dodis.ch/33642
Notice interne du Département politique1

Relations de la Suisse avec l’Afrique australe. Réunion inter-départementale du 29 novembre

La Suisse a été l’objet d’attaques2 durant la 22 ème session de l’Assemblée générale de l’ONU. Sans prendre ces attaques au tragique, on doit se demander si elles ne sont pas le prélude à une campagne plus vaste et si elles ne risquent pas d’affecter notre position dans plusieurs organisations internationales. Il conviendrait d’abord d’évaluer la situation, puis de voir si des mesures devraient être prises pour réfuter ces critiques. Enfin, nous pourrions examiner si des actions concrètes pourraient être envisagées pour corriger la situation.

I. Appréciation de la situation

M. Bühler: En ce qui concerne la Rhodésie3, le Conseil fédéral a pris une décision qui est suivie d’exécution. Les statistiques pour 1967 font prévoir que le volume des échanges ne dépassera pas le plafond autorisé. L’Afriquedu Sud est un partenaire économique très important, le seul pays d’Afrique avec lequel notre balance commerciale est active. Le Mozambique offre également d’intéressantes perspectives de débouchés. La Suisse, en commerçant ou en investissant dans ces régions n’a aucun mobile politique et n’a pas l’intention de venir en aide aux gouvernements au pouvoir.

M. Gelzer: Nous ne pouvons négliger ces accusations d’autant plus qu’elles ont trouvé un écho dans des publications de l’ONU. Les puis sances en compagnie4 desquelles nous sommes accusés peuvent peut-être les igno rer. Je pense plutôt que nous devrions réagir et cela en informant ceux qui nous attaquent. En ce qui concerne les livraisons d’armes, l’embargo à destination de l’Afriquedu Sud5 est total depuis 1963, ainsi qu’en Rhodésie6. Il est vrai que nous n’avons pas les moyens légaux d’interdire des cessions de licences7. La politique d’apart heid est susceptible de provoquer un jour de graves tensions internes ou un conflit international. Devons-nous mettre en garde notre industrie?

M. Marcuard: Les attaques étaient prévisibles et d’ailleurs prévues. Je pense qu’elles se multiplieront. Nous devons être attentifs. Pourrions-nous dans nos relations avec l’Afrique australe faire une distinction entre la position officielle, celle du Conseil fédéral, et le comportement des milieux privés, notamment économiques, qui sont, selon nos conceptions, indépendants du gouverne ment? Dans le cas de la Rhodésie, le Conseil fédéral a pris une décision claire. Pourrait-on concevoir qu’il prenne aussi une position vis-à-vis de l’apartheid que les représentants suisses dans les conférences internationales8 ont d’ailleurs pour instruction de désavouer. Sur le plan économique, pourrions-nous marquer notre réserve, par exemple en refusant l’octroi de la garantie des risques à l’exportation en Afrique du Sud?

M. Bühler: La garantie est un instrument au service de notre économie, qui n’a jamais été utilisé à des fins politiques. L’opinion publique n’accepterait pas une telle mesure. Son effet serait de toute façon très limité. L’Afriquedu Sud, disposant de devises en abondance, nos exportateurs ne recourent à la garantie que pour parer aux risques de fabrication. La garantie ne sert donc pas à stimuler nos exportations dans ce pays. Par contre, on pourrait concevoir une politique restrictive dans l’octroi de la garantie des risques aux investissements9 le jour où celle-ci existerait.

M. Thalmann: Nous sommes donc tous conscients de l’existence d’un problème. Nous ne devons cependant pas dramatiser les choses ni prévoir des mesures spectaculaires ou brutales. Voyons plutôt comment corriger l’optique de nos accusateurs.

II. Examen des méthodes

M. Thalmann: Nous pourrions constituer un dossier10 où figureraient des renseignements sur l’embargo sur les armements, sur l’application des sanctions contre la Rhodésie, etc. Ce dossier serait destiné à notre mission à New York, à nos postes en Afrique et à nos délégations commerciales ou autres.

M. Thalmann: Le dossier sera préparé par la Division des organisations internationales et la Division des affaires politiques en collaboration avec la Division du commerce.

III. Actions concrètes possibles

M. Thalmann: Plusieurs mesures concrètes peuvent être envisagées pour créer un certain goodwill: participation aux divers fonds11 des Nations Unies en faveur des Sud Africains (fonds d’affectation, training and education programme), coopération technique, notamment avec les pays voisins de l’Afrique australe12, etc.

M. Marcuard: S’il y a un intérêt politique, le service de la coopération technique est prêt à examiner ce qui pourrait être fait dans des pays tels que le Lesotho, Botswana, la Zambie ou le Malawi. La condition sine qua non est qu’il existe des projets valables. Nous étudions actuellement un projet au Malawi.

M. Gelzer: Les fonds ont un but tout à fait politique. En ce qui concerne le fonds d’affectation, je reconnais que des secours aux réfugiés pourraient être examinés, eu égard à l’aspect humanitaire. Il vaut la peine de voir si une contribution est réalisable par l’entremise du Haut Commissaire. Le cas des Tibétins13 montre que des considérations politiques n’empêchent pas fatalement une action humanitaire. Quant au programme d’éducation, il est prématuré d’en parler avant que New York ait donné les renseignements demandés.

M. Bühler: Il faut éviter de donner au gouvernement Sud Africain l’impression qu’une action de ce genre serait dirigée contre lui. La Division du commerce n’aurait pas d’objection à un éventuel versement d’une contribution au Haut Commissaire. Une réaction de l’opinion publique suisse n’est pas à redouter. Il y aurait peut-être lieu, le moment venu, de consulter le Conseil fédéral.

M. Thalmann: La Division des organisations internationales examinera encore de plus près les modalités d’une éventuelle participation suisse à ces fonds. Les administrations intéressées seront encore consultées.

1
Notice: E2003A#1980/85#1967* (o.713.76). Rédigée et signée par F. Pictet.
2
Cf. la notice de F. Pictet du 17 novembre 1967, doss. comme note 1. Sur la question de la compatibilité des relations entre la Suisse et l’Afriquedu Sud avec les décisions de l’ONU, cf. aussi DDS, vol. 22, doc. 33, dodis.ch/30386; DDS, vol. 23, doc. 7, dodis.ch/31045, et doc. 156, dodis.ch/31047.
3
Cf. DDS, vol. 24, doc. 171, dodis.ch/30859.
4
Aux côtés de la Suisse sont souvent mentionnées la Grande-Bretagne, la France, la République fédérale d’Allemagne et les Etats-Unis. Cf. la notice de F. Pictet du 17 novembre 1967, doss. comme note 1.
5
Cf. DDS, vol. 22, doc. 187, dodis.ch/30436.
6
Cf. le PVCF No 2189 du 17 décembre 1965, dodis.ch/31953.
7
Cf. DDS, vol. 23, doc. 84, dodis.ch/31040, en particulier note 6.
8
Cf. DDS, vol. 24, doc. 80, dodis.ch/33245.
9
Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant un projet de loi fédérale sur la garantie contre les risques de l’investissement du 10 septembre 1969, FF, 1969, II, pp. 961–991.
10
Cf. la circulaire de E. Thalmann aux Ambassades de Suisse en Afrique du 17 avril 1968 contenant ce dossier en annexe, doss. comme note 1.
11
Cf. la notice de F. Pictet à R. Pestalozzi du 15 janvier 1968, dodis.ch/33766 et la réponse de R. Pestalozzi du 19 janvier 1968, dodis.ch/33771.
12
Sur la coopération au développement avec les pays voisins de l’Afriquedu Sud, cf. DDS, vol. 24, doc. 101, dodis.ch/32839, en particulier notes 25–27 et la notice de R. Pestalozzi du 19 janvier 1968, dodis.ch/33771.
13
Sur les réfugiés tibétains, cf. DDS, vol. 24, doc. 101, dodis.ch/32839, note 29.