dodis.ch/35607 Notice du Chef de Section du Service politique est, F. Châtelain, au Chef du Département politique, P. Graber1

VISITE QUE VOUS FERA L’AMBASSADEUR AMÉRICAIN2 LE 13 MAI 1971, à 10 H 15

J’ai reçu hier matin, à sa demande, M. L. Heichler, Premier Secrétaire près l’Ambassade des États-Unis, qui désirait nous informer de la nature de l’entretien que son Ambassadeur vous a demandé pour demain matin3.

Le Gouvernement américain aimerait savoir si la Suisse serait disposée à prendre l’initiative d’offrir provisoirement son territoire à l’hébergement des prisonniers de guerre du Vietnam des deux camps4. En réalité, Washington entend nous suggérer de faire officiellement aux deux parties, discrètement ou publiquement, cela à notre convenance, une offre d’internement temporaire de ces prisonniers5. Mon interlocuteur ajouta qu’une démarche identique à celle dont son Ambassadeur est chargé doit être faite également dans une vingtaine de pays latino-américains, asiatiques et européens dont, à ma demande, il me cita le Danemark.

L’Ambassadeur américain n’attend pas forcément une réponse immédiate de votre part lors de l’entretien prévu.

J’ai informé ce matin de ce qui précède le Secrétaire général du Département6 lors de la séance quotidienne qu’il préside.

De la discussion qui suivit, nous avons conclu que ladite suggestion américaine ne pouvait guère être prise au sérieux. En effet, une telle initiative de la Suisse, après celle qui vient d’être faite par la Suède et qui fut catégoriquement rejetée par Hanoï, n’aurait guère plus de chances de succès, d’autant plus que nous sommes moins bien placés que les Suédois dans nos rapports avec la République démocratique du Vietnam. Il faut bien se garder de mettre notre prestige vis-à-vis d’Hanoï en jeu, et nuire à notre crédit moral dans une affaire aussi délicate tant que nous n’avons pas reconnu et établi des relations officielles avec ce Gouvernement7. En outre, le fait que les Américains s’adressent également à d’autres pays dans cette affaire doit nous inciter à la plus grande réserve si l’on ne veut pas donner l’impression de faire leur jeu de propagande qui semble à usage interne avant tout. En effet, la question des prisonniers de guerre au Vietnam est plus brûlante que jamais aux États-Unis et sera sans doute exploitée à des fins électorales.

En conclusion, nous pensons qu’il pourrait entre autres être répondu à l’Ambassadeur américain, si vous êtes d’accord:

1. que la Suisse ne peut guère prendre une telle initiative dans les circonstances présentes (après l’échec de la Suède), en particulier du fait de l’absence actuelle de relations officielles avec Hanoï, ce qui n’implique cependant pas que du point de vue humanitaire elle reste insensible à ce problème8;

2. qu’elle est toujours prête à offrir ses bons offices, particulièrement dans ce cas, à condition qu’elle en soit sollicitée par toutes les parties en cause et non pas unilatéralement, et que toute discrétion soit assurée.

1
Notice: CH-BAR#E2003A#1984/84#853* (o.221.1). Visée par P. Graber, copie à D. Werner et R. Pasche. Annotation manuscrite dans la marge de D. Werner du 9 juillet 1971: J’ai assisté à l’entretien du 13 mai chez le Chef du Dép [artement].
2
Sh. Davis.
3
Cf. la notice de D. Werner du 13 mai 1971, dodis.ch/36153.
4
Sur la question des prisonniers de guerre, cf. aussi le télégramme No 531 de l’Ambassade de Suisse à Washington au Département politique du 7 juillet 1970, dodis.ch/36151.
5
Cf. l’aide-mémoire de l’Ambassade des États-Unis à Berne du 13 mai 1971, doss. comme note 1.
6
E. Thalmann.
7
Sur les relations avec le Vietnam du Nord, cf. DDS, vol. 25, doc. 90, dodis.ch/35603.
8
Cf. aussi doc. 149, dodis.ch/35604.