I. 1. Si le Conseil fédéral a reconnu le Bangla Desh2 malgré le risque de se voir retirer le mandat par le Pakistan3, il l’a fait en se fondant sur des informations qui donnaient à croire que son exercice ne serait pas compromis et qu’il pourrait même s’en trouver facilité. En effet, l’Ambassadeur de Suisse à la Nouvelle-Delhi4 avait laissé entrevoir au Département5 que cette reconnaissance aurait pour effet de nous ouvrir, en qualité de puissance protectrice, l’accès des camps de prisonniers pakistanais en Inde. Jusqu’ici, en effet, les autorités indiennes avaient toujours fait savoir que l’autorisation de visiter ces camps ne dépendait pas uniquement d’elles, mais du Commandement allié indobengalais auquel les troupes pakistanaises s’étaient rendues le 16 décembre 1971 à Dacca. Cet élément conférerait donc au Gouvernement bengalais une coresponsabilité dans le traitement des prisonniers détenus matériellement par l’Inde. Dans ces conditions, il y aurait donc lieu, en principe, d’approcher les autorités de Dacca à ce sujet. Toutefois, il convient pour ce faire d’obtenir au préalable le consentement, ou en tout cas un acquiescement tacite d’Islamabad, car le mandat de puissance protectrice que le Gouvernement pakistanais nous a confié n’est valable qu’à l’endroit des autorités indiennes.
2. Notre reconnaissance du Bangla Desh n’a pas provoqué pour l’instant de réactions trop négatives de la part du Gouvernement pakistanais. Des hauts fonctionnaires du MAE ont assuré notre ambassadeur6 que, du fait de cette reconnaissance, le mandat ne nous serait pas retiré7. Le fait que nous ayons attendu le départ des troupes indiennes pour reconnaître le Bangla Desh a été favorablement relevé par les autorités pakistanaises8. Une note9 a cependant été remise au Département politique par le Chargé d’affaires du Pakistan à Berne10 au lendemain de la reconnaissance. Cette note a toutefois un caractère de routine, car elle a été adressée en termes quasi identiques à tous les gouvernements ayant reconnu le Bangla Desh. Le Gouvernement pakistanais y exprime notamment l’espoir que nous pourrions employer nos bons offices pour intervenir d’une part en faveur des ressortissants non bengalais résidant au Bangla Desh et d’autre part pour amener les autorités indiennes à respecter pleinement les Conventions de Genève concernant les prisonniers de guerre11.
3. Quant au Bangla Desh, il apparaît que, loin de s’opposer à toute action de la Suisse, il marquerait un certain intérêt à voir notre pays s’occuper de divers problèmes humanitaires. C’est dans ce sens en tout cas que nous voulons interpréter la hâte avec laquelle Dacca a tenu à solliciter l’agrément pour un ambassadeur à Berne. (Voir à ce sujet la proposition du Département12). Il y a également lieu d’ajouter que le Représentant bengalais à la Nouvelle-Delhi13 a laissé entrevoir à l’Ambassadeur Real que ses autorités souhaitaient que notre pays soit en mesure de jouer un rôle à Dacca dans le domaine des bons offices.
4. À tout cela vient se greffer encore un problème qui n’est pas sans relation avec le mandat que nous assumons. Il s’agit de la remise, apparemment prochaine, par l’Inde au Bangla Desh, pour y être jugés, d’un certain nombre de prisonniers pakistanais actuellement détenus par l’Inde et accusés de crimes de guerre.
Cette analyse de la situation a amené le Département politique à juger opportun l’envoi dans ces prochains jours d’un ambassadeur chargé d’une mission spéciale, qui devrait successivement prendre contact au plus haut niveau avec les Gouvernements pakistanais et indien. Cette mission aurait pour premier objet de procéder à un tour d’horizon sur l’exercice de nos mandats en général et d’identifier, pour tenter de les lever, les difficultés auxquelles nous nous heurtons de part et d’autre. Il s’agirait en particulier d’obtenir des autorités pakistanaises qu’elles acceptent une intervention de notre part auprès des autorités bengalaises telle que décrite sous 1.
Cette mission serait confiée à l’Ambassadeur René Keller14, chef de la Division des organisations internationales.
II. Le Département politique estime, à la suite de le reconnaissance du Bangla Desh, qu’une présence suisse doit être assurée à Dacca. Il n’est toutefois pas possible, sans une autorisation des Chambres fédérales, de créer des représentations diplomatiques dans de nouveaux pays.
Le Département a donc envisagé de recourir à une solution temporaire par l’envoi à Dacca, en qualité de Délégué du Département politique avec titre personnel d’ambassadeur, de M. Othmar Rist, actuellement Consul général de Suisse à Hambourg. Le choix de la personne de M. Rist s’est fait en raison de son expérience dans le domaine humanitaire, jointe à une connaissance du sous-continent asiatique15. Il sera accompagné dans sa mission de M. Guido Meneghetti qui aura le grade de vice-consul.
Le premier séjour de la mission de M. Rist à Dacca16 est prévu pour une durée de 2 à 3 semaines. Cette mission mettra à profit son séjour au Bangla Desh pour établir les premiers contacts avec les autorités, pour poser les jalons de futures relations diplomatiques et étudier les possibilités de l’ouverture éventuelle d’une mission diplomatique permanente17. Elle est chargée en outre de s’informer de la situation politique et économique qui règne au Bangla Desh et de nous transmettre toute requête qui pourrait lui être faite en matière d’échanges commerciaux, de coopération technique, d’aide financière et avant tout humanitaire.
M. Rist quittera la Suisse dès que le Département politique, sur la base du rapport18 de l’Ambassadeur Keller, le jugera opportun.
Après délibération, le Conseil fédéral décide:
La notice du Département politique du 21 mars 197219 est approuvée.
Le communiqué de presse20 est approuvé, avec une modification dans le texte allemand, 2 e alinéa «… auf höchster Ebene mit den pakistanischen und indischen Regierungsstellen …»