dodis.ch/42023 Der schweizerische Legationsrat in Paris, Ch. Lardy, an den Bundespräsidenten und Vorsteher des Politischen Departements, K. Schenk1

Confidentiel

Ainsi que j’ai eu l’honneur de Vous l’écrire le 18 de ce mois2 j’ai tenu à avoir, sur la question de la ligne d’Italie, un entretien avec M. le Ministre des Affaires Etrangères.

Dans la salle d’attente du Ministère est arrivé M. de Chaudordy, avec lequel j’ai eu sur cette affaire une longue conversation dont je commence par Vous rendre compte.

J’ai trouvé M. de Chaudordy très excité, et n’ayant pas encore connaissance de la note3 que Vous lui avez adressée en date du 17 de ce mois. «Vous avez fait tout à fait fausse route», a-t-il déclaré, «et je n’hésite pas à Vous dire que Vous avez définitivement perdu le Simplon. Comment? Voilà une ligne dans laquelle trente millions, appartenant à des Français, ont été engloutis; Vous la vendez pour le prix de ÎO’OOO fr, et Vous croyez que Vous obtiendrez une subvention de la France dans des conditions pareilles. J’ai la conviction que jamais une Chambre française ne votera un centimepour le Simplon, tant que les porteurs de titres de la Compagnie La Valette n’auront pas été, sinon intégralement, du moins en bonne partie indemnisés. Vous avez cru être habiles en Suisse et Vous avez définitivement perdu le Simplon – Cela m’est assez égal à moi, qui ne crois pas à l’intérêt de cette ligne pour la France, mais il n’y a pas d’illusions à Vous faire à cet égard. Je l’ai du reste déjà dit à M. le Président de la Confédération.»

J’ai répondu que tous n’étaient pas de l’avis de M. de Chaudordy, et qu’en particulier M. Cézanne m’avait déclaré, l’avant-veille, que la Suisse avait fait faire un grand pas à l’œuvre du Simplon, en débarrassant définitivement le terrain de la personne de M. de La Valette. La situation se trouve donc être aujourd’hui pour le Simplon meilleure qu’elle n’a jamais été: La Valette écarté, une compagnie sérieuse obligée de dépenser en pure perte 6 à 7 millions et intéressée par là à faire aboutir le percement des Alpes. Que pouvions-nous faire de plus? Avions-nous un moyen quelconque de contraindre des acquéreurs à se présenter? Nous avons tout fait pour donner aux enchères une grande publicité, ce n’est pas notre faute si le consortium vaudois a seul rempli les formalités prescrites. Quant à m’apitoyer sur le sort des porteurs de titres de la compagnie La Valette, je le ferais volontiers si je n’avais pas la conviction qu’on a fait à Berne tout son possible pour vendre la ligne aussi cher qu’elle le comporte. Ce n’est pas le Conseil Fédéral qui est responsable, si M. de La Valette a reçu 30 millions et si la ligne et le matériel ne valent pas plus de 3 millions 800’000 fr. Des actionno-obligataires qui laissent passer entre les doigts de l’administration des sommes aussi considérables, sans se faire produire de comptes sérieux, ne méritent qu’une sympathie restreinte, èt on peut dire qu’il y a de leur part négligence grave dans la surveillance de leurs intérêts. Il convient de rappeler aussi que les porteurs actuels de titres ne sont guères ceux qui ont versé les fonds entre les mains de La Valette; un grand nombre d’entre eux ont acheté les titres à 20 fr. à la Bourse, et tel porteur de 100 actions que je pourrais Vous nommer n’a en réalité engagé que 2000 fr. dans l’affaire. A ce titre encore, il ne faut pas exagérer l’intérêt français. Ce n’est du reste pas la première fois qu’un chemin de fer se vend ÎO’OOO fr. Le Jura Industriel, lors de sa première faillite, s’est aussi vendu pour ÎO’OOO fr., alors que 18 millions avaient disparu dans sa construction et qu’une grande partie de cette somme provenait de souscriptions du Canton et des principales localités situées sur le parcours de la ligne. Un chemin de fer est une marchandise qui se vend difficilement, que l’Etat doit chercher à bien vendre; mais dont la vente onéreuse n’est, dans le cas spécial, pas due aux actes du Conseil Fédéral.

M. de Chaudordy a répliqué que, si M. Cézanne était moins hostile, c’était à lui Chaudordy que nous le devions; «si M. Cézanne a retardé le dépôt d’un rapport défavorable, c’était dans la pensée que Vous pourriez trouver une solution et indemniser quelque peu les porteurs de titres. Pourquoi a-t-on refusé à Berne d’attendre l’issue du procès entre La Valette et son Conseil d’administration? La Valette est du reste, quelque opinion qu’on ait de lui, le père du Simplon et celui qui en a fait une question française.»

Il était facile de répliquer que le procès entre La Valette et une partie des administrateurs avait fini au profit de La Valette, et que, comme j’avais été chargé de le déclarer formellement à M. de Broglie et comme M. Kern l’avait déjà dit à M. de Rémusat, nous étions absolument décidés à ne pas laisser M. de La Valette prendre part aux enchères. J’ai terminé en exprimant l’espoir que M. de Chaudordy se convaincrait de l’impossibilité dans laquelle le Conseil Fédéral s’était trouvé d’agir autrement qu’il ne l’a fait, en même temps qu’il pouvait être certain de notre regret de nous être trouvés en présence d’un seul acquéreur.

J’ai été frappé, je dois le dire, de l’insistance et presque de la vivacité avec laquelle M. de Chaudordy parlait de cette affaire, et j’ai cru devoir en mettre de mon côté dans mes réponses. Je crains que nous n’ayons en lui un adversaire assez vif et je ne doute pas que tous Vos efforts ne tendent à agir sur l’esprit de l’Ambassadeur de France pour atténuer les impressions dont il m’a fait part.

Introduit chez le duc Decazes, je me suis exprimé à peu près exactement dans les mêmes termes que vis-à-vis de M. Cézanne, dans la conversation dont j’ai eu l’honneur de Vous rendre compte le 18 Mars. Le Ministre des Affaires Etrangères n’a demandé de complément d’informations que sur un point, la question de savoir si l’enchère du 16 Mars était ou non une nouvelle enchère. J’ai répliqué naturellement que les opérations du 16 Mars étaient la continuation de l’enchère suspendue le 4 pour résoudre la question préjudicielle des hypothèques pouvant exister sur la ligne. M. Decazes a paru entièrement comprendre la position du Conseil Fédéral. Il a été en particulier frappé du texte de l’article 3 de la loi fédérale du 23 Décembre 18724 sur les chemins de fer, article qui vise évidemment le Simplon et qui démontre, de la manière la plus évidente, le bon vouloir des autorités fédérales en faveur de cette œuvre. Il a déclaré, à la fin de l’entretien, textuellement ce qui suit: «C’est l’argent qui nous manque. Nous courrons après 20 malheureux millions pour équilibrer notre budget, et ne parvenons pas à les trouver. Toute la question est là. Ne précipitons donc rien, et espérons qu’un avenir prochain nous permettra de reprendre l’étude de la question. Je suis de l’avais de M. Cézanne: nous n’avons rien à gagner, dans l’intérêt de l’œuvre, à précipiter le dépôt d’un rapport platoniquement favorable.»

En résumé, Monsieur le Président, j’ai trouvé M. le Ministre des Affaires Etrangères plutôt dans des dispositions bienveillantes et je le crois voisin de M. Cézanne dans leurs intentions à l’égard du Simplon. Vous pouvez mieux que moi apprécier l’attitude générale de M. de Chaudordy relativement à cette affaire, mais hier il m’a paru être décidément mal disposé. Comme j’ai été reçu avant lui par M. Decazes, il ne m’est pas possible d’apprécier l’influence que ses déclarations produiront sur le Ministre des Affaires Etrangères.

1
Bericht: E 53/45.
2
Nicht abgedruckt.
3
Nicht abgedruckt.
4
AS 1872-1874, XI, S. 1-18.