dodis.ch/41104 Le Conseil fédéral aux Cantons1

Dans les années 1848 et 1849 la Suisse se vit surchargée d’une grande masse de réfugiés de toutes les nations, qui ensuite des événements politiques survenus, soit en Italie, soit en Allemagne, vinrent chercher un refuge sur le territoire de la Confédération. Comme ils venaient directement du théâtre de la guerre et étaient poursuivis par des troupes, on ne pouvait pas leur refuser un asile temporaire, en partie par des considérations d’humanité, en partie pour prévenir des mouvements militaires à la frontière qui auraient pu compromettre notre territoire. Bien que d’après les principes de notre droit public fédéral, l’asile soit en première ligne l’affaire des cantons et que dans la règle la Confédération ne puisse pas contraindre les cantons a donner asile, mais en revanche restreindre ce droit à teneur de l’art. 57 de la Constitution fédérale2, il fallut alors déroger à ce principe par des considérations d’un ordre plus élevé et dans l’intérêt de l’ordre et de la sûreté publique. Le Conseil fédéral dut, exceptionnellement, prescrire l’asile, établir une direction centrale et astreindre les cantons à se charger d’un certain nombre de réfugiés. Déjà alors le Conseil fédéral vous fit connaître son intention d’aviser à tous les moyens convenables pour que les cantons n’eussent pas à supporter trop longtemps une charge, qui dépassait de beaucoup les limites de l’asile. (Circulaire du 5 juillet 1849.)3 Ce but se réalisa successivement en partie par l’effet d’une intercession en vue d’une amnistie, en partie au moyen de secours tirés de la caisse fédérale, en partie par suite d’expulsion pour cause d’inconduite ou de fausses déclarations des réfugiés prétendant avoir besoin de l’asile, en partie enfin par l’accélération de leur départ, et cela même au prix de sacrifices économiques considérables.

Grâce au concours de toutes ces circonstances, le nombre des réfugiés qui, en juillet 1849, dépassait le chiffre de 110004 a diminué à tel point qu’il ne s’en trouve actuellement plus qu’environ 500 sur le contrôle général fédéral. Il y a déjà quelque temps que le Conseil fédéral s’est en conséquence occupé de la question de savoir s’il ne conviendrait pas de ramener l’affaire des réfugiés à la base ordinaire et de laisser les réfugiés entièrement sous le régime des cantons sauf le contrôle et les mesures statuées par les articles 57 et 90 de la Constitution fédérale.5 Jusqu’à présent la seule difficulté qui s’est opposée à cette disposition est la considération que plusieurs cantons ont encore proportionnellement un nombre considérable de réfugiés qui ne peuvent rentrer chez eux sans s’exposer à de grands dangers et ne possèdent pas les moyens nécessaires pour se transporter dans des pays plus éloignés. Cette difficulté se trouve maintenant écartée par le fait que le Gouvernement français, eu égard à l’intercession du Conseil fédéral et avec un empressement qu’on ne saurait trop reconnaître, a offert de se charger, à partir de la frontière suisse, des frais de transport jusqu’en Angleterre ou en Amérique pour tous les réfugiés non français.6 Les circonstances étant telles, le Conseil fédéral se trouve engagé à décréter la mesure mentionnée, déjà en projet depuis longtemps. Par là on n’impose non seulement aucune charge nouvelle aux cantons, mais au contraire l’occasion leur est offerte de se libérer du fardeau qu’ils ont eu à supporter jusqu’à ce jour, ainsi que de tous les inconvénients qui s’y rattachent. Si dans cet état de choses, les cantons font largement usage du droit d’éloigner les réfugiés, on ne saurait leur adresser justement le reproche de dureté, si l’on songe pendant combien de temps ils ont accordé l’asile dans une mesure précédemment inconnue et en faisant des sacrifices considérables, que lors de l’admission des réfugiés on n’avait assurément pas l’intention de s’en charger en permanence, mais plutôt de les soustraire à un danger et de leur procurer les moyens de s’entretenir et de pourvoir à leur avenir. Que de plus, les réfugiés non français ont la faculté de se rendre dans d’autres pays, où ils peuvent séjourner sans aucun danger, et qu’enfin on leur offre les moyens de voyager dont ils peuvent avoir besoin. Vous n’ignorez d’ailleurs pas, fidèles et chers Confédérés, que pour un grand nombre de réfugiés, c’est le manque de moyens, qui jusqu’à ce jour les a empêchés d’émigrer.

Par ces motifs le Conseil fédéral a arrêté:

1) L’obligation imposée en juillet 1849 aux cantons de recevoir les réfugiés politiques est abolie.

2) En conséquence tout engagement de la Confédération envers les cantons cesse à partir de l’époque où le départ des réfugiés deviendra possible, et tout danger d’heimathlosat de réfugiés incombe exclusivement aux cantons.

3) Le Département fédéral de Justice et Police fera relativement à cette époque les communications ultérieures aux cantons.

4) Les arrêtés antérieurs du Conseil fédéral sur l’internement et le renvoi, etc., demeurent en vigueur.

En vous rappelant encore que le présent arrêté ne concerne pas les réfugiés français dont le nombre est d’ailleurs fort restreint, nous saisissons cette occasion [...]7

1
Circulaire: E 21/56.
2
Cf. No 28, note 4.
3
E 21/75.
4
Note sur l’original: Dans ce nombre ne sont pas compris plusieurs milliers de réfugiés provenant des corps dispersés en Italie et de l’émigration dite italienne.
5
RO I, p. 27-28.
6
Cf. le rapport de J. Barman au Conseil fédéral du 22 février 1851 (E 2300 Paris 4).
7
Publiée dans FF 1851 I, p. 224–227. Dans son rapport du 19 août 1851, J. Barman informe le Conseil fédéral que le Ministère de l’Intérieur a fixé au 31 août 1851 le délai pour le passage gratuit des réfugiés à travers la France (E 2300 Paris 4).