Comme je le relevais dans la note3 que je vous ai adressée à la fin de la semaine dernière, le climat au GATT est en train d’évoluer rapidement, et cela sur tous les plans: – durcissement des positions en ce qui concerne la défense du niveau de
libération atteint; à la prochaine réunion4 du Conseil du GATT, qui se tiendra
le vendredi 8 novembre, l’Australie envisage de demander la constitution
d’un groupe consultatif pour examiner la situation créée sur le marché
international de la viande de bœuf du fait des interdictions d’importation
instituées par la CEE et le Japon. Le Canada se propose de demander
l’arbitrage des Parties Contractantes à propos du résultat des négociations
de compensation au titre de l’article XXIV.6 avec la Communauté. Le
Canada estime ne pas avoir été assez payé, ce que la Communauté conteste; – intensification des consultations en vue de faire entrer le Tokyo-Round5
dans sa phase active.
Les deux démarches, bien que conduites indépendamment l’une de l’autre pour des raisons institutionnelles, n’en relèvent pas moins de la même préoccupation: éviter une dégradation de la situation sur le plan du commerce international en prenant en mains les problèmes concrets qui se font jour et en ouvrant, dans les meilleurs délais possibles, les négociations multilatérales.
C’est en ayant cette évolution à l’esprit que j’aimerais attirer votre attention sur deux points spécifiques à propos desquels je voudrais m’entretenir avec vous et M. l’Ambassadeur Probst6.
1. La Commission des CE vient de soumettre aux États membres (Comité 113) les propositions ci-jointes visant à préciser la «conception globale» adoptée par la Communauté en prévision du lancement des négociations commerciales. Ce texte confidentiel est intéressant à deux titres: en premier lieu par le fait même de son existence, ce qui confirme qu’à Bruxelles on paraît maintenant convaincu qu’il y aura des négociations. En second lieu, parce que le problème de l’approvisionnement y occupe une place essentielle (voir à cet égard la section relative aux restrictions à l’exportation et le chapitre agricole). La Communauté rejoint ainsi – d’une manière formelle – les pays qui, tels les États-Unis, le Japon… et la Suisse, souhaitent l’inclusion du problème de l’accès aux ressources parmi les thèmes majeurs des nouvelles négociations. Et il n’est dès lors pas surprenant que, profitant de la présence à Genève de l’Ambassadeur Malmgren7 lundi prochain, M. Long ait pu organiser des consultations au sujet des restrictions à l’exportation entre les trois grands (Malmgren, Hijzen et sans doute Kitahara). Il est d’ores et déjà prévu que ces consultations seront élargies à d’autres pays dans un bref avenir. J’ai fait savoir l’intérêt de la Suisse à y participer.
2. Ainsi que cela ressort du télégramme8 ci-joint, M. de Pury n’a pas seulement obtenu de M. Phan van Phi (Wellenstein, No 1, Hijzen, No 2, Phan van Phi, No 3, dans la hiérarchie bruxelloise) la «Communication de la Commission sur les négociations commerciales multilatérales»9. Il a également été sondé quant à la possibilité pour la Suisse d’organiser une réunion restreinte de ministres ou hauts fonctionnaires responsables des principaux pays ou groupes de pays participant aux négociations pour aborder la question des objectifs et de la durée des négociations.
Étant donné les rapports personnels que j’entretiens de longue date avec M. Phan van Phi, je crois que ce ballon d’essai ne saurait être pris à la légère et qu’il conviendrait d’explorer plus avant cette idée. L’intérêt que j’y vois est le suivant: – en souhaitant que la question des objectifs des négociations soit réexaminée,
c’est bien évidemment au problème de l’accès aux ressources et à celui
de l’agriculture que la Communauté songe. Or, il y a à ce sujet une large
coïncidence entre nos intérêts et ceux des trois grands (en ce qui concerne
les États-Unis, certaines nuances doivent être apportées à l’agriculture)10;
- la question de la durée des négociations, c’est-à-dire en fait du rythme et de l’intensité de ces négociations, est, à mon avis, liée aussi bien au degré d’urgence qui sera conféré aux différents domaines de négociations qu’au problème de la sauvegarde de l’acquis. Il s’agit donc là aussi d’une question qui présente un grand intérêt pour nous;
- enfin, la proposition de M. Phan van Phi soulève indirectement un problème qui ne saurait nous laisser indifférents: celui des mécanismes auxquels il sera fait recours pour «conduire» les négociations commerciales. L’expérience de l’Organe de gestion du GATT, dont la création continue de dépendre d’un accord sur la composition, laisse présager les pires difficultés pour créer un «Steering Committee» pour les négociations commerciales. Dès lors, on peut se demander si, en définitive, la réunion imaginée par M. Phan van Phi ne préfigure pas l’un des rouages des futures négociations. En prenant sur nous la responsabilité d’organiser la première réunion de ce type, peut-être nous assurerons-nous un siège permanent dans le club ainsi inauguré11?