être une des solutions de la question spéciale; que j’étais heureux d’apprendre que, si on avait eu l’intention de fortifier le Vuache à titre de défense de la frontière française, cela aurait exclu toute pensée de fortifier un autre point de la zone neutre; mais qu’on ne devait pas se dissimuler que la Suisse, en acceptant tacitement l’érection d’un fort sur un point quelconque de la partie neutralisée de la Savoie,

aurait laissé créer un précédent qui aurait pu devenir sérieux pour sa propre sécurité,

ou provoquer l’immixtion de tiers, ce que la France comme la Suisse doit désirer éviter.

«Je regrette vivement», a répété M. Ferry, «que Vous ayez crû devoir soulever cette question de la neutralité de la Savoie, car enfin, s’il y a des négociations de Vous à nous, sera-t-il possible d’éviter précisément cette intervention de tiers et ne seronsnous pas obligés de leur soumettre le résultat de l’entente directe à laquelle nous pourrions arriver?»

J’ai répondu que si un arrangement satisfaisant et honorable pour les deux parties pouvait être conclu entre nous, c’est-à-dire entre les deux Pays les plus directement intéressés, il y avait des chances sérieuses pour que nos efforts communs parvinssent à

obtenir la consécration par les Puissances de l’entente franco-suisse. J’ai fait ensuite remarquer à M. Ferry que le Conseil fédéral, dans sa note, n’avait pas parlé de la question de la Savoie neutralisée en général, mais seulement du projet prêté à la France

d’élever des fortifications sur le Vuache. Les autorités fédérales ne se dissimulent pas que les traités de 1815 contiennent des dispositions plus ou moins surannées; qu’il pourrait être de l’intérêt bien entendu de la Suisse et de la France, de la France surtout, de les réviser amicalement en temps de paix plutôt que d’attendre le moment où les «hostilités seront ouvertes ou imminentes», parce que, dans ce moment-là, ou bien les esprits sont trop surexcités ce qui peut facilement faire naître des conflits, ou bien les Gouvernements ont des intérêts plus graves à sauvegarder. – Il y a donc là, puisque Vous y avez fait allusion, un point de vue sur lequel il pourrait être utile, en effet, que Vous vouliez bien réfléchir; mais, pour le moment, la Note du Conseil fédéral n’aborde pas ce côté de la question, bien que je n’aie pas été chargé, comme Vous le voyez, de repousser l’examen d’une proposition plus étendue qui serait faite à la Suisse. – Il n’y a pas urgence, ai-je dit en terminant, et je n’ai pas la prétention de réclamer de Vous, séance tenante, une réponse aux ouvertures du Conseil fédéral. – Nous aurons l’occasion de nous revoir plus fréquemment que cela n’a été le cas jusqu’ici, la Légation de Suisse ayant constamment, en sa qualité de représentant d’un pays limitrophe, de petites questions à traiter avec le Département dont Vous venez de prendre la direction.

M. Ferry a répliqué qu’en effet il valait mieux réfléchir, et qu’en attendant, il priait instamment le Conseil fédéral d’éviter toute discussion si possible dans la presse et surtout dans les Chambres, sur la question de Savoie. Il désirerait, si des interpellations devaient se produire, que le gouvernement fédéral refusât d’y répondre; de son côté, il agira de la même manière; le Conseil fédéral a dû comprendre que le silence de la presse française et des députés savoyards étaient le résultat d’une action du gouvernement français.

En me reconduisant, M. Ferry m’a serré la main de son bureau jusqu’à la porte, tout en me disant, en manière de conclusion, sur le seuil du salon: «C’est égal; on aurait mieux fait de ne pas soulever la question.»

En résumé, Monsieur le Président, je crois avoir réussi à convaincre M. Ferry que nous agissons avec des intentions amicales, que nous ne sommes le porte-voix de personne, que notre sincère désir est de développer les bons rapports entre les deux pays, en écartant du chemin, dans la mesure du possible, une source de conflits futurs. – Il ne m’est pas possible de me rendre compte de la nature de la réponse qui nous sera faite, puisque, dans une seule phrase débitée avec une certaine volubilité, M. Ferry a indiqué trois réponses s’excluant plus ou moins les unes les autres sur la question des fortifications, et qu’il s’est réservé également de réfléchir aussi sur l’opportunité d’aborder vis-à-vis de nous le règlement de l’ensemble de la question de Savoie.

Je pense qu’il y a donc lieu d’attendre de nouvelles ouvertures de la part de M. le Président du Conseil, et de ne pas insister, quant à présent, dans les entrevues que je serai appelé à avoir avec M. Jules Ferry à propos d’affaires courantes. D’autre part, je Vous serai extrêmement reconnaissant d’éviter absolument toute publicité quelconque; dans la situation parlementaire actuelle du Cabinet Ferry, toute crainte de complication européenne avant le vote des crédits pour le Tonkin pourrait être funeste au Ministère, et celui-ci ne nous pardonnerait pas d’avoir contribué à son échec. Il y a donc là des motifs graves d’observer une discrétion absolue.

1
Bericht: E 2/1642.
2
E 2200 Paris 1/165.
3
Vgl. Nr. 252.
4
Zur Haltung Italiens vgl. das Schreiben von Lardy an Ruchonnet vom 5.10.1883 über sein Gespräch mit dem italienischen Geschäftsträger Ressmann in Paris (E 2300Paris 36) und die Ausführungen Baviers in seinem Schreiben an Ruchonnet vom 23.10.1883: [...] J’ai abordé la question et Monsieur Depretis m’a dit que en ce qui concerne cet incident, le Gouvernement ne s’en était pas encore occupé. Mais que, d’après son opinion, la Suisse était parfaitement dans son droit, car les traités étaient trop clairs (i patti sono chiari abbastanza) pour ne pas permettre à la France d’établir des fortifications, telles qu’on prétend qu’elle ait l’intention de le faire. [...] (E 2/1642).