dodis.ch/41456 Le Chargé d’affaires de Suisse à Turin, A. Tourte, au Président de la Confédération, J. Stämpfli1

J’ai l’honneur de Vous envoyer, ci-joint, le discours du Ministre des Affaires étrangères.2 Je n’ai pas pu vous le faire tenir plus tôt, parce qu’il a paru dans la Gazette officielle, moitié mardi, moitié hier au soir.3

J’aurais mieux aimé que le Ministre n’eût pas parlé d’une éventualité improbable, mais possible, d’un remaniement de la frontière, mais s’il l’a fait, cela a été, de l’avis de tous ceux qui l’ont entendu, du ton et de l’air d’un homme qui discute une hypothèse excessivement hasardée, et qui dit: même dans ce cas là, nous ne voudrions pas que la Suisse fût affaiblie.

Du reste l’adhésion de la Chambre à tous les passages favorables à la Suisse a été très marquée, et Monsieur Crispi, quoique de l’extrême gauche, a d’une voix claire et aux applaudissements de tous les assistants crié à M. Bixio: «Et moi, je vous combats!»

Quoi qu’il en soit, il est évident qu’on ne peut en une ou deux années persuader aux populations italiennes, autres que le Piémont, que ces mêmes Suisses, qui ont servi pendant trente ans de gendarmes à leurs tyrans, sont devenus leurs meilleurs amis.

Il faut pour cela du temps et l’instruction graduelle des masses.

Je l’ai déjà dit: la Suisse, qui n’a jamais fait que du bien à la France, qui a versé un fleuve de sang pour la défendre, qui a remporté la moitié des victoires dont elle est si fière, a-t-elle réussi à faire renoncer les Français à la limite des Alpes?

A-t-on seulement obtenu, que dans les écoles militaires on ne fît pas usage de cartes qui mettent la frontière française au Saint-Gothard?

Ceux qui m’attaquent à ce sujet ne sont pas de bonne foi.4 Ils voudraient se débarrasser de moi, parce qu’ils savent que je suis, et que je resterai toujours indépendant, et qu’aucune considération, aucune caresse, aucune amitié ne pourra me fermer la bouche, lorsque le devoir me commandera de parler pour le bien non des individus, mais du pays tout entier.

Je Vous prie, Excellence, de vouloir bien faire remettre après l’avoir lue la lettre ci-jointe à M. le député Toggenburg, qui m’a écrit que jamais les Suisses en Italie n’avaient été aussi mal traités qu’aujourd’hui.5 Vous seriez bien aimable de me faire savoir à l’occasion, que le député Toggenburg n’est pas parent du trop fameux bourreau qui torture Venise. Dans les conversations particulières on me chicane sans cesse ici à ce sujet; et malgré mes dénégations on veut me soutenir que ce séide de l’Autriche est Suisse. Je serais bien aise de pouvoir démentir officiellement cette assertion mensongère.

1
Rapport: E 2/1883.
2
G. Durando.
3
Non reproduit. Publié dans FF 1862 III, p. 77–78.
4
Cf. les rapports de Tourte à Stämpfli des 13, 21 (E 2300Turin 3) et 25 juillet 1862 (non reproduit), où il se plaint d'être accusé d’inactivité par des membres de l’Assemblée fédérale.
5
Non retrouvée.