dodis.ch/38903 Compte rendu de la Division politique I du Département politique1

LE DÉBAT ATLANTIQUE ET LA SUISSE

M. Graber salue les assistants2 et expose le but de la réunion: interpréter la position de la Suisse face au débat atlantique présent qui exerce son influence sur de nombreux secteurs de la vie internationale. Il s’agira pour nous de savoir de quelle manière aborder la question dans les rencontres internationales où la question se posera encore.

M. Caratsch signale un fait nouveau, concernant le Conseil de l’Europe, intervenu depuis la distribution de la documentation préparatoire3: le parlementaire suisse, M. Walter Hofer, s’est chargé du Rapport de la Commission politique à l’Assemblée consultative qui se réunira le 21 janvier4. Le projet de rapport5, qui vient de nous parvenir, contient un certain nombre de conclusions d’autant plus délicates, qu’elles paraissent correspondre à des vues personnelles du rapporteur. En ce qui concerne notamment les relations atlantiques, on relève une référence aux pays neutres de la plus mauvaise venue (voir note séparée du 17 janvier6 à ce sujet).

M. Graber considère que de telles assertions pourraient être attribuées à une inspiration officielle et souhaite que M. Thalmann ou M. Jolles s’en entretiennent avec M. Hofer.

Passant au problème général posé, M. Graber voudrait porter la discussion sur son double aspect: quelle est, pour nous, la politique souhaitable et quelle est la politique possible?

M. Thalmann estime que la Suisse n’a pas lieu de s’engager dans le débat théorique qui semble actuellement un dialogue de sourds. Notre pays ne possède pas les moyens de détourner le cours des choses. Dans le meilleur cas, le dialogue entre les partenaires de l’Allianceatlantique aboutira à une situation qui nous sera aussi favorable que la situation actuelle. Notre champ d’insertion est là où les problèmes concrets se posent (Comité spécial de l’OCDE7, GATT etc.). Tant que le dialogue reste seulement politique, nous devrions rester à l’écart. M. Jolles partage cet avis, et constate qu’en tant que pays non-membre des Neuf et de l’OTAN, notre influence (Mitsprachemöglichkeit) est fonction de notre non-participation au dialogue atlantique.

M. Graber constate qu’en effet cela nous condamne au mutisme sur les grands problèmes politiques ou stratégiques, mais pas nécessairement dans le traitement des questions concrètes. En matière de pétrole, par exemple, nous avons développé une attitude valable, participant à la concertation sans attaquer les Arabes8. Évidemment, nous ne pouvons forcer les faits, mais nous pouvons exprimer le désir de voir instituer une coopération.

M. Keller estime que nous contribuons à redéfinir le rôle des Neutres sous l’angle de leur utilité internationale: pouvant renouveler le champ des idées, lubrifier les relations internationales, fournir des personnalités, des lieux de rencontre; ce rôle, affirmé de longue date, se confirme avec la CSCE9; cela pourrait être de nature à intéresser aussi M. Kissinger.

M. Jolles, considérant l’optique des relations commerciales par-dessus l’Atlantique, recommande de mettre en valeur le côté exemplaire de nos relations envers les pays européens et les États-Unis plutôt que de distribuer des bons conseils.

Cela s’applique par exemple aux questions pétrolières, où nous avons approché Bruxelles pour faire connaître nos mesures d’économie, ce qui nous permettra d’être associés dans une certaine mesure à la coordination que les Neuf pourront mettre en œuvre dans ce secteur. De même, nous sommes en mesure d’exercer une certaine influence à la Commission de coordination de l’OCDE où nous avons mis en avant le concept de courant normal traditionnel. Il n’est donc pas nécessaire de faire intervenir la politique dans le domaine des relations économiques multilatérales.

M. Brunner évoque des indications reçues de délégations à la CSCE, au moment de la reprise de janvier. Il s’agit notamment de conversations avec le Directeur Ferraris du MAE italien et avec le Directeur des affaires politiques du MAE espagnol10. Le représentant italien a estimé que le débat atlantique est actuellement caractérisé par une grande confusion, provoquée par une remise en cause par la France des relations des Neuf avec les États-Unis comme avec l’Est. La faiblesse interne de chaque pays se répercute sur la concertation des Neuf. Le manque de coordination de l’Ouest serait particulièrement frappant aux conversations de Vienne. L’Espagnol, constatant qu’une participation au débat atlantique n’est pas possible pour l’Espagne, voit une certaine compensation dans un dialogue direct avec les États-Unis qui est poursuivi avec intensité. Il s’agit de montrer que les Neuf ne peuvent pas parler au nom de l’Europe entière.

M. Thalmann estime qu’on doit prendre en considération le redressement des États-Unis qui détermine de nombreux aspects du débat atlantique. Les USA partent d’une appréciation réaliste des rapports de force, leur structure démocratique est restée intacte face à la montée des extrémismes en Europe, leur volonté de défense reste convaincante ce qui leur permet de rechercher la détente à partir d’une position de force; de plus, les mesures arabes d’embargo ont paradoxalement aidé leur redressement économique. Tout cela contraste avec les faiblesses de l’Europedes Neuf. Il importe certes de cultiver nos relations bilatérales avec les États-Unis sans négliger les principaux pays européens.

M. Graber centre la discussion sur ce point. Politiquement, nous avons un intérêt à voir se renforcer les liens atlantiques. Les positions des États-Unis et des partenaires européens ayant trouvé un meilleur équilibre, peut-on espérer un progrès dans la coopération? Pour nous, comme petit État neutre et libre, nous pourrions du moins exprimer notre intérêt pour un monde atlantique en progrès.

M. Jolles fait remarquer que les récents succès visibles des États-Unis, notamment sur le plan commercial et monétaire, peuvent renforcer en Europe ceux qui ont peur de la main-mise américaine et mobiliser un anti-américanisme «à la française». Il en découle pour nous la nécessité de montrer la diversité de l’Europe; notamment dans des contacts bilatéraux avec les États-Unis, nous pouvons nous montrer comme entité distincte des Neuf, comme interlocuteur raisonnable. De tels contacts, qui se sont déjà montrés utiles, doivent sans cesse être recommencés. De même, il faut affirmer notre présence à Bruxelles, à Bonn, à Londres.

M. Graber envisage la question d’une déclaration au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe11. Elle aurait pour but de présenter notre point de vue de façon succincte. Elle pourrait évoquer notre désir de participer à la coopération qui s’instaure; rappeler qu’il faut tenir compte de l’Europe entière; envisager une certaine concertation. Il pourrait également être fait usage de quelques parties du projet britannique de déclaration États-UnisEurope.

M. Blankart fait remarquer la nécessité de parvenir de notre côté à une conception très claire du degré de développement de l’Europe qui est souhaitable pour nous. Le problème de la contribution de l’Europe à sa défense, par exemple, soulève une séquelle d’interrogations sur notre attitude face à une défense européenne intégrée. Quant aux problèmes politiques, on doit constater qu’actuellement les Neuf ne parviennent à «parler d’une seule voix» que lorsqu’ils s’identifient à 90 % avec la position française; cela pose pour nous la question du degré de confiance qui peut être accordée aux initiatives de la Commission de Bruxelles qui jouent un rôle important dans le débat atlantique présent.

M. Jolles souligne à ce propos les divergences d’appréciations sur la valeur de la concertation politique à Neuf et souhaite que le Département politique en étudie la situation actuelle et en apprécie les progrès.

1
Compte rendu: CH-BAR#E2001E-01#1987/78#715* (B.75.18). Réunion du 17 janvier 1974 sous la présidence de P. Graber. Rédigé et signé par C. Caratsch. Copie aux participants ainsi qu’à Ch. Müller, F. de Ziegler, K. Fritschi, E. Diez et R. Bindschedler.
2
E. Thalmann, R. Keller, M. Gelzer, J. Monnier, E. Brunner, C. Caratsch, F. Nordmann, P. R. Jolles et F. Blankart.
3
Cf. la notice de C. Caratsch du 11 janvier 1974, dodis.ch/38926 et doss. comme note 1.
4
Cf. le rapport d’activité de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe du 6 mai 1974, CH-BAR#E2003A#1988/15#113* (o.121.21). Cf. aussi la lettre de A. Wacker à E. Thalmann du 25 mars 1974, dodis.ch/39400.
5
Rapport de W. Hofer La coopération politique entre les États de l’Europe de l’Ouest à l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe du 3 janvier 1974, CH-BAR#E2003A#1988/15#283* (o.121.53). Sur le rôle de W. Hofer comme parlementaire européen, cf. la lettre de A. Wacker à E. Thalmann du 25 mars 1974, dodis.ch/39400.
6
Notice de C. Caratsch à P. Graber du 17 janvier 1974, CH-BAR#E2003A#1988/15#283* (o.121.53).
7
Cf. DDS, vol. 26, doc. 5, dodis.ch/39496.
8
Sur la crise pétrolière, cf. DDS, vol. 26, doc. 49, dodis.ch/39686, note 4.
9
Cf. DDS, vol. 26, doc. 32, dodis.ch/38816 et doc. 89, dodis.ch/38858.
10
J. L. Los Arcos y Elío.
11
Cf. le procès-verbal du 21 février 1974 de la séance du Comité des ministres du 24 janvier 1974, CH-BAR#E2003A#1988/15#283* (o.121.53).