dodis.ch/41423
Le Chargé d’affaires de Suisse à Turin, A. Tourte, au Conseil fédéral1

Je vous remercie de n’avoir pas mis en doute ma discrétion dans la question du passage des Alpes.2 Je continuerai à suivre avec impartialité la même ligne de conduite.

Je continue à vous tenir au courant de ce qui se passe à ce sujet. Deux délégués du Saint-Gothard, Messieurs Respinger et Paganini, m’ont demandé il y a quelques jours, de les présenter à Monsieur de Cavour et au Ministre des Travaux publics3; je l’ai fait. Les deux ministres leur ont déclaré, qu’ils n’avaient d’idées préconçues ni pour ni contre aucun passage; que le Lukmanier avait l’avantage d’être sur le tapis depuis des années et d’avoir beaucoup occupé l’opinion publique; qu’ils avaient entendu dire que les difficultés du Saint-Gothard étaient très grandes, que les intéressés devaient donc, avant tout, faire la preuve du contraire; que des subventions importantes étaient assurées en Suisse au Lukmanier, qu’il fallait donc que les cantons intéressés au Saint-Gothard se présentassent aussi en offrant des subventions proportionnées à leur richesse, et aux difficultés de l’entreprise; que l’opinion avait été généralement répandue dans la péninsule que le Lukmanier était un passage italien, tandis que le Saint-Gothard serait un passage suisse, qu’ils eussent, en conséquence à s’appliquer à détruire cette conviction; que la subvention assurée au Lukmanier par le Gouvernement sarde serait sans aucun doute reportée sur le Saint-Gothard, dans le cas où ce passage serait choisi; qu’il importait avant tout, tâche difficile, ajoutaient ces Messieurs, de convaincre les Génois de ce fait affirmé par Messieurs Respinger et Paganini que, par les deux passages, on arriverait également vite à Augsbourg; qu’enfin le Gouvernement sarde nullement pressé de mettre de l’argent à cette entreprise, ajournerait volontiers sa décision pour laisser aux intéressés le temps d’éclairer la question, si officieusement ou officiellement le Conseil fédéral donnait l’assurance qu’au cas où le Saint-Gothard succomberait dans l’enquête, la concession du Lukmanier serait maintenue.

Messieurs Respinger et Paganini sont partis pour Gênes munis par le Ministre des Travaux publics d’une lettre de recommandation pour un personnage influent.

Les délégués du Lukmanier sont aussi à Turin. Evidemment le Gouvernement sarde désire sincèrement que la lumière se fasse, et que la combinaison la plus favorable aux deux pays, à la condition toutefois que les voies et moyens d’exécution soient assurés, triomphe en dernière analyse.

1
Rapport: E 53/125(1).
2
Cf. les rapports de Tourte au Conseil fédéral des 25 et 28 février 1861 et la lettre du Conseil fédéral à Tourte du 4 mars 1861 (non reproduits).
3
P. Jacini.