dodis.ch/39160 Le Chargé d’affaires de Suisse à Athènes, A. Coigny, à la Direction politique du Département politique1

VœUX AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Avec votre accord, j’ai transmis hier jeudi 23 août à midi les vœux du Conseil fédéral2 au Président de la République hellénique. M. Papadopoulos ne sachant pas le français, c’est le Vice-président Anghélis, debout à sa gauche, qui a répondu en disant «Merci beaucoup». Auparavant, j’avais eu l’occasion de dire au Ministre suppléant des Affaires étrangères3 (que je connais pour l’avoir vu à plusieurs reprises à la résidence) qui m’expliquait le «rituel» de la rapide cérémonie à laquelle était convié le corps diplomatique, que j’étais chargé de transmettre au Président les vœux du Conseil fédéral. Ainsi le geste est fait, sans publicité et sans surtout que notre presse puisse le relever. Car je suis surpris de voir avec quel scepticisme nos journalistes, en Suisse, commentent les mesures prises le 19 août par le Président Papadopoulos4. Alors que les quelques courageux journaux grecs d’opposition, dont certains rédacteurs ont connu personnellement la prison pour de dérisoires «délits» de presse, alors que «LeMonde», très sévère à l’égard du régime au moment du référendum, parlent de «bon début», reconnaissent que le Président «marque un point», «fait un pas dans la bonne direction», «un geste intelligent, adroit et courageux», nos journaux suisses minimisent par trop, à mon avis, la portée des décisions extrêmement importantes prises et mises à exécution avec la brusquerie qui caractérise l’action de M. Papadopoulos.

Que ce soit comme il l’affirme parce qu’il veut une – lente – démocratisation du pays5, ou qu’il ait dû le faire sous la pression de l’opinion publique et internationale, un fait est là: en levant la loi martiale qui subsistait à Athènes-Le Pirée et en déclarant une très vaste amnistie à l’égard des prisonniers politiques, M. Papadopoulos a dissipé le profond malaise qui planait sur tout le pays. Il a su se montrer magnanime (ou habile, comme on voudra) en relâchant celui6 qui avait voulu l’assassiner en 1968.

Ce faisant, il a décontenancé ses adversaires par l’ampleur et la soudaineté des mesures prises. Remis de leur étonnement, ils ne manquent pas maintenant de se demander comment les libertés d’expression et de presse restaurées seront appliquées, comment les partis fonctionneront etc. Certes, les farouches opposants au régime chuchotent déjà ou déclarent ouvertement que la lutte ne fait que commencer et que tous les moyens seront bons pour se débarrasser de l’équipe au pouvoir. Certes, M. Papadopoulos, outre la présidence, gardera la haute main sur la politique étrangère, la défense et l’ordre public; on peut déjà prévoir que ses compagnons d’armes qui devront quitter le gouvernement en octobre pour faire place à des civils et à des gens de l’ancien régime (on parle beaucoup de M. Markézinis comme Premier Ministre) seront placés qui à la tête d’un parti, qui à celle de la Cour constitutionnelle ou du Parlement. L’opposition, encore désarçonnée, cherchera à s’organiser sur une nouvelle base. En attendant, le geste calculé ou sincère de M. Papadopoulos l’a surprise totalement. Mais un rédacteur d’«AthensNews», qui a été si souvent la victime de la loi sur la presse, reconnaît néanmoins avec beaucoup de «fair play»: «Last Saturday», écrit-il le 18 août, «I hinted that the President lacked the political courage to let free the imprisonned opponents. Never before in my life was I so glad to have proved wrong in my predictions».

Le climat politique en Grèce, cette semaine, s’est considérablement assaini.

1
Lettre: CH-BAR#E2001E-01#1988/16#3500* (B.15.41.1).
2
Cf. le télégramme No 64 de A. Coigny au Département politique du 20 août 1973, dodis.ch/40812.
3
P. Anninos-Kavallieratos.
4
Annotation manuscrite dans la marge: WW [Ch.-A. Wetterwald].
5
Cf. la lettre de E. de Graffenried à P. Graber du 2 août 1973, dodis.ch/40813. Sur le retour effectif de la démocratie, cf. DDS, vol. 26, doc. 104, dodis.ch/39180.
6
A. Panagoulis.