dodis.ch/1901
Le Ministre de Suisse à Mexico, G. Jaccard, au Chef de la Division du Contentieux, des Affaires financières et Communications du Département politique, R. Hohl1

En me référant à vos lettres des 23 avril, 7 mai et 2 juin2, j’ai l’honneur de vous adresser la documentation et les renseignements suivants concernant la conclusion de l’accord financier daté du 30 août, qui met fin aux réclamations de la «MexicanEagle» et aux pourparlers engagés par les gouvernements intéressés consécutivement à l’expropriation des biens que possédaient cette entreprise et les sociétés affiliées3.

Comme mon télégramme du 1er septembre vous l’apprenait4, la nouvelle de la conclusion de cet accord fut rendue publique par le Président du Mexique5 lui-même au cours de la lecture de son message qui prélude traditionnellement à la réouverture du Congrès mexicain.

Le silence qui entoura ces pourparlers fut hermétiquement gardé jusqu’à la fin. Je savais que l’Ambassade britannique et l’agent de la Mexican Eagle, M. Davidson, étaient loin de demeurer inactifs. Quelques journaux, tel le «FinancialTimes» de Londres, sauf erreur, avaient annoncé en termes vagues la reprise des pourparlers. Il était impossible d’obtenir cependant le moindre renseignement positif. L’Ambassadeur britannique esquiva habilement toutes les demandes de renseignements que je lui adressai, en se bornant à me répondre que les dispositions favorables que montrait le Gouvernement du Président Aleman permettait [sic] d’attendre avec confiance l’évolution des événements.

La nouvelle, proclamée par le Président devant le parlement réuni et en présence du Corps diplomatique, fut la grosse surprise de la journée. A la sortie du Parlement, je m’entretins brièvement avec l’agent et négociateur de la «MexicanEagle», M. I. D. Davidson, qui, entre autres déclarations, me dit: «Je regrette de n’avoir pu vous renseigner avec anticipation sur l’état des choses, mais nous nous étions engagés à garder le silence par serment.»

Cette précaution n’était que trop justifiée. En effet, on attribue généralement l’échec des pourparlers précédents (consécutifs à l’accord du 7 février 19466) à l’intervention intempestive et maladroite de la presse tant en Angleterre qu’au Mexique.

Il convient d’ajouter que la conclusion du présent accord ou d’un accord aussi favorable eût été difficilement concevable sous le régime du Président antérieur7. Le mérite de l’arrangement, qui met fin à bientôt dix ans de réclamations, de pourparlers et de discussions acrimonieuses (suivies de rupture diplomatique de la part de l’Angleterre) revient surtout au Gouvernement plus sagace, plus habile et plus détaché de l’idéologie révolutionnaire qui dirige aujourd’hui le Mexique.

Accompagné de l’Ambassadeur de France, j’ai rendu visite dans l’aprèsmidi à l’Ambassadeur de Grande-Bretagne, qui nous a remis le texte (en anglais) de l’accord tout en nous fournissant des renseignements intéressants sur les développements qui précédèrent la signature de l’arrangement financier. M. Bateman nous apprit que, dès qu’il apparut que le Gouvernement mexicain était bien résolu à faire droit une fois pour toutes aux réclamations dont il était saisi et qu’en définitive les questions demeurées en suspens étaient d’ordre «comptable» et de caractère «mathématique», les autorités anglaises, à la suggestion de leur Ambassade, acceptèrent de se retirer pour laisser au trust lui-même le soin de terminer et de conclure l’accord. L’Ambassadeur britannique juge l’accord comme étant très favorable du point de vue financier et mon entretien avec lui me laisse même l’impression que les milieux anglais ne s’étaient guère attendu à recouvrer le montant que leur concède l’accord du 30 août.

Après mon entrevue à l’Ambassade britannique, je me suis rendu au Ministère des Affaires étrangères, où j’avais été convoqué avec l’Ambassadeur de France aussi. Le Sous-Secrétaire du Ministère (en l’absence du Secrétaire qui se trouve à Rio de Janeiro) nous remit des notes identiques et datées du 30 août8, accompagnant le texte (en espagnol) de la convention, documentation que je vous transmets sous ce pli et en duplicata. La note du Ministère nous apporte l’assurance que j’avais été chargé de solliciter, à savoir que l’«exécution loyale de la convention par les deux parties procurera aux actionnaires suisses, à l’égale de tous les autres actionnaires de la ‹MexicanEagle›, leur part juste et équitable de l’indemnisation». J’ajouterai que cette assurance nous avait été déjà donnée verbalement tant à l’Ambassadeur de France qu’à moi-même, de telle sorte que nous n’avions, à aucun moment, partagé les appréhensions qui paraissaient exister en Suisse et en France à ce sujet.

L’accord se présente sous une forme fort peu compliquée et qui n’appelle guère de commentaire. Le Gouvernement mexicain s’engage à verser au trust de la Mexican Eagle la somme de 81’250’000 dollars américains, majorée d’un intérêt de retard à 3% par an courant du 18 mars 1938 au 18 septembre 1948, date de la première échéance. Les versements, par quotas égales, s’échelonneront sur une période de quinze ans et entraîneront le paiement d’un intérêt additionnel, de 3% également, calculé sur le solde à payer. La convention prend soin de spécifier que le montant de chaque annuité se chiffrera par 8’689’257 dollars et 85 cents ce qui représentera un total, à l’acquittement de la dernière annuité, de 130 millions de dollars en chiffres ronds. Le domicile de paiement sera l’Irving Trust, à New York. L’accord devra être ratifié par le parlement, formalité que mes informateurs donnent pour obtenue d’avance9.

Le point le plus faible de la convention, à mon avis, réside dans l’échelonnement des paiements sur une large période et en l’absence de garantie financière de ces obligations. Personne ne peut prévoir quelle attitude adoptera un futur gouvernement mexicain, encore qu’un optimisme raisonnable paraisse justifié à l’égard de ce pays qui sort enfin du chaos créé par la révolution et qui bénéficie, sous de multiples rapports, de l’influence toute voisine des Etats-Unis.

En réponse à la note du Ministère des Affaires étrangères en date du 30 août (voir annexe)10, je me propose de lui adresser une communication dans laquelle j’exprimerai la satisfaction personnelle que me causent l’événement et l’assurance reçue, en attendant d’être en mesure de transmettre vos propres déclarations à ce département.

1
Lettre: E 2001(E)-/1/392.
2
Non reproduit.
3
Sur cette question, cf. la notice de J. Martin à F. Kappeler du 26 avril 1946, E 2001(E)-/1/ 392: La Mexican Eagle Oil Company Ltd. était propriétaire de terrains pétrolifères au Mexique, dont elle a été expropriée par le gouvernement de ce pays en 1938. Son siège se trouve à Londres et les capitaux qui y sont investis appartiennent, d’après une estimation de l’Associationsuisse des banquiers, pour le 70% à des citoyens anglais et hollandais, pour le 20% à des citoyens français et pour le solde à des personnes d’autres nationalités, en grande majorité suisses. Pour plus de détails sur les intérêts suisses dans la Mexican Eagle Oil Company Ltd., cf. les résultats de l’enquête effectuée en août 1944 par l’Associationsuisse des banquiers, transmise au DPF le 21 septembre 1944. Non reproduit.
4
Non reproduit.
5
M. Alemán Váldez.
6
Non reproduit.
7
M. Avila Camacho.
8
Non reproduit.
9
Dans sa lettre du 12 septembre 1947 au DPF, G. Jaccard écrit que la Chambre des députés mexicaine vient de ratifier l’accord à l’unanimité et ajoute notamment: Ce ne sont pas seulement la prospérité et l’avenir du Mexique qui dépendent du pétrole, c’est aussi et bien davantage la sécurité militaire de tout le continent. Les Etats-Unis, où l’on prend de plus en plus au sérieux la menace russe, sont obligés de reconstituer leurs réserves pétrolières, géologiques et industrielles, en allant les chercher en Irak, en Iran ou en Arabie, alors que les richesses toutes voisines du Mexique leur demeurent inaccessibles. Le voyage du Président Truman à Mexico, m’assure-t-on, fut motivé exclusivement par des considérations suscitées par l’avenir de l’industrie pétrolière du Mexique. Cette visite va porter ses fruits, apparemment. Le règlement intervenu pour mettre un terme aux revendications des compagnies anglo-hollandaises (MexicanEagle) aurait été passé avec l’appui secret de la Standard Oil of New Jersey qui, selon mes informateurs, prend sur elle la dette contractée par le gouvernement mexicain. Moyennant cette mise de fonds ou cet emprunt tenu soigneusement secret, la Standard Oil, obtient le droit de rentrer au Mexique et d’y entreprendre un programme d’exploitation que seul ce trust colossal est à même de mener à chef. L’exploitation des gisements qui seront mis en valeur à l’avenir se fera selon une formule de répartition du pétrole moitié-moitié entre Petroleos Mexicanos et la Standard. Quant à l’équipement et aux exploitations anciennes (expropriées il y a dix ans) elles demeurent sous l’exclusive direction des Petroleos Mexicanos, ce qui sauvera les apparences et évitera le mécontentement populaire. L’importance de ce plan – dont, je le répète, l’existence est certaine selon mes informateurs – n’a pas besoin d’être soulignée ni commentée. J’ajoute que, si ce plan est appliqué, il exercera des répercussions favorables bien au-delà des frontières du Mexique et des Etats-Unis eux-mêmes. La Suisse, à la longue, ne sera peut-être pas le dernier pays à se féliciter de la tournure prise par les événements. Cf. E 2001(E)-/1/392.
10
Non reproduit.