Au début de décembre, nos Chambres fédérales décidèrent de réduire la contribution suisse à l’UNESCO2. On connaît les motifs. Les autorités syriennes s’émurent de cette décision qui reflète une attitude politique plutôt qu’un souci d’économie.
À Damas, le Gouvernement réprouva le comportement de la Suisse en recourant aux mass media. Le Vice-Ministre des Affaires étrangères [M. Z. Ismail] me communiqua les déclarations gouvernementales sans les atténuer. Il ajouta quelques remarques.
De mon entretien avec [M.Z. Ismail] et avec d’autres personnalités se dégage l’impression de déception que la Syrie éprouve à l’égard de la Suisse qui s’est départie de sa traditionnelle réserve. La neutralité a conféré à la Suisse une position exceptionnelle qu’elle compromet par le récent vote parlementaire. Il importe peu que le pouvoir exécutif ait tenté de prévenir le vote malheureux. Dans l’esprit syrien, les institutions gouvernementales forment un tout dont émane la décision.
Pour [M.Z. Ismail] et son entourage, la neutralité consiste à s’abstenir de toute action et de toute déclaration qui puisse d’une manière ou d’une autre renforcer l’ennemi sioniste. En sortant de sa réserve dans l’affaire de l’UNESCO, la Suisse a commis un acte hostile aux Arabes; ce sont les propos mêmes que [M.Z. Ismail] m’a tenus. Traumatisée par le conflit du Moyen-Orient, la Syrie réprouve vivement notre manifestation d’hostilité. Elle doit réagir pour sa propre cause mais aussi pour le monde arabe qui forme une patrie selon le terme consacré. Ce faisant, la Syrie s’érige en gardienne des intérêts et même des vertus arabes3.
Dans un monde où la politique se mêle à la religion, parfois empreinte de fanatisme, la cause que l’on défend présente un caractère indiscutable, sacré. En plaidant leur cause, les Syriens n’attendent pas de réplique. Inutile de présenter des objections en avançant des faits, en citant des rapports d’experts, en invoquant des principes. Qu’importe si les sanctions récemment prises à l’UNESCO contre Israël ne trouvent aucun fondement dans les statuts de l’organisation! Nous ne sommes pas tenus de respecter les règles si l’ennemi est sans loi. Cette affirmation est courante ici dans les cercles gouvernementaux.
[M.Z. Ismail] craint que notre faute entraîne d’autres États à sortir de leur réserve. Il est vrai que le Sénat américain a aussi manifesté concrètement sa désapprobation à l’égard de l’UNESCO. Cependant, selon [M.Z. Ismail], le monde ne s’étonne pas de cette réaction; chacun connaît la politique américaine qui est ouvertement pro-israélienne. Depuis longtemps, les États-Unis pèchent contre la cause arabe, mais les peuples qui sont avertis ne se laissent pas gagner par cette influence.
En se montrant nuancé vis-à-vis des États-Unis, [M.Z. Ismail] fait preuve de partialité, consciemment ou non. Il faut reconnaître que l’Amérique est seule à pouvoir exercer une pression politique sur Israël. Elle est en mesure de fournir au monde arabe toutes les armes sophistiquées, des réacteurs atomiques et d’amples capitaux. En revanche, la Suisse n’offre rien de tel. Elle apporte une contribution technique que la Syrie apprécie mais que des concurrents sont prêts à remplacer. Dès lors, pourquoi ménager la Suisse qu’on peut à bon marché frapper de manière exemplaire? C’est du moins le calcul que je devine dans l’esprit de mon interlocuteur.
La nature émotive de l’Arabe ne permet pas de préjuger la portée de sa réaction. Les Syriens feraient-ils un geste spectaculaire qui affecterait formelle ment nos relations? C’est douteux. Prendraient-ils plutôt des mesures de boycott dont souffrirait notre industrie4? S’il le faut, le boycott s’appliquerait discrètement. Le Gouvernement syrien donnerait alors à ses hauts fonctionnaires des consignes discriminatoires qui s’appliqueraient au préjudice de nos entreprises, notamment dans les adjudications.
En se retournant contre la Suisse, la Syrie pourrait-elle compter sur la solidarité arabe? Souvent tournée en dérision, cette solidarité se manifeste avec efficacité en matière de boycott. Mais quelques contacts à Damas au Commissariat central de cette organisation m’ont édifié. On a peine à mesurer les effets d’un boycott qui, partant de Syrie, s’étendrait dans le monde arabe. C’est une menace que [M.Z. Ismail] a laissé planer en faisant état des grands intérêts que nous avons au Proche-Orient et en Afrique du Nord5.
Avec insistance, [M.Z. Ismail] a exprimé le vœu que la Suisse révoque sa décision de réduire notre cotisation à l’UNESCO6. La somme en jeu est minime pour un État. Elle est insignifiante en regard des intérêts menacés. Dans ces conditions, le Gouvernement suisse devrait, sans hésiter, faire ce geste essentiel aux Syriens. Ceux-ci d’ailleurs ne conçoivent pas que le pouvoir exécutif soit mis en échec par le législatif. Et comment se fait-il que des voix au Parlement puissent à ce point contrecarrer l’exécutif? La séparation des pouvoirs et la liberté d’expression sont l’apanage de la démocratie; cette vérité ne s’impose pas à l’esprit de mes interlocuteurs.