dodis.ch/39506
CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de décision II de la 12ème séance du 26 mars 19751

SITUATION MONÉTAIRE

M. Chevallaz rapporte tout d’abord sur les discussions qu’il a eues à Vienne avec les Ministres de la République fédérale d’Allemagne2 et d’Autriche3. Après un échange de vues sur le développement de la situation conjoncturelle, satisfaisante pour la République fédérale, un peu moins pour l’Autriche, qui poursuivent toutes deux leur lutte contre l’inflation tout en enregistrant une certaine récession industrielle (cf. document FZD du 25. 3. 19754), la conversation a porté plus particulièrement sur le serpent monétaire européen qui, aux dires du Ministre allemand, est en mesure de garantir une stabilité monétaire à longue échéance à condition qu’une confiance réciproque s’établisse entre les Ministres et les Directeurs des banques d’émission des pays intéressés. Pour le Ministre autrichien, dont le pays n’est pas membre à part entière de l’Union monétaire et qui regrette un contact insuffisant avec les pays intéressés, la participation au serpent n’est pas envisagée pour le moment, les motifs justifiant une solution autonome étant toujours encore déterminants. La délégation suisse a eu l’occasion de faire valoir les problèmes que pose la surévaluation du franc à notre économie, les mesures de toutes sortes prises en vue de rétablir un équilibre normal, le fait enfin que nos autorités politiques et notre banque d’émission examinent comment parvenir à stabiliser notre franc par rapport à un certain nombre d’autres monnaies. La délégation a bien précisé qu’aucune décision n’avait été prise pour le moment. Il est clair que la participation de la Suisse au serpent monétaire5 est essentiellement un problème politique et qu’il doit être discuté par les gouvernements plus que par les banques d’émission. Les Ministres des finances, réunis à Bruxelles, ont approuvé le principe d’une participation de la Suisse; ils ont décidé également de n’en parler qu’en cercle restreint pour éviter toute spéculation supplémentaire. Les différentes modalités ont ensuite été examinées, mais il est clair que la participation ne serait acceptée à Bruxelles qu’à condition que l’on fixe un cours réaliste pour l’entrée, à savoir un cours du marché qui pourrait être soutenu longtemps, que notre pays s’engage à participer pour une durée certaine et que les mouvements de capitaux soient mieux contrôlés (à l’exception naturellement d’un contrôle des devises).

M. Chevallaz ajoute que les Ministres devront compter avec la rentrée éventuelle de la France6. Comme le franc suisse tendrait à faire monter le serpent, il en résulterait des tensions avec le franc français, ce qui impliquerait tout naturellement un cours d’entrée élevé pour notre monnaie. Le Chef du Département des finances7 se rendra la semaine prochaine à Paris, où il aura l’occasion de s’entretenir de ce problème avec le Ministre français des finances.

En conclusion, M. Chevallaz demande au Conseil de prendre acte du rapport et de charger la Banque nationale, comme le Département des finances, de tirer au clair le problème de la participation de la Suisse au serpent monétaire, conjointement avec le Département politique et le Département de l’économie publique, et d’autoriser à cet effet la Banque nationale à procéder, au niveau technique, aux échanges de vues nécessaires avec les autres banques d’émission.

M. Leutwiler, Président de la Banque nationale, complète à son tour la note confidentielle qu’il a adressée aux membres du Conseil8, en appréciant les données techniques du problème. Il rappelle que l’éventualité d’une ad hésion de notre pays a été rejetée jusqu’il y a peu, la politique relative à la masse monétaire étant essentiellement axée sur la lutte contre l’inflation. Comme toute tentative de maintenir les relations de cours avec le mark allemand aurait, selon toute vraisemblance, provoqué un afflux massif de devises, il n’a pas été possible de prendre de tels risques. Quand bien même l’expérience montre combien il est difficile de juger si une monnaie est sur- ou sous-évaluée, les difficultés de notre industrie d’exportation, qui n’épargneront pas notre tourisme, montrent que l’évolution du cours du franc arrive dans une zone critique. Comme il ne peut être question de viser à une stabilisation du cours du dollar, on pourrait tout au moins envisager de stabiliser notre monnaie par rapport aux monnaies européennes suivant une méthode relativement simple des cours limite de plus ou moins 2 ¼ pour cent. Les contacts que M. Leutwiler a entretenus avec les gouverneurs des banques centrales se sont révélés positifs. La question essentielle consisterait naturellement à fixer un cours qui ne serait pas définitif, mais qui éviterait que le cours du franc monte ou descende à un point nécessitant des interventions pour soutenir les monnaies des parties au serpent et qui obligeraient notre pays à réévaluer ou à dévaluer, ou alors à sortir du serpent. Dans son estimation finale, M. Leutwiler, pesant le pour et le contre, est d’avis que la participation suisse donnerait au moins la possibilité de réaliser des cours de change stables par rapport à certaines monnaies européennes, à obtenir des conditions de marché régulières, partant, à obtenir une base de calcul propre à créer la confiance dans notre économie. La participation éventuelle pourrait se faire par la conclusion de conventions bilatérales entre la Banque nationale et les autres banques centrales. Mais il incombe évidemment au Conseil fédéral de décider.

Dans la discussion générale qui suit, on aborde plus particulièrement le problème de notre commerce extérieur9. Les nombreux contacts qu’on a eus au Département de l’économie publique révèlent l’impossibilité d’une calculation à long terme pour l’industrie. La stabilité du cours du franc, même s’il est haut, est de loin préférable. On note ensuite dans notre économie un changement dans le système des paiements. Les paiements rapides ont en effet fait place aux crédits de longue durée. Il ressort ensuite de l’entretien combien la fixation de cours dits réalistes a un côté illusoire. D’une part, il est très difficile d’estimer combien de temps nous participerons au serpent. D’autre part, dans le système actuel, les mouvements de capitaux sont pratiquement incontrôlables. On rappelle aussi les débats aux Chambres10 lors desquels il fut précisé le fait que la monnaie, en servant davantage à des transactions financières plutôt qu’à des échanges commerciaux, dégrade la situation par une spéculation désordonnée. On en arrivera bientôt au jour où il faudra choisir entre la Suisse, place financière11, et l’existence de notre industrie d’exportation. On évoque également toutes les composantes politiques par rapport à nos voisins, notamment les conséquences d’une adhésion à un bloc monétaire qui aurait des répercussions sur notre autonomie. Toutes ces considérations incitent à la prudence.

Le Conseil en conclut qu’il convient de maintenir des contacts vigilants, mais que la discrétion est de rigueur si l’on veut se placer dans une position de négociation positive (voir en outre l’extrait de procès-verbal y relatif12). [… 13

1
PVCF de décision II: CH-BAR#E1003#1994/26#18*. Rédigé par J.- M. Sauvant.
2
H. E. Apel.
3
H. Androsch. Pour son deuxième entretien avec G.- A. Chevallaz, cf. la notice de A. Peter du 24 mai 1974, dodis.ch/40567 et le PVCF de décision II du 26 mai 1975 de la 17ème séance du 7 mai 1975, CH-BAR#E1003#1994/26#18*, p. 4.
4
Pour la proposition du Département des finances et des douanes du 25 mars 1975, cf. le PVCF No 556 du 26 mars 1975, dodis.ch/39695.
5
Cf. DDS, vol. 26, doc. 161, dodis.ch/39509; doc. 170, dodis.ch/39508; la notice de Ph. Lévy du 21 mars 1975, dodis.ch/39691; le PVCF No 557 du 26 mars 1975, dodis.ch/39696; la lettre de F. Leutwiler à G.- A. Chevallaz du 13 mai 1975, dodis.ch/39697; le télégramme de P. R. Jolles à diverses représentations suisses du 26 mai 1975, dodis.ch/39698; le procès-verbal No 692 de la Direction générale de la Banque nationale suisse du 19 juin 1975, dodis.ch/39641; la notice de J. Zwahlen à P. Graber du 23 octobre 1975, dodis.ch/39707 et le télégramme de G.- A. Chevallaz à diverses représentations suisses du 26 novembre 1975, dodis.ch/39708.
6
Cf. DDS, vol. 26, doc. 161, dodis.ch/39509.
7
G.- A. Chevallaz. Sur sa visite à Paris le 8 avril 1975, cf. la notice de P. R. Jolles du 14 avril 1975, dodis.ch/39710.
8
Notice de F. Leutwiler du 17 mars 1975, dodis.ch/40840.
9
Cf. DDS, vol. 26, doc. 7, dodis.ch/39504, en particulier note 11 et doc. 123, dodis.ch/39500, en particulier note 3.
10
Cf. Bull. of. CN, 1975, pp. 416–442 et pp. 514–529.
11
Cf. DDS, vol. 26, doc. 96, dodis.ch/39094.
12
Cf. note 4.
13
Pour la version complète du document, cf. dodis.ch/39506.