dodis.ch/41276
Pétition de négociants suisses à Constantinople au Conseil fédéral1

Pleins de confiance dans votre constante sollicitude pour tout ce qui se rattache de près ou de loin à l’intérêt national, les soussignés, négociants suisses établis à Constantinople, ont l’honneur de vous représenter que la Turquie et la Perse étant des contrées où l’importation des manufactures de leur pays s’élève annuellement à un chiffre considérable, il est fort naturel que le commerce et l’industrie suisses cherchent à faciliter et à augmenter ces débouchés par tous les bons moyens praticables, et, dans l’humble opinion des soussignés, c’en est un que de travailler à la réduction des droits d’entrée sur ces manufactures partout où leur consommation s’opère sur une vaste échelle. En effet, Monsieur le Président et Messieurs, vous n’aurez pas de peine à saisir que plus une marchandise peut être livrée à bas prix, et plus son écoulement acquiert d’extension. Or, bien que les droits d’entrée des produits suisses en Turquie ne soient pas excessifs, il n’en est pas moins vrai que sur plusieurs ils pourraient être diminués et c’est en vue de parvenir à cette réduction si désirable, ou tout au moins de prévenir le renchérissement de ces droits que, dans le cas assez présumable où le Gouvernement français sera de nouveau chargé de faire tarifer les produits suisses en Turquie, les soussignés prennent la liberté de réclamer avec instances votre judicieuse intervention auprès du Ministère des Affaires étrangères à Paris pour qu’il se prête à inviter S. E. Monsieur l’Ambassadeur de France à Constantinople d’adjoindre l’un d’entre eux aux deux ou trois négociants français qui seront désignés par lui pour coopérer avec des délégués turcs à la révision générale du tarif des douanes; ce tarif, conclu le 5 décembre 1850, entre les commissaires nommés d’une part par M. le Ministre de France, (alors le général Aupick) et de l’autre par la Sublime Porte ottomane, continue d’être en vigueur, bien que le terme de son application soit expiré depuis le 1er mars 1855; mais le temps s’approche où sa révision ne pourra plus être indéfiniment ajournée comme elle l’a été jusques à ce jour par le fait des contrariétés résultées de la guerre d’Orient.

D’ailleurs, Monsieur le Président et Messieurs, l’innovation que nous sollicitons est aussi bien calculée dans l’intérêt français que dans l’intérêt suisse, par ce double motif qu’une foule de négociants de cette première catégorie tirent directement de Suisse des masses de manufactures et d’autres de ses produits qu’il leur convient d’introduire en Turquie aux plus bas taux possibles, et qu’un grand nombre de maisons suisses au Levant extraient de France beaucoup de produits français. Et comme en général nos négociants suisses, surtout ceux des cantons allemands, savent mieux classifier et connaissent plus à fond, depuis leur enfance, la partie si variée et si compliquée de nos principales manufactures nationales que des négociants étrangers qui n’en ont pu faire en fabriques une étude aussi approfondie, il est permis d’admettre qu’ils seraient parfaitement à même de débattre avec les délégués turcs la fixation des droits d’entrée sur une foule de tissus qui exigent des connaissances spéciales pour en raisonner juste, et que l’intelligente adjonction d’un négociant suisse aux commissaires français désignés pour l’évaluation et la fixation de ces mêmes droits serait un excellent auxiliaire dans le laborieux, difficile et fatiguant travail de la révision générale du tarif, révision dans laquelle la Suisse française aussi se trouve être fortement intéressée, surtout en ce qui concerne l’horlogerie, la bijouterie, les ouvrages émaillés et les boîtes à musique, branches que la Turquie et les contrées voisines continuent à vivifier.

Aujourd’hui, Monsieur le Président et Messieurs, que les contrariétés qui avaient, en quelque sorte, forcément retardé la révision du tarif en question ont cessé d’exister, la Sublime Porte la réclame et elle est dans son droit, tandis que le Gouvernement français et les ambassadeurs d’autres gouvernements la diffèrent autant que possible dans la prévision fort sage et l’espoir assez fondé qu’il y aura plus de chances favorables à s’en occuper lorsque le système monétaire turc aura été modifié par l’heureux effet de la création de la grande banque que des capitalistes anglais tentent d’instituer à Constantinople avec l’agrément et l’appui du Gouvernement ottoman qui, il faut le dire à sa louange, s’efforce d’introduire en Turquie de salutaires réformes.

Les soussignés terminent par vous prier, Monsieur le Président et Messieurs, de vouloir bien faire informer l’un d’entre eux, comme par exemple, Messieurs Peter et Zehnder, du résultat de vos bonnes démarches à Paris dans le sens de leur demande, et d’agréer avec l’assurance de leur considération très distinguée, celle de leur dévouement.2

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E 6/46.
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La pétition est signée par Peter et Zehnder, Honegger Siriantz Co, Gebr. Rittershaut et Wirth, Andreas Heer, J. Heer, Heer Cie, J. Lebet et fils Victor, P. Peter, Bumiller & Co. Elle porte de la main de Fornerod: Remettre la réponse par M. Simard, à Berne, fabricant de soieries, etc. 1er avril 1857. Au Département du Commerce et des Péages. Le Conseil fédéral a transmis le 11 mai 1857 cette pétition, accompagnée d’un préavis delà Chambre de commerce de Saint-G ail, à Barman, en l’invitant «à faire les démarches nécessaires auprès du Gouvernement français pour qu’il veuille bien autoriser sa Légation à Constantinople à se charger lors de la prochaine révision du tarif des douanes turques, de représenter les intérêts suisses, soit que comme en 1850, M. David Glavany, chef de la Maison Glavany fils et Cie à Constantinople, qui connaît très bien les intérêts du commerce suisse soit admis aux opérations de la Conférence, soit que, suivant le désir des pétitionnaires, l’un des négociants suisses établis dans cette capitale, par exemple MM. Peter et Zehnder, puisse assister et coopérer aux délibérations préliminaires.» (E 6/46). La France a accepté la proposition transmise par Barman, et le Ministre de France à Constantinople a choisi David Glavany comme délégué à la Commission de révision du tarif. Cf. Walewski à Kern, 28 novembre 1857. (Non reproduite).